2006, An-Nahar, Articles

Cana / le 05.08.2006

Il y a quelques années, de passage à Cana, mon guide me fit visiter les tombeaux des martyrs du massacre perpétré par les Israéliens en 1996. Serrées les unes aux autres, ces sépultures témoignent de l’iniquité et du silence des peuples. Après le nouveau massacre, j’ai vu les corps des enfants portés par les secouristes de la Croix Rouge. Je les ai vus, assassinés, dans toute leur innocence. Ont-ils été ensevelis? Leurs proches ont-ils pu recueillir leur dépouille? Sont-ils eux aussi morts dans ce massacre? Israël au cœur sec est l’ennemi de la tendresse (de l’enfance). Il dénie toute vie prospère à ceux qu’il nomme les « gentils ».

Ceux qui appellent (prient) le Christ dans leurs épreuves, ont recours à Lui dans les différentes étapes de Son passage sur terre. Mon lecteur n’est pas sans savoir que le Bible mentionne très peu l’enfance de Jésus. J’aime lire dans l’Evangile de Luc ce qu’il dit de l’enfance du Seigneur: « Cependant l’enfant croissait et se fortifiait en esprit, étant rempli de sagesse; et la grâce de Dieu était sur lui » (2: 40).

Israël n’a pas permis aux enfants de Cana de croître et de se fortifier en Esprit car ce sont des Gentils (Goïm en hébreu). Il lui est égal qu’ils meurent ou qu’ils vivent, ils ne sont pas les enfants de la promesse. Il lui suffit que les enfants juifs grandissent, qu’ils soient forts de corps et de tête, qu’ils poursuivent des études à l’Université Hébraïque de Jérusalem (Al-Quds) ou ailleurs, qu’ils s’entraînent au maniement des armes pour tuer tout ceux qui entravent leurs conquêtes.

Tu aimes les bourgeons, car tu attends l’éclosion des roses. Tu crains qu’on ne les cueille avant terme car tu aimes leur complétion. Nous pleurons tous les bourgeons fauchés. Israël pleure uniquement Israël afin de témoigner de son Dieu, Dieu tribal, vainqueur des autres dieux. Il est inadmissible à aucun dieu que les enfants du Liban meurent. Les enfants du Liban n’ont pas de technologie pour « s’émanciper », ils n’auront pas d’avions de combat dans leur petit pays. Leur existence n’est qu’adhésion à leur terre pauvre. Un poète hébreu a dit, il y a longtemps en Irak : « Fille de Babel qui doit périr, heureux qui te revaudra les maux que tu nous a valus, heureux qui saisira et brisera tes petits contre le roc! » (Psaume 137: 8 et 9).

Après cette maudite guerre, qui apprendra aux juifs à aimer les enfants des Gentils comme leurs propres enfants? Qui leur redira les paroles de Jésus de Nazareth : « Laissez les petits enfants et ne les en empêchez pas de venir à moi; car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume des Cieux » (Matthieu 19: 14).

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Notre grand problème avec nos assaillants n’est pas uniquement la paix pour le Liban dont nous ne savons pas l’échéance ni même la probabilité. C’est leur problème avec eux-mêmes qui est en cause. Dieu les inspirera-t-il un jour, en dépit de leur haine, de croire à l’enfance et de traiter tous les humains avec gentillesse. Je ne dénie à aucun Israélien son amour pour ses enfants, c’est viscéral. Je ne dénie à aucun juif hors d’Israël, ou non « israélisé » mentalement, d’aimer les enfants des autres.  Si la conviction est ancrée, dans cet Etat militarisé, que tout enfant arabe est un soldat en puissance qu’il craint, son comportement vis-à-vis de cet enfant serait-il conditionné par cette crainte, selon la méthode de la guerre préventive adoptée par George Bush fils? Selon cette logique admise par certains néoconservateurs américains, l’assassinat préventif des enfants est une chose très plausible. Si une guerre préventive a besoin d’être basée sur le mensonge comme ce fut le cas en Irak, le génocide des enfants étrangers a besoin d’être basé sur la haine.

Nous aimons les individus juifs, selon notre tradition, en dépit de nos divergences sur l’appréciation de leur théologie. L’Islam n’a, par contre, aucun problème avec le judaïsme même si il l’avait durant la vie du Prophète. Les juifs n’ont jamais bénéficié d’autant de liberté qu’en terre d’Islam. Nous nous en souvenons, nous autres personnes âgées, de cette grande liberté dont ils jouissaient en Egypte et dans les pays du Maghreb. Mais aujourd’hui, un problème difficile nous sépare: Cana. Ce problème ne peut être résolu que si les israéliens se repentent sincèrement et admettent que nos enfants et leurs enfants sont égaux. Il aurait mieux valu qu’ils perdent des batailles que de tuer un seul enfant du Sud. Henri Bergson a dit que si l’assassinat d’un seul enfant devrait sauver la terre, que la terre soit détruite et que cet enfant vive.

