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2010, An-Nahar, Articles

2011 / le 31.12.2010

Si l’an dernier nous fûmes alourdis de chagrin, je prie que la porte du ciel s’ouvre pour nous accorder l’espoir. Il est vrai que nous ne saurons oublier la souffrance des hommes. Dans notre mémoire, la douleur reste vive jusqu’à ce que le Seigneur fasse naître dans le cœur un désir de la joie promise par le Christ. Alors nous nous tournons vers l’avenir qui vient du Très Haut, afin que se renouvelle notre éternité à chaque instant.

L’éternité est une averse qui nous inonde; elle n’est pas le fruit de nos désirs. C’est une grâce reçue puis distribuée dans l’amour à ceux qui en ont faim. Mais que faire quand la raison nous tracasse de ses spéculations? Elle annonce des catastrophes probables qui feraient retomber sur nous afflictions, misère, et maladies. Or les temps changent, non les malheurs; la mort survient au même titre que la félicité. A part la sainteté, qui seule nous épargne la peur de la mort, ce que nous appelons «histoire» est en vérité celle d’une peur qui nous a déjà assommée, ou d’une autre que nous envisageons.

L’année qui commence aujourd’hui se rattache à la précédente. Peut-être ne sera-t-elle pas meilleure, du fait que les rancœurs se poursuivent, les tensions persistent, l’animosité règne à perpétuité, et les identités s’entrechoquent. Pour ce que je suis et ce que tu es, pour nos fortunes semblables, je suis ton ennemi. Tu me ressembles, alors je te déteste, ou encore tu es plus intelligent, alors je refuse de le reconnaître et me mets à te calomnier. Au fond de moi sourd une rapacité bestiale de te réduire en miettes. Tout cela s’infiltre dans la vie politique sous un couvert d’idéologie. C’est que, comme dans toute parole, les mots exprimés voilent des mots tus. L’humanité reste un amalgame de vicissitudes et de sang, jusqu’à ce que Dieu se manifeste et nous délivre de tout cela.

Comment donc changer le monde? Qui mènera-t- il le changement? La question même implique qu’il appartient à certains groupes dans la société de modifier la vie politique. Dans notre pays, les gens pensent que les autorités en pouvoir tiennent les rennes du changement. Mais peu croient que les politiciens désirent le renouvellement, et que, s’ils s’efforcent à créer un joli bon pays, ce n’est pas sans quelque intérêt. Certes on leur confie les fonctions publiques grâce à un système d’élections intègre; mais la volonté de changement ne se manifeste pas encore. Que faire alors? C’est le désespoir, c’est l’accablement… On se lamente de ce que la bonne vieille situation stagne, on déplore l’absence d’un état fonctionnel, voire puissant.

Que les gens puissent vivre dans un pays sans autorités, donc sans justice, dans un pays où la relation gouvernant/gouverné est perdue, cela tient du miracle. En portant le regard hors du Liban, dans les pays avoisinants tels l’Iraq ou l’Egypte, tout semble montrer du doigt l’intégrisme qui y règne sous un nom abject: celui de vider le pays des chrétiens. Qui en est responsable, qui est derrière tout cela et pour qui? Une simple analyse suffit pour montrer que les chrétiens d’Iraq n’ont jamais pris aucun parti. Vous les excuserez d’avoir peur pour leur existence physique et leur témoignage culturel, surtout qu’ils n’auraient aucun intérêt dans quelque conflit inter-islamique. Celui-ci aurait-il lieu, à Dieu ne plaise, ils ne seront point épargnés. On les tue pou rien, puisque personne ne gagne à les faire mourir. Pourquoi leur prière à l’église doit-elle être protégée par l’armée? Est-il plausible de prier dans la peur, ou alors devraient-ils rester à la maison, afin que leurs églises soient réduites à des sites touristiques? Qui est-ce qui empêche les homicides de les massacrer à domicile? D’où vient donc cette rancune, tant que les chrétiens sont une minorité incapable de manifester de l’animosité envers quiconque, une minorité dépourvue de tout moyen de maintenir son existence physique même. N’est-il pas honteux que cette minorité demande à être protégée, après qu’on l’eut convaincue que le régime se met au service de tous les citoyens? On sait bien, d’ailleurs, que les états Géants- tous laïcs- se soucient peu de préserver l’existence physique de telles minorités, puisqu’ils n’y gagnent rien. Les petits de ce monde restent hors des calculs politiques. Il paraît que nul n’agit pour les sauvegarder; Dieu est leur seul recours. Le monde n’est qu’un abattoir, jusqu’à ce que Dieu retienne les mains meurtrières. Pourquoi les assassins ne comprennent-ils pas que la fraternité est possible parmi les hommes, qu’elle rend la vie agréable?

