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2008, An-Nahar, Articles

Le Jugement / le 6.12.2008

L’image de Dieu comme Juge nous est omniprésente. Dieu a confié à l’homme la  gérance de la terre afin que celui-ci profite de ses fruits et la Lui rende fructifiée. Tout ce que Dieu a créé est censé Lui revenir avec force et gloire. Ce qui était poussière doit ainsi s’habiller de lumière, au Dernier Jour, afin que Dieu y reconnaisse Sa création. Le Créateur demande à la créature de rendre compte de ce qu’elle a fait d’elle-même et de la terre qui lui était confiée. Il lui demande aussi de Lui parler de la nature des efforts qu’elle a mis dans ce monde et des résultats obtenus, d’ailleurs toujours inachevés. En ce faisant, la créature sera appelée à réaliser qu’elle a été créée à l’image et à la ressemblance de Dieu.

L’homme fait corps avec toute la création. C’est pourquoi la question qui lui est posée au Jour Dernier est:

‘Qu’as-tu fait de ton âme, de ton frère et de la terre dont je t’ai fait le maître pour la servir afin qu’elle puisse te servir en retour? As-tu donc négligé ton âme, ton frère et le monde amenant l’aridité à prédominer sur cette création qui M’a plu quand je l’ai créée?

Te souviens-tu que J’ai dit: ‘Que la lumière soit, et la lumière fut’. Et que Je ‘vis que la lumière était bonne’ (Gen. 1, 3 et  4)?’

Je ne pense pas que ces paroles se réfèrent uniquement à la lumière sensible, mais aussi à la grâce répandue par la lumière sur toute la création. Quand le monde est illuminé, il génère toutes les créatures mentionnées dans le Livre de la Genèse. Ce qui illumine ainsi les créatures est bon aussi puisqu’il vient d’en haut. L’homme est appelé à mélanger cette lumière à la matière, dont il est issu, ainsi que toutes les autres créatures.

L’homme se transforme en feu quand il admet qu’il a été créé par la Parole de Dieu. Dans le récit de la Création, il apparaît que toutes les créatures ont été créées aussi par cette même Parole. Par la suite, après une longue évolution, la prophétie s’est manifestée aussi par la Parole. Cette Parole transforme  l’homme en un être fait à la fois de cette terre et du ciel. La matière en lui décroît quand il sait tirer profit de la lumière qui l’habite. Les ténèbres n’auront de cesse de combattre l’homme pour chasser la lumière qui est en lui, étant entendu qu’il peut aussi amener cette lumière à refouler les ténèbres. Il est le théâtre de la lutte entre la lumière et les ténèbres. Quand il accepte d’être le théâtre de Dieu seul, Il livrera le bon combat pour que Dieu soit le seul propriétaire de sa demeure. La grâce de Dieu agit alors en lui. Son combat sera légitime seulement quand il utilisera les armes de la lumière. Il ne connaît rien des arts de la lutte spirituelle s’ils ne lui sont enseignés par Dieu. Dieu lui enseignera toute chose par Sa grâce. Si l’homme refuse de livrer bataille selon les critères de Dieu, il livrera en fait son âme à l’ennemi. Puisque Dieu lui a donné son âme, l’homme est tenu d’utiliser, dans cette bataille, les armes divines trouvées en lui et de s’y agripper. Sinon, il serait en train de fuir vers le néant.

Ce que nous appelons le Jugement consistera en ces questionnements de Dieu:

‘As-tu utilisé les armes que J’ai mis à ta disposition, ou as-tu plutôt esquivé la bataille, laissant l’ennemi s’emparer de toi? As-tu été digne de confiance en ce que Je t’ai confié? Je ne t’ai chargé que de ce tu pouvais assumer, et Je ne te tiendrais rigueur de rien d’autre. D’autres que toi avaient plus d’envergure et Je leur ai confié autant qu’ils le pouvaient. Je leur demanderai donc plus. Tu n’es pas concerné par cette différence entre vous. Je suis le Seul à connaître ces différences. Je te jugerai car ce qui était en toi M’appartient. C’est Moi qui te l’ai confié. Si tu n’en as pas été digne, tu auras abusé de Ma confiance. Je te prie de ne pas te fier à Ma compassion, sans connaître Mon jugement. Tu ne peux comprendre comment J’associe jugement et compassion, que si je ne te le dévoile au Dernier Jour.