Aucune nation ne peut être aussi militarisée que celle qui nous détruit et conserver en elle de la compassion. Qu’elle construise des usines et produise des armes, son cœur demeurera entaché et habité par le démon.  Selon la tradition hébraïque les enfants ne sont pas les seuls à subir la maltraitance, les adultes aussi ne bénéficient d’aucune pitié. Dans le Deutéronome, il est dit: « Lorsque tu t’approcheras d’une ville pour la combattre, tu lui proposeras la paix. Si elle l’accepte et t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouve te devra la corvée et le travail. Mais si elle refuse la paix et te livre combat, tu l’assiégeras. Yahvé ton Dieu la livrera en ton pouvoir, et tu en passeras tous les mâles au fil de l’épée. Toutefois les femmes, les enfants, le bétail, tout ce qui se trouve dans la ville, toutes ses dépouilles, tu les prendras comme butin. Tu mangeras les dépouilles de tes ennemis que Yahvé ton Dieu t’aura livrés. C’est ainsi que tu traiteras les villes très éloignées de toi qui n’appartiennent pas à ces nations-ci. Quant aux villes de ces peuples que Yahvé ton Dieu te donne en héritage, tu n’en laisseras rien subsister de vivant. » (20: 10-17) De même dans le livre de Josué: « …ils s’emparèrent de la ville. Ils vouèrent à l’anathème tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu’aux taureaux, aux moutons et aux ânes, les passant au fil de l’épée. » (6: 20 et 21)

Un peuple, dont la pensée (philosophie) est telle, exécutée en Palestine par les gangs Irgun et Stern lors du mandat anglais, a besoin d’être prêcher pour renier totalement le sionisme, sinon chez lui, toute douceur sera fausse, toute miséricorde bannie. Cana continuera donc à être l’exemple de ses actes militaires.

Il est impératif que les assassins qui ont commis le crime de Cana soient châtiés. Une commission internationale doit définir la responsabilité d’Israël dans ce massacre perpétré à l’encontre de la Charte des droits de l’homme. Passer outre un tel châtiment, accorderait au criminel la possibilité de récidiver quand bon lui semble. « Dans le châtiment vous aurez la vie ». Afin que les blessés et les parents des victimes ne deviennent la proie de la haine. Par le châtiment viendra la guérison des cœurs pleins de haine et leur possible repentance.

Ce n’est qu’ensuite –et non avant– que peut survenir la paix, une paix qui à elle seule n’a pas pouvoir de guérison sur les cœurs meurtris. Les Libanais qui ont subi ce qu’aucun autre Etat arabe n’a supporté serons les dernier à signé la paix pour se garantir des horreurs du bombardement, de la destruction et de la mort répétées fois après l’autre. Afin que le pays se relève (renaisse) et pour éviter tout récidive de la catastrophe, nous sommes supposés former une société unie, sans dissension aucune. Aucune ville, aucun village, aucune localité ne doit supporter le calvaire de Cana, et l’innocence ne doit pas déserter les cœurs. Ceci implique une sensibilisation mondiale, une conscientisation à l’échelle des Etats de l’existence même du Liban. Ce beau pays si doux ne demande rien d’autre que d’éviter les agressions répétées. Ce serait une catastrophe pour l’humanité entière si nous devenons un pays complètement détruit.

La gloriole de l’Etat d’Israël doit disparaître à jamais pour que notre pays soit préservé (ne soit pas incinéré). Israël ne trouvera pas de repos si nous pleurons les « larmes de la nuit » comme dit Jérémie. Nos enfants ne doivent pas errer prisonniers et orphelins. Dieu éloigne ta colère de notre terre, donne-nous ton Esprit consolateur afin que personne ne nous engloutisse. Aies pitié de nous, O Dieu notre Sauveur. « Les enfants et les vieillards sont couchés par terre dans les rues« . Dieu ne permets pas que les os de nos enfants et de nos jeunes soient brisés. Tes miséricordes sont infinies. Préserve la dignité de notre vie car nous t’adorons. « Notre partage a été la terreur et la fosse, Le ravage et la ruine. » (Lamentations de Jérémie). « Les enfants demandent du pain, Et personne ne leur en donne.« 

Ne nous prive pas de nos chants, nous sommes le pays de la joie. Ne détourne pas Ta Face dans ces jours de malheur. Ne nous oublies pas et rends-nous ce que nous avons perdu, car nous croyons que Tu es la Vie et la Résurrection. Ne nous écarte pas jusqu’à l’éternité, éloigne de nous Ta Colère. Viens Dieu, viens et prends soin des victimes immolées à Cana, au Sud, dans la banlieue et toute région sinistrée. Rends-nous notre enfance et considère-nous innocents par notre retour vers toi, aussi innocents que les fils de Cana la bien-aimée.

Traduit de l’arabe.

Texte Original: « قانا » – 05.08.2006

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