Aucune solution internationale ne se présente encore. Un appel de conscience sert-il à quelque chose? Beaucoup de sang sera répandu durant l’année qui commence aujourd’hui, sauf si un miracle vient restaurer la paix. Par ailleurs, la Palestine historique se voit vidée de nous, chrétiens, même si le sang ne coule pas. Car y a-t-il quelqu’un là-bas pour dire aux chrétiens de ne pas quitter leur pays? Est-il culturellement acceptable que la Terre du Christ existe sans ses disciples? Les fameuses cathédrales de la Résurrection et de la Nativité deviendront-elles des vestiges d’antan? Dira-t-on aux touristes, d’ici quelques années: là priaient des gens appelés «chrétiens», comme pour leur rappeler une race disparue? Quelle infamie pour les arabes que vienne un jour où l’on parlera de la Cathédrale de la Résurrection comme un guide touristique parlerait chez nous de Baalbek? En effet, l’éloquence des arabes que serait-elle sans Issa (Jésus) le fils de Marie?

Outre la question des états et de leurs dirigeants, outre la politique et le sang, l’individu se retrouve seul face à Dieu, serait-il arabe ou étranger. Seul devant Dieu, chacun de nous aurait du lui dire ces mots: Me voici. Je suis à Toi, livré à ta présence. Devant ta seule face je me tiens, car je n’ai plus le front de me tenir devant nul autre. Je suis à Toi, du fond de ma misère, de ma peine, avec mes enfants que les assassins ont oublié de tuer. Eux et moi nous abandonnons à ta miséricorde. Tu nous veux, et nous de même. Accorde-nous la vie, en ces jours mauvais où nous ont fourrés des hommes perfides, où les autorités nous ont délaissés.

Notre subsistance: des miettes de pain, quand il en reste. Notre source de vie: l’espoir qui nous sauvera. Que ton amour pénètre ce reste de corps, qu’il perce notre fatigue et notre faiblesse physique. Nous t’avions promis de ne haïr aucun homme de pouvoir, aucun compatriote. Nous ne portons pas d’armes; nous n’en voulons pas. Si le pain manque, nous aurons faim de ton amour. C’est seulement munis de ta force que nous porterons en nous l’espérance, serions-nous dispersés aux quatre coins de ce monde par Toi créé. Toi seul seras notre patrie. Au long de notre misérable parcours, nous mènerons le bon combat, nous garderons la foi, même à bout de souffle.

Apprends-nous à aimer ceux qui nous aiment autant que ceux qui nous haïssent. Nous aimerons l’Iraq, l’Egypte et la Palestine, du moment qu’on nous permettra d’y rester. Nous les préserverons tous, parce que nous ne jugeons personne, ni n’y pensons mal. Nous te prions de couvrir tous les hommes des largesses de ta miséricorde, de les guider à la Vérité. Toi seul les jugeras au dernier jour; nous ne voudrions accuser personne, car la loi et les miséricordieux sont autant de fils à Toi.

Que les tentations ne dépassent pas nos forces, sinon nous nous effondrons. Qu’en cette année réside ta puissance, pour que nous puissions dire que c’est un nouvel an. C’est de toi que provient la nouveauté. Fais-nous retourner vers toi seul, pour que nul autre ne nous déçoive. Sinon nous connaîtrons l’amertume, et c’est l’enfer. Attire-nous chaque jour, à chaque instant. Sinon nous serons terrassés par le chagrin. Tu as déjà mis fin à toute tristesse par la Nativité de notre Sauveur, sa mort, et sa Résurrection. C’est grâce à tout cela que nous aspirons à notre propre résurrection quotidienne en Toi, dans l’espoir de la Résurrection finale, et de la vie éternelle.

Pouvons-nous donc inaugurer le nouvel an avec Toi, grâce à ta parole, à ta promesse qu’il y aura une terre de justice? Que cette justice soit établie ou non, Tu restes notre unique pays; Tu es le pays de ceux qui t’obéissent, à qui Tu as préparé un royaume sans fin.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « 2011 » – 31.12.2010

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Pâques: une date commune? / le 10.04.2010

Cela fait des années que j’entends des chrétiens de différentes Eglises souhaiter que l’on s’accorde sur une date unique pour cette fête, ajoutant qu’un tel arrangement nous unifie. Je crains que bon nombre  de gens ne soient convaincus que c’est notre seul sujet de discorde. Il y a pire: beaucoup affirment que les doctrines qui nous séparent sont  des inventions de théologiens, et que certains prélats craindraient de perdre leurs «positions»- pour employer l’expression vernaculaire. Pourtant les Eglises adhèrent à la même opinion que l’Eglise unie ne demandera à aucun évêque de démissionner, du moment que ces derniers se font rarissimes dans notre monde.