Il ne t’appartient pas de dire à l’ange qui te conduira au Jour de Jugement: ‘Pourquoi ne pas m’éviter tout cela?’. L’un de Mes bien-aimés n’a-t-il pas écrit: « Il est terrible de tomber entre les mains du Dieu vivant »? (He, 10, 31). Comment ne pas y tomber, si tu es revenu aux ténèbres après que Je t’aie rempli de lumière? Comment puis-Je ignorer les ténèbres en toi ? Veux-tu que Je les considère comme lumière, quand elles ne le sont pas ? Qualifieras-tu pareille attitude de compassion, de pitié ou de pardon ? Je t’ai parlé de pardon pour que tu ne t’enlises pas dans le monde quand tu te sentiras abandonné en te découvrant émietté. En effet, Je puis faire montre de clémence envers toi dans ce monde, mais Je ne veux pas M’imposer. Tu dois m’appeler à l’aide par la repentance. Ton manque d’attention à ton âme te fait toujours reculer le temps de la repentance, croyant le remplacer par la confiance en Mon pardon. Tu es appelé à œuvrer avec Moi. Tu dois faire montre d’obéissance et de docilité. En tant que créature, Je t’ai donné la liberté mais Je ne t’ai jamais fait croire que J’en étais un substitut. Une fois que tu y auras goûté, Mon amour te conduira à toute la vérité. Mais, ne pense jamais que Je t’y forcerai, car Je serais en train de battre en brèche cette liberté que J’ai voulu en toi. Il te faut bien en comprendre le sen et savoir comment me rencontrer à travers elle. On a écrit que Je t’ai confié des talents pour les faire fructifier. Je t’en demanderai compte. Si tu n’as pas bien su les utiliser, comme les gens du monde le font en plaçant leur argent, tu n’auras pas de part d’héritage en Moi, de cet héritage que J’ai préparé pour ceux qui savent obéir.

Je te questionnerai sur tout le bien et tout le mal que tu as pu commettre. Le bien vient de Moi et le mal, de toi. Tu aurais dû le disperser. Ne dis pas que des circonstances extérieures t’ont poussé au péché. Aurais-tu oublié que Je t’avais fait profiter de circonstances bien meilleures, qui sont celles de la grâce, et que Je t’ai aimé bien plus que tu n’aies jamais aimé ton âme? En fait, tu n’as pas su l’aimer, lui préférant tes péchés.

Ne crois pas que J’ai chargé Mes messagers de t’imposer des commandements pour te rendre la vie plus difficile. Il n’est pas dans Ma nature de faire souffrir ceux que J’aime. Or, Je t’ai aimé et tu n’as rien compris. Je t’ai servi et tu ne t’en ais pas rendu compte. Ton péché est de ne pas avoir ressenti Ma présence, mais seulement les mirages de ton imagination et les passions de ton corps. Tu t’es enorgueilli du fait de ta beauté et de ce que tu considérais valable en toi. Or tout cela est l’œuvre des hommes.

Mes anges t’introduiront devant Moi. Je te rappellerais tout ce que tu as fait. En fait, tu n’aimes pas oublier les plaisirs auxquels tu t’ais livré plutôt qu’à la joie que t’aurait procuré les vertus dont je t’avais entretenues et qui t’auraient aidé à te glorifier. Je te dirai tout cela pour que tu sortes de cette longue inconscience dans laquelle tu t’ais complu, afin que tu puisses vraiment lire en toi, ce que tu n’as d’ailleurs jamais aimé faire. Je te dévoilerai tout que tu as accompli, en actes, en paroles et en pensées, toutes choses que tu t’acharnais à ne pas voir.

En ce Jour Dernier, Je te ferais découvrir ce que tu es vraiment. Tu en seras certes perturbé, car l’homme ne peut pas voir la laideur sans relents de mort. Je suis le Dieu de la connaissance. Je ne peux sauver qui serait dans l’ignorance de ses actes. C’est pour cela qu’au Jour Dernier, il te faudra lire en toi-même, comme Moi, Je te lis.

Après avoir vu ta laideur et être parvenu à discerner en Moi un rayon de lumière, tu Me demanderas alors de te débarrasser de cette laideur. Je te purifierais avec l’eau de cette dernière parole: ‘Je t’aime parce que tu es Mon fils, malgré tes nombreux moments d’inattention, où tu as voulu Me nuire. Je créerai en toi de nouveau l’amour des beautés célestes’.

Voilà que tu te tiens nu devant Moi. J’ordonnerai à ton ange de te couvrir du vêtement d’or qui te permettra de t’asseoir avec les saints qui M’ont plu, avec lesquels Je t’unifierai, bien que ton comportement à toi sur la terre ne M’ait pas plu. Et quand Je te croiserai sur les chemins célestes, Je ne te verrais plus qu’habillé de ce vêtement d’or. Tu seras alors enfin convaincu que c’est Moi qui en ai couvert ta nudité.

Entre donc, Mon bien-aimé. Bien que Je t’aie convoqué en vue du jugement, Je ne te condamnerais point’.

Published Saturday December 6, 2008  in the © An-Nahar, Lebanese news paper.

Translated from Arabic.

