2003, An-Nahar, Articles

Le Sentiment National ou Culturel dans l’Eglise / le 12.07.03

La discorde nationale est apparue dans l’Eglise depuis l’époque apostolique, un verset du livre des actes des apôtres relate ce qui suit: «En ces jours-là, le nombre des disciples augmentait et les Hellénistes se mirent à récriminer contre les Hébreux parce que leurs veuves étaient oubliées dans le service quotidien» (Ac.6, 1). La fusion des croyants en une seule foi et une offrande unique n’a pas donné de fruit sur le plan social. Et les nationalités se sont juxtaposées et elles ont porté atteinte au corps de l’Eglise.

De nombreux historiens ont dit que la controverse qui a éclaté en l’an 451 au concile de Chalcédoine entre les défenseurs de la nature unique et ceux qui défendaient les deux natures du Christ; cette controverse cachait donc une division entre les hellénistes et les peuples de la Syrie, de l’Egypte et de l’Arménie.

Et il n’y a aucun doute que la différence entre les civilisations grecque et latine a pesé dans le grand schisme de l’an 1054 entre Rome et Constantinople. Il n’y a pas d’embarras à dire aussi que le nationalisme est la seule maladie qui affecte aujourd’hui les relations entre Constantinople et Moscou et celles entre la hiérarchie ecclésiastique grecque à Jérusalem et son peuple arabe.

Néanmoins l’Eglise Orthodoxe a condamné «excommunié» dans un concile réuni en 1871 à Constantinople: «ceux qui s’attachent à la race, pratiquent une ségrégation entre les ethnies et attisent ou provoquent des discordes et des révoltes fondées sur le nationalisme».

Le racisme est donc clairement rejeté et ce que l’on appelle aujourd’hui Eglise de Moscou ou celle de Bulgarie ou de Serbie ne doit pas avoir une connotation nationale. Cela indique seulement des espaces géographiques de sorte que si tu habites à Moscou par exemple, quelle que soit ta nationalité, tu t’attaches à cette église comme n’importe quel russe.

C’est pourquoi, dire que les églises orthodoxes sont des églises nationales n’a pas de sens, puisqu’une telle définition a été exclue par la décision du concile de 1871 que nous avons susmentionnée.

Sur ce même principe nous disons que si l’Eglise de nos contrées est appelée Antiochienne, ceci ne veut pas signifier une quelconque nationalité, car résident parmi nous, dans tous les diocèses, des orthodoxes de diverses nationalités qui vivent pleinement leur foi et leur engagement de croyant dans telle ou telle paroisse.

Le chrétien vit dans une patrie qu’il aime et à laquelle il s’attache mais ceci est seulement en raison de notre vie terrestre et de l’histoire qui lui correspond. Sa foi, d’autant plus, est pour lui un motif pour servir la patrie mais celle-ci peut être pluriconfessionnelle. Et même si elle ne l’est pas, l’Eglise garde une existence indépendante de toute patrie et de tout attachement sentimental à telle ou telle d’entre elles.

Je ne suis pas libanais parce que je suis chrétien ou à partir de ma foi dans l’Evangile. Je suis chrétien parce que je crois en Christ, que je suis baptisé et que je suis Un en Christ avec tous ceux qui croient en Lui; malgré le fait que je pourrai avoir des différents ou même des désaccords avec des orthodoxes d’autres nationalités.

Reste l’héritage culturel que nous avons recueilli de par l’histoire elle-même. Celui-là prie en syriaque et l’autre en arabe mais cela ne signifie pas qu’il y ait une certaine «essence» syriaque ou arabe. Cela ne veut pas dire non plus que le syriaque ou l’arabité rentre dans la définition de ce qu’est ma chrétienté. Les langues sont des instruments culturels et la culture n’est pas une partie existentielle de l’Eglise.