D’où mon sentiment que cette insistance de certains sur l’unification de la date de Pâques  dissimule une dévalorisation des dogmes, alors que celles-ci prévalent sur le problème de la célébration.  Il ne fait aucun doute que la fête est moins importante. La communion sentimentale des chrétiens me semble être l’approche la moins compréhensive du problème de l’Unité, voire l’approche de ceux qui ignorent l’amas de querelles qu’il vaut mieux envisager dans son ensemble.

Dès le deuxième siècle, alors que l’Eglise était encore une, la date de Pâques provoquait des disputes. En Asie mineure, on célébrait Pâques le 14 avril; en Alexandrie et à Rome, un dimanche. Alors on tenta de fixer une date unique au sein de l’unité de l’Eglise: elle tomba un jour de dimanche. On avait donc préféré unifier la fête, sans que la différence des dates ne créât de conflit.

D’ailleurs, la date de célébration commune à l’Eglise catholique et aux Eglises évangélistes  a-t-elle servi à quelque chose? Les disputes les plus violentes ne les ont-elles pas déchirées pendant plus de quatre siècles? Ensuite, lorsque les Arméniens orthodoxes ont opté pour la fête latine, dans les années vingt du siècle dernier, procédèrent-ils à quelque fusion doctrinale? Evidemment non. De plus, leur difficulté à choisir notre propre calendrier tient de leur intégration totale à l’Eglise arménienne de leur patrie. Les Arméniens du Liban et de l’Orient arabe ne prendront jamais aucune décision sans consulter leur Eglise mère; une éventuelle unification de la date de Pâques au Liban ne les concernera donc pas.

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Pour fixer la fête de Pâques, une règle fut établie par le Concile  (Œcuménique) de Nicée qui eut lieu en 325. On commence à compter à partir de l’équinoxe du printemps, le 21 mars, dans l’attente de la pleine lune qui le suit. La fête tombe le dimanche après la pleine lune. Cette règle antique fut confirmée par le synode œcuménique d’Alep, en 1997.

Après la réforme du calendrier julien par le Pape Grégoire XIII en 1582 – réforme rejetée par l’Eglise orthodoxe -, le 21 mars julien (orthodoxe, en pratique) décala du 21 mars grégorien adopté internationalement. Parsuite, les catholiques se mirent à observer leur propre mois de mars, attendant «leur» pleine lune  d’après laquelle ils désigneront leur fête. Quant au 21 mars des orthodoxes, il était de quatorze jours postérieur à la date grégorienne, en ce siècle-là. Depuis, les orthodoxes se mettent à l’attente de «leur propre» pleine lune, calculant le jour du dimanche qui la suit, et qui sera celui de leurs Pâques. Il en résulte deux dates différentes ou une date commune pour la fête, selon le mouvement de la lune. Ainsi, lorsque la pleine lune se rapproche du 21 mars grégorien, les orthodoxes devront attendre la pleine lune suivante, pour célébrer le dimanche d’après. Alors les Pâques orthodoxes s’écartent de la fête catholique. Si, au contraire, la lune s’écarte de l’équinoxe grégorienne, les deux fêtes tombent le même jour. Le problème réside donc dans le fait que l’Eglise catholique adopta le calendrier grégorien, alors que l’Eglise orthodoxe continua à suivre le calendrier julien, abandonné par Rome sous le Pape Grégoire XIII.

Je dirais que si l’on veut maintenir la règle du Premier Concile – celle de l’équinoxe printanier et de la pleine lune qui le suit, les orthodoxes devront renoncer au calendrier julien. Cela exigerait une concertation au niveau de toutes les Eglises orthodoxes, soit dans le cadre d’un concile général, soit par une correspondance des chefs de ces Eglises. Or, cela présente quelques difficultés pour le moment. En effet, les chefs des Eglises aboutiraient-ils à une décision orthodoxe, ils respectent toujours l’opinion des populations concernées. A ma connaissance, je trouve celles-ci peu enthousiastes au changement. Les paroisses et les diocèses qui les constituent tendent plutôt à conserver leurs traditions, dont ils conçoivent la date de Pâques faire une partie. Il faut dire que chez nous, grâce à un système qui concilie clergé et laïcs, les patriarches et les archevêques ne sont pas des maîtres absolus du peuple. C’est que les Eglises orthodoxes, dans leur fait historique, fusionnent           avec certaines ethnies. Dans le Balkan, par exemple, il existe des ethnies catholiques, comme en Croatie, qui eurent, avec les orthodoxes, des conflits sanglants. Il s’agit d’une mosaïque de nations différentes qui semblent peu disposées au changement, surtout lorsqu’il est perçu comme hétérodoxe. On traite avec des peuples, non seulement avec des Eglises. De ce fait, je ne vois pas les populations orthodoxes modifier leurs dispositions dans le futur proche.

Cela dit, si le changement rencontre des obstacles à présent, il aurait peut-être plus de chances sur un plan régional.

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C’était la vision du Pape Paul VI dans les années soixante du vingtième siècle, au cours du Saint-Synode «Vatican II», lorsqu’il permit aux minorités catholiques vivant dans des pays à majorité orthodoxe de se conformer à leurs Pâques. Ainsi fut-il pour les chrétiens catholiques d’Egypte, de Jordanie, et du territoire occupé de Palestine. Les maronites du Liban examinèrent aussi la question, et furent même au point de rejoindre les orthodoxes lors d’une réunion à Chypre. Je me rappelle même que leur  patriarcat annonça effectuer un  référendum sur le sujet auprès  de la  population maronite. Mais il paraît que ledit patriarcat se résigna ou effectua le référendum sans que nous ayons vent des résultats. Puis des spécialistes de l’Eglise maronite divulguèrent une littérature qui déclarait que ces derniers ne formaient pas une minorité, et que, parsuite, la permission du Pape Paul VI ne les concernait pas. Certes, le patriarcat orthodoxe s’abstint de toute discussion, mais l’on entendit des lèvres de plusieurs orthodoxes que Liban ne constitue pas seul une entité ecclésiale; celle-ci embrasse toute la contrée antiochienne. Il faut donc considérer que chaque Eglise a son territoire au sein de la zone antiochienne, qui s’étend sur l’ensemble de la Syrie et du Liban. Conformément à ce principe, le désir su Pape Paul VI que les catholiques de la région Syrie- Liban célèbrent Pâques selon le calendrier orthodoxe devient réalisable.

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Du reste, sur le plan régional, nous nous trouvons dans l’impasse. Dans une perspective mondiale, il est impensable que les orthodoxes locaux (de la Syrie et du Liban) fêtent les Pâques séparément des Russes, des Grecs–dans tous leurs pays respectifs-, des Bulgares, des Serbes, et des autres, en désignant un jour de fête proprement Libanais.

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Beaucoup prônent l’unification de la date de Pâques dans notre région. Dans ma vision, les orthodoxes semblent dire aux catholiques de l’Orient: «nos liens fraternels exigent que vous fêtiez avec nous, tant que vous en avez obtenu la permission». «Vous devez nous comprendre, chers amis, ajouteraient-ils, si nous vous disons que, pour cette question, nous ne pouvons nous séparer de nos frères dans le monde orthodoxe. Vous-mêmes ne faites pas de concessions lorsqu’il s’agit d’obéir à vos autorités premières. Personne dans l’Eglise ne dérive son identité d’une date de fête; or tout le peuple chrétien considère le fait de s’unir un même jour pour célébrer comme une expression de charité fraternelle. Que l’on pratique donc cette charité sur le plan régional, faute de pouvoir l’exercer maintenant sur un plan mondial».

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « تاريخ واحد للفصح؟ » – 09.04.2010

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Ô Mon Amour crucifié / le 02.04.2010

Ô Jésus, «mon amour crucifié»!

Tu fus cloué sur nos péchés, bien avant d’être suspendu à une croix en bois. Les péchés de notre plaisance te firent mourir. Te voilà sous nos regards, «n’ayant ni aspect ni prestance tels que nous te remarquions, ni apparence telle que nous te recherchions».[*] Tu es tout ensanglanté, percé d’une lance, pourtant non brisé, mais l’objet d’amour de Dieu. Dans ta chair, tu ne nous condamnes pas nous-mêmes, mais plutôt nos iniquités, car ton cœur ne saurait souffrir qu’un homme y meure.