Je ne proteste pas contre un regroupement identitaire fondé sur la base d’une langue commune à plusieurs confessions en dehors d’une quelconque cohésion dogmatique, si ce qui est recherché est de redonner vie à une grande tradition et de permettre à ceux qui l’ignorent d’en prendre connaissance. Si la fierté est acceptable, la prétention ne l’est pas. Il faut pour autant dire que l’Evangile dans son essence est indépendant de la terre et de ses époques. Par conséquent, Il est indépendant de l’habit historique dont la Parole s’est couverte.

L’élément qui tranche entre ce qui est à l’Eglise et ce qui ne l’est pas est le même qui existe entre celui qui crée et celui qui est créé. Nous appartenons uniquement au Christ et aux Saints qui se sont attachés à Lui, tandis que le vêtement que le Seigneur a accepté de revêtir en tant que pasteur incarné historiquement dans la vie des hommes n’est rien en soi.

Les cultures grecque, araméenne, arabe et latine font partie du «créé». Ainsi les cultes rendus dans telle ou telle église peuvent être liés à ces philosophies, ou bien, ces philosophies ont été une source d’inspiration ou un cadre pour le culte rendu. Tu peux t’apercevoir, par exemple, que la beauté de la liturgie byzantine n’est pas sans lien avec la sagesse grecque mais nous ne sommes pas grecs ; car tout ce que nous sommes vient seulement de l’Evangile et des méditations des saints sur l’Evangile.

Nous n’étudions pas les héritages humains pour les adopter mais pour aimer Jésus Christ.

Seul celui qui ne se satisfait pas de Jésus, cloué nu sur le bois de la croix, cherche à trouver sa fierté dans les créatures. C’est ainsi qu’il invente des théories de grandeur qui ne dépendent que de ce monde. Par exemple se demander, au sujet des orthodoxes, ce qui peut rendre fier un peuple qui s’étend d’ici jusqu’à Saint Petersburg et aux extrémités de la terre, ceci n’est pour nous qu’une question sur «l’apparat de cette vie éphémère».

Alors que les Saints de chez nous, de Grèce et de Roumanie ainsi que tous les autres n’avaient eux, aucune autre appartenance au plus profond de leur âme que celle due au Baptistère et à ce que le Saint Calice suscitait en eux de pensées.

Nous ne nous intéressons pas aux nations que l’acte des apôtres a mentionnées comme ayant écouté l’annonce de la Bonne Nouvelle par Saint Pierre après la descente de l’Esprit Saint le jour de la Pentecôte (certaines parmi elles ne sont plus chrétiennes); mais ce que le Livre a voulu suggérer, c’est que ces nations ont été unies pas l’Esprit Saint dans une seule compréhension de la mission. Celui qui, parmi les descendants de celles-ci, tire de la fierté du fait que ses ancêtres y étaient présents ne dit que des choses sans intérêt «Grâces soient rendues à Dieu et non à nous-mêmes».

L’Eglise est gardienne de l’inspiration et non de la rhétorique des arabes ou de la sagesse des grecs. Mais nous pouvons découvrir des splendeurs de Dieu dans les traditions des peuples pour nous consoler et nous permettre d’établir des ponts entre l’Evangile et ses peuples. C’est ainsi que nombre de nos pères ont vu la trace du Christ avant son Incarnation dans la philosophie grecque.

Mais le Christianisme n’est pas fondé sur une quelconque philosophie. Il ne se confond pas non plus avec ce qui lui est extérieur, c’est à dire que les dogmes n’ont pas été «montés» en conciliant L’Evangile et la philosophie. C’est de la même manière que l’Eglise n’a pas été conçue comme un mélange historique entre ses sacrements et une quelconque nation.