Seigneur, nous sommes dispersés. C’est pour nous recueillir que tu étendis  les bras, pour nous ramener vers ton Père, en une seule race humaine purifiée, afin qu’il ne se prononce pas contre nous au jour du Jugement.

Tu lui adresses ces paroles: «que leur veut donc la mort? Pardonne aux menteurs, aux voleurs, aux assassins; tu les aimes autant que les impeccables. Ce sont tous tes enfants, tous mes frères! Tu les embrasses également dans ta miséricorde, sans laquelle nul n’est sauvé. De toi sont inspirées les paroles du disciple bien-aimé: «Dieu est amour». Il avait compris que tu es l’Amour, et que tu habites toute personne qui aime. Tu  habites même l’impie. A ce dernier, tu ne demandes que de croire en ton pardon, en plus de la foi. Cela suffit pour le restaurer. Si tu lui pardonnes, c’est que tu te languis de lui à chaque instant. Tu te languis de lui car c’est un fruit des entrailles de ton amour; celui-ci ne supporte pas qu’on en soit banni. Que telle personne oublie cet amour, lui reste-t-elle d’autre réminiscence?

Les éminents dans notre religion disaient que tu nous avais amené à l’existence pour que ton amour ne reste pas captif de ton Être. Ô Père, tu es ce Dieu qui se déploie pour étreindre, puis qui m’envoie pour annoncer cela à l’homme, afin qu’il vive, et prenne connaissance de sa parenté divine. Désormais, et jusqu’à ma mort, je suis son familier. Ainsi, il ne saura plus comme nos ancêtres premiers que tu es très haut, et lui ici- bas. Entre vous deux, nulle distance. Les hommes de jadis savaient qu’ils appartenaient au cercle de tes proches. En faisant ma connaissance, ils savent maintenant que ta grâce leur accorde un meilleur statut: ils savent que toi et eux êtes devenus des intimes inséparables. Pour cela, il me fallait meurtrir. Par ton décret, je fus meurtri pour que ceux-là t’aiment et soient guéris. Alors ils entonneront pour toi des louanges, et seront dans la joie. Or, la joie, c’est le ciel.

Avant de m’avoir fait descendre vers eux, Tu n’avais élevé personne jusqu’à Toi. Mais dans peu de temps, ils entameront avec moi leur ascension pour que leur joie en nous soit complète, et que ton royaume se révèle à eux. Tu leur déclaras que ce royaume est au dedans d’eux-mêmes, puis tu traduis ta parole en mon acte de mort.

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Ô Jésus, amène-moi vers cet Amour par lequel tu expies mes péchés quotidiens. Que je regarde ta Face seule; les autres visages dissipent l’esprit. Confine mon amour au tien, de peur que mes passions ne me provoquent; les hommes contempleront ta lumière sur ma face. Toutefois, donne à celle-ci de ne point s’attribuer cette lumière, mais d’apprendre que c’est une effusion de ta tendresse. C’est pour nous permettre de nous délecter de toi que tu devins l’un des nôtres. Depuis ta dernière cène, notre relation avec toi consiste en ce don de toi-même dans le pain et le calice. De fait, tu visais à éveiller en nous cette faim et soif de toi; tu voulais abolir toute distance qui te sépare de nous.

Lorsque tu t’insères en nous de la sorte, nous pouvons  nous considérer tes frères non seulement dans la chair et le sang, mais aussi dans ton Saint Esprit. Notre geste de te saisir n’est pas sans échange: toi, aussi tu nous emportes. C’est pour indiquer que le repas de salut auquel nous communions est toi-même qui sièges à la droite du Père.

Nous le voyons quand tu nous enlaces de tes bras étendus sur le crucifix et nous serres contre ton cœur et celui de ton Père par la puissance de ton Saint Esprit. Afin de ne plus dévier vers ce monde, nous retournerons nous blottir dans tes bras. Devenu toi-même notre monde, rien d’autre ne nous divertira jusqu’à nous en lasser, et périr.

Tu avais dit un jour: «Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et qu’il me suive»[†]. Certes, nous savons que cela dépasse nos forces. Mais nous croyons fermement que tu prendras charge de notre indigence, et pour ce, toute parole sortie de tes lèvres devient notre consolation. C’est que tu avais dit aussi: «Déjà vous êtes purifiés par la parole que je vous ai dite»[‡]. Se limiter à l’écoute exclusive de tes paroles suffit à nous transformer en créatures nouvelles. Dès lors nous avançons à l’intérieur de ton Royaume. Ô Jésus, que tu règnes sur nous; nous aurons le cœur paisible grâce à ta paix au fond de nous. Tu accordes cette paix en puisant dans tes plaies. Elle guérit les nôtres et nous épargne de sommeiller dans la mort.

La vie nouvelle par laquelle tu nous ton appelles fut réalisée en nous –et se réalise encore- par l’obéissance de tes commandements. S’en dérober mène sur des chemins illusoires qui nous perdent dans le vide. Seigneur, que nous ne tombions pas dans ce vide privé de ta parole. Arrache-nous sans cesse aux chutes passionnelles qui détournent notre regard fixé sur ta croix, qui amadouent nos âmes de leurs paroles insidieuses. Leur mystification: «La convoitise de la chair, la convoitise des yeux, et la confiance orgueilleuse dans les biens»[§]; autant de morts multiples qui entravent l’effet bienfaisant de ta croix en nos âmes.

Seigneur, c’est toi que nous désirons. Ne nous confonds pas, ne permets pas que les péchés nous tentent. Tu as déjà accordé aux saints de ne plus pencher pour elles. Quant à nous, on dirait, à voir notre train de vie, que la sainteté est un pesant fardeau, un château en Espagne. Transforme-nous selon le dessein que tu désires, tel que nous n’ayons d’autre volonté que la tienne. Ainsi nous serons profondément unis à ta personne. Redresse l’égarement de notre esprit; que nous ne manquions pas de percevoir ta pensée. Purifie nos dispositions intérieures; que nous acceptions volontiers les dispositions que tu prends dans nos vies. C’est alors que nous deviendront tes familiers véritables. Demeure auprès de nous à l’heure même de nos faiblesses, pour que nous demeurions en toi. Tirant de toi notre force, nous ne craindrons plus la mort.

Seigneur, tiens loin de nous toute ombre qui vient nous hanter depuis le royaume des morts. S’approche-t-elle, rends-nous dignes de rencontrer le Père, par le pouvoir de ta Résurrection. Notre fin venue, ne nous rejette pas loin de ta face en proie aux ténèbres. Montre-nous que notre séparation de ce monde d’ici bas n’est que la porte de ton tendre accueil. Exerce- nous à assimiler cette vérité; ainsi, percevant l’immanence de cette séparation, nous comprendrons que nous ne sommes pas repoussés hors de ta Face. Ô Seigneur quelle consolation que ta Face en ce monde accablant! N’admets jamais que nous désespérions de pouvoir t’aborder; ce serait périr.

Appelle auprès de toi toute personne décédée à l’heure où elle rend l’âme. Si elle n’entend ta voix, elle restera sourde à perpétuité. Révèle-lui ton Visage, pour qu’elle reçoive l’étreinte de ton Père. Sa miséricorde ouvre l’accès à tous les défunts. Ainsi enseignent les éminents de notre religion, ces athlètes spirituels éprouvés.

Par ailleurs, il est intolérable pour ta Mère que quelqu’un sombre dans le feu. Aussi, lorsqu’en agonisant, tu dis à ton disciple bien-aimé: «Voici ta Mère», entendîmes-nous ta volonté qu’elle devienne la Mère de chaque disciple bien-aimé. Or, qu’une personne périsse éternellement la contrarie tout à fait. C’est qu’en accédant tous au salut, les hommes revêtiront leur parure mariale, et les noces de Cana auront lieu, Ô Seigneur.

Ces noces-là figuraient ta célébration nuptiale avec l’humanité, scellée par le sang. Elles seront aussi les festivités de noces éternelles où tu réuniras l’ensemble de tes bien-aimés des quatre coins de la terre. Alors leurs peines prendront fin et ils jouiront de ta présence. Les âmes que tu as ravies te suivront partout là-haut.

Tout don de ta mansuétude est un prélude à ce dernier jour. Ta Résurrection inaugurée dès la Passion -qui nous procure le goût de maintes autres résurrections, sera aussi notre résurrection finale, un rassemblement de toute l’humanité élite de ton amour. Dès lors, nos harpes se joindront à celles des anges pour jouer des hymnes triomphales; chaque moment de ciel entamera en nous un chant nouveau.

Tout cela fera résonner au ciel les paroles que nous répéteront dans deux jours: Christ est ressuscité!


[*] Es53 :2.

[†] Marc 8, 34.

[‡] Jean 15, 3.