Je suis ainsi libanais et oriental de par mon corps – mon état terrestre. Et ceci me plaît et mes goûts s’y identifient, mais mon identité ecclésiale n’a rien à voir avec le corps de ce monde, ni sa mémoire ni son agitation. Et quand tu seras enseveli sous terre, la patrie en toi sera ensevelie aussi, mais l’Esprit Saint sauvegardera tes os pour les faire renaître le jour du jugement et pour que Dieu t’interroge sur ce que tu as fait de ton Baptême.

Nous avons dans mon Eglise, le premier dimanche du grand carême un texte important [NDLR: le Synodikon] qui contient des bénédictions mais aussi des anathèmes qui font sortir nommément les hérétiques de l’Eglise. Parmi les choses auxquelles nous renonçons figurent certains «enseignements grecs» pour signifier des parties de la philosophie. Tout cela pour que nous nous souvenions que Dieu ne rend éternel que ce qui est éternel. Ceci s’applique à ce que nous refusons de la civilisation moderne et tout ce qui s’écarte de l’inspiration divine ou s’oppose à elle.

Tu peux bien sûr user d’anciennes formules ou te dispenser de le faire selon tes besoins éducatifs. Le moule n’est pas important. Ce qui l’est, c’est que tu restes fidèle et que tu couses de nouveaux habits à la Vérité Eternelle qui t’a été confiée. Ceci peut expliquer certaines modifications dans les rites ou bien dans l’organisation des offices.

Le corps du Christ n’a aucun vêtement. Les impies dans les temps anciens ont déjà déchiré ses vêtements, et toi tu peux les lui changer par amour, mais le corps divin nu reste adoré et commande l’univers et l’histoire. Et la Parole Divine, qui est le Christ, institue les paroles qu’il veut pour atteindre les intelligences d’aujourd’hui et ainsi empêche chez nous les accumulations de ce qui doit disparaître. Ceci intervient dans chaque véritable courant de renaissance.

Si ce que je viens de dire est la révélation reçue par les églises alors, que ni l’histoire, ni la fierté historique ne la divise [l’Eglise], ni même une langue non plus d’ailleurs. Nous sommes un dans cet orient, que nous soyons syriaques, byzantins ou arméniens parce que l’Evangile est Un. Les traditions qui se sont formées pour la sauvegarde de l’Evangile et sa transmission sont échangeables entre nous et chaque groupe s’enrichit ainsi de l’autre.

Tout cela peut être organisé si le but recherché est que nous soyons une seule Eglise. Nous ne devons pas nous mettre d’accord sur tout ce qui est éphémère. Chacun d’entre nous garde ses racines historiques et culturelles, et nous nous consultons dans un mouvement perpétuel de rencontre pour que nos expressions et nos concrétisations soient convenables au regard du siècle moderne ; mais surtout convenable à la proclamation de la Bonne Nouvelle par le seul Evangile. Car, ce que Dieu veut pour nous, c’est que nous soyons fidèles à la Parole telle qu’Elle s’est manifestée à travers les grâces de l’Esprit.

A partir de là, la mémoire historique d’un peuple ne peut l’exclure des autres. Celle-ci est investie au service de la rencontre entre les peuples et de la diffusion de l’Evangile vivant auprès de tous.

Et, grâce à cette liberté que nous aurons acquise du Christ, nous augmenterons nos capacités à rencontrer ceux qui ne sont pas de l’Evangile. Ceux là verront, le moment venu, que notre langage est le leur, que nos habits sont les leurs et que nos souffrances sont les leurs. Nous serons ainsi du même pays et de la même région. Nous nous associons à tout leur rayonnement humain, et nous serons, eux et nous, comme une lumière qui jaillit d’une seule terre et d’une seule mémoire.

L’union des chrétiens à l’unique Esprit Divin est indispensable à l’accomplissement de l’unité de civilisation entre nous et ce grand orient.

Traduit par Père Marcel et Claudine Sarkis

Texte Originale: – « القومية أو الثقافة في الكنيسة » AN-Nahar – 12.07.03

Bulletin «Le Bon Pasteur» n°7 – juin – septembre 2007

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