[§] 1Jeqn 2: 16.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « يا عشقي المصلوب » – 02.04.2010

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Les Orthodoxes / le 13.3.2010

Leur Eglise est de souche apostolique, vu, d’une part, qu’il ne fut pas un jour où elle n’existait pas, depuis la Pentecôte, et d’autre part, qu’elle ne fut pas instaurée par un homme. Dans le vocabulaire de l’Eglise antique, le mot «orthodoxe» est un qualificatif attribué à la foi. D’origine grecque, il signifie «qui a la foi droite», ou encore «qui a la louange droite». C’est que l’esprit droit se révèle dans le culte. Il s’en suit qu’en principe, il est erroné de dire «une Eglise orthodoxe». Le seul terme utilisable est «une Eglise universelle» (catholique, en grec). Depuis quelques siècles, on désigne l’Eglise des Orthodoxes comme «orthodoxe catholique». En réalité, les deux termes sont synonymes. Le fait d’opposer l’Orthodoxie au Catholicisme n’est donc pas fondé par l’usage linguistique.

Les musulmans arabes nommaient l’Eglise actuelle des Orthodoxes «melkite», considérant, à l’époque, qu’elle suivait la doctrine des rois de Byzance[1]. Or, il n’en fut pas toujours ainsi, car nous sommes entrés en conflit dogmatique avec certains empereurs byzantins pour une période assez brève, au temps du roi Hercule, qui était monothélite. Plus tard, nous nous opposâmes aux empereurs de la guerre iconoclaste, qui s’éteignit en 843.

Du reste, la désignation arabe la plus commune est correcte, car les «Roums» cités dans le Coran sont les Romains orientaux, à savoir, l’Empire byzantin. Ce dernier terme est une appellation occidentale des Romains de l’Orient, qui se considéraient comme des citoyens de l’Empire romain, indivisible dans leur conscience nationale. Ainsi, le terme «Roum» n’a jamais signifié «Grec». C’est une erreur commise par les Européens, en traduisant l’expression arabe «Roum Orthodoxe» par «Grec Orthodoxe», et par son équivalent en anglais. Nous ne sommes pas les derniers descendants des quelques soldats grecs d’Alexandre le Grand, qui s’installèrent sur nos côtes. Bandaly Al-Jawzi, l’auteur du dictionnaire russe-arabe a bien prouvé que, lorsque les Apôtres du Christ sont venus en terre de Syrie, voire au Croissant fertile, nous étions des Araméens. L’expression «Grec Orthodoxe» n’a jamais impliqué une descendance de sang grec.

Quant à la langue liturgique, il en va différemment. Dans les villes, on utilisait le grec, en conséquence de l’occupation d’Alexandre le Grand. Dans les régions rurales, c’était le syriaque. Cela n’avait aucun rapport avec les confessions. Selon les régions, l’ensemble des chrétiens parlait le grec ou le syriaque. Graduellement, nous acquîmes l’arabe, que nous écrivions déjà au IXème siècle de notre ère. Au XIème siècle, c’était un arabe élaboré que nous utilisions, au palais du Calife abbaside à Bagdad, en rhétorique contre les musulmans; ces derniers n’étaient nullement d’éloquence supérieure. Dans le culte, le syriaque et l’arabe se chevauchaient, le prêtre usant de l’un ou de l’autre, selon les conditions de sa paroisse. Par suite, le rite dit byzantin resta longtemps pratiqué en syriaque, et l’on lisait encore l’Evangile en cette langue au XVIème siècle.

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Il est donc une erreur de dire que notre Eglise est de race, de sang ou de langue arabe. Par contre, affirmer son sentiment d’arabité lors de la Révolution arabe durant la première guerre mondiale est vrai. En Syrie et au Liban, nous étions les alliés de l’Emir Fayçal: nous avions donc rejeté le colonialisme français et, par conséquent, la répartition des provinces de l’Empire Ottoman.

Il m’arriva une fois de tenter une description politique des Orthodoxes devant Ghassan Tuéni. Je dis: «Nous sommes d’empire». L’expression s’avérant difficile à traduire en arabe, j’expliquai à M. Tuéni qu’aux débuts du christianisme, nous avions le sentiment d’appartenir à l’Empire romain, qui n’est autre que l’Empire byzantin. Suite à la conquête arabe, nous nous comportions comme des citoyens du domaine islamisé, dans sa conception étatique, non dans son sens religieux. Nous manifestions cette fidélité aux Omeyyades en gérant leurs finances, et en leur construisant une flotte au Port de Tripoli, alors qu’eux respectaient notre foi et notre culte.

Par contre, nous ne ressentions aucune affinité avec les royaumes croisés, qui nous persécutèrent et nous massacrèrent. De tout temps, aucun régime islamique n’appliqua la taxe de rachat des chrétiens –la «Dhîmma». Il n’est pas vrai non plus que nous avions une mentalité de Dhimmis, plus que les autres. Tous les Chrétiens au sein de l’Empire ottoman payaient la Jizyat (capitation), quand cette charge était encore en vigueur. Mais elle fut abrogée dans tout l’Empire, au milieu du XIXème siècle, lorsqu’on commença à y décréter des lois civiques. En toute humilité, je voudrais exprimer le souhait que les chrétiens ne rivalisent pas à rejeter la loi de la Jizyat, abandonnée il y a un siècle et demi par ceux-là même qui la décrétèrent.

Les Orthodoxes ne confondent jamais entre leur appartenance religieuse et leur sentiment national. Pendant les évènements de 1958, alors que les dissensions étaient de règle au pays, les Orthodoxes se rangèrent unanimement avec le gouvernement libanais, contre ce qui fut taxé «d’interférence régionale». Durant la dernière guerre civile, ils n’avaient pas leur milice. Aussi, leur Eglise ne donna-t-elle aucune bénédiction et ne jeta aucun anathème face aux tendances politiques de ses membres. Jusqu’à ce jour même, on peut dire que la population orthodoxe est entièrement libanaise et pour le Liban; sur ce plan, il n’y a aucun conflit. Ajoutons que l’Eglise à laquelle cette population appartient n’a cessé de se prononcer clairement contre Israël, par une suite de prises de positions toutes conservées dans les archives du Synode des Evêques, présidé par le Patriarche, et ce en toute liberté. Ce n’est pas à notre amour pour la Terre Sainte que tient cette position, mais à notre sentiment que les droits du peuple palestinien sont sacrés. Nous ne nous sommes jamais prononcés pour les chrétiens de Palestine, mais pour tous les Palestiniens.

En ce qui concerne la politique intérieure, les Orthodoxes ne forment pas un seul rang parce qu’au fond, ils n’acceptent pas d’être une confession parmi d’autres. Ils se conçoivent comme une Eglise. De ce fait, il leur est substantiellement inadmissible d’adhérer à des dirigeants orthodoxes. Ils n’ont jamais eu un leader, non qu’ils soient désunis, mais parce qu’ils respectent le choix politique de chaque membre de leur Eglise, du moment que ce choix n’affecte pas la vie de l’Eternité.

De nos jours, on parle d’une prise de conscience chez les Orthodoxes de se sentir lésés quant à leur droit d’accès aux fonctions publiques. Le quotidien «Al- Liwaa’» l’avait montré depuis peu, citant des noms et des fonctions. L’article affichait un esprit scientifique notable. Il y a déjà vingt ou trente ans, je discutais sur cette question avec un ministre orthodoxe, qui me dit: «Avant de faire des statistiques, nous ne pouvons prendre aucune mesure». Certes, il se pourrait que ces fonctions soient réparties selon un principe non-confessionnel, mais on peut bien se demander, en ce cas, pourquoi les hautes fonctions de première classe se dérobent-elles des grands esprits Orthodoxes, leur laissant seulement les miettes du festin? Il me semble que nous avons atteint désormais un certain palier commun de perspicacité en ce pays. Or, avant d’éliminer le confessionnalisme politique- ce qui nécessite, selon les personnes savantes, encore deux à trois décennies- nous en subissons le règne, mais autant que celui de l’équité et de la compétence. Certaines minorités existent moralement. N’y confinez pas de force la quatrième confession du pays, qui, bien que conservant la modestie dans son appréciation de soi, n’est pas moindre, ni par son zèle pour le pays, ni par ses grades universitaires. Les préfectures ottomanes du Pays de Syrie connurent bien la valeur des Orthodoxes dans les domaines de la gestion et des finances.

A présent, je me garde de faire des requêtes; nous n’avons pas encore consulté les dirigeants spirituels. Cependant, je souhaite que l’état fasse ce qui est dans son propre intérêt en employant les gens honnêtes. Ali Ben-Abi- Taleb disait souvent: «la perspicacité, oui, la perspicacité». J’espère que notre état soit fondé sur la perspicacité.


[1] De l’arabe Malek, roi. (N.d.T)

Traduit par les moniales du Couvent N.D.de Kaftoun

Texte original: « الروم الأرثوذكس »-An Nahar-13.3.2010

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