Original Arabic text:الدينونة

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Les cadeaux / le08.11.2008

Un de mes amis se sent très gêné quand il reçoit des cadeaux. Je parle évidemment de petits cadeaux tels un livre ou un stylo parce que je connais peu de gens qui reçoivent des cadeaux plus importants. Au fond de moi-même, je me sens toujours être un petit garçon du quartier chrétien (Harat al Nassarah) d’une de nos villes côtières. Je connais certes les évènements historiques qui ont amené les chrétiens à se confiner dans de tels quartiers. Ce fut là une injustice que j’ai fini par accepter, car il est vain de contester le cours de l’histoire. Celui qui accepte ainsi les temps passés, qui font partie intégrante de son soi, est souvent taxé d’apathique ou d’incapable. Comment peut-on être incapable face aux choses révolues?

Je me sens toujours appartenir à ce quartier chrétien, solidaire de tous ceux qui y trouvaient leur raison de vivre en se nourrissant des beautés lues ou psalmodiées dans la grande église de ce quartier, dont mon grand-père participa à la construction. La situation de mon père m’a permis, par la suite, de quitter ce quartier et de faire des études ailleurs. Malgré ce que  j’ai tiré de ces études, je me rends compte, maintenant, dans ma grande vieillesse, que je suis resté un habitant sans visage de ce quartier chrétien. Cela ne m’attriste guère. Toutes mes connaissances s’étonnent de ce que je ne sais pas conduire une voiture et que je n’en ai jamais eu une. Celle que j’utilise pour remplir mes responsabilités pastorales ne m’appartient pas. Elle appartient à l’institution que j’essaie de gérer de mon mieux et dont je suis le pasteur.

J’ai conscience que personne n’aime être pauvre. Quant à moi, la pauvreté me protège. Je suis convaincu qu’en sortir ferait courir des risques au salut de mon âme. Je me suis décrit plus haut comme si j’habitais encore ‘Harat al Nassarah’, bien que je réside maintenant au Mont Liban, où l’on peut, à sa guise, choisir de rester pauvre, ou de se débarrasser de la pauvreté autant que faire se peut. Pour ma part, je ne veux pas m’en débarrasser. Je me complais à n’être rien, et j’aurai préféré que personne ne se rende compte de mon existence. Je souffre de n’être pas resté inconnu, à cause de la mission que Dieu m’a confiée.

Je voudrais être connu de Dieu seul, bien que je craigne qu’il ne me connaisse dans ma pauvre réalité psychologique. Qu’est-ce qu’il en dira? Je ne le saurai qu’au Dernier Jour. Mon plus cher désir étant d’être complètement oublié, je me demande pourquoi je vous entretiens de ces choses. Serais-je assez fat pour me donner en exemple? Voudrais-je, plutôt, encourager le plus grand nombre, quelque soit leur appartenance religieuse, à devenir aussi habitants du quartier de l’oubli?

Le peu de temps qui me reste à vivre m’autorise à vous dire, en toute humilité, que mon plus vif souhait consiste en ce que vous acceptiez tous, mêmes les plus riches, d’être totalement ignorés. En ce faisant, votre âme coupera toute relation avec l’argent, même si vos poches et vos comptes en banque en resteront pleins. Un de mes amis, qui vivait à l’étranger, était très riche tout en restant un ‘pauvre en esprit’ selon Matthieu. Il était, lui aussi, originaire de Harat Al Nassarah. Il n’en était jamais sorti sur le plan spirituel, tant il tenait à distribuer son argent pour ne pas s’y attacher. On ne peut à la fois refuser de donner et vouloir appartenir à Harat Al Nassarah.

Ne considérez pas ce que je vous dis comme venant d’un maître, car je suis encore un élève dans ce domaine. Je vous dis cela parce que je crains que vous ne perdiez votre âme en vous acharnant à gagner le monde et vouloir à tous prix y être reconnus. Je connais toutes les théories qui encouragent à amasser de l’argent. Plus on a de l’argent, plus on a l’impression d’être forts, quand en réalité on ne l’est point. Bien que j’aie étudié la comptabilité autrefois, je suis loin d’être un expert dans l’art de faire fructifier l’argent. Cependant, je connais la force de cet ennemi, capable de se transformer en serpent dans les poches, toujours prêt à mordre celui qui l’accueille, ainsi que tout l’entourage dont celui-ci s’entoure pour avoir la satisfaction d’y exercer son autorité. L’argent lui fait alors croire qu’il est comme un dieu. Or, Notre Seigneur nous a dit, par Moїse: «Je suis le Seigneur Ton Dieu, qui t’ai fait sortir d’Egypte, du pays de la servitude. Tu n’auras d’autre dieu que Moi». En général, le riche préfère ne pas entendre de tels propos, car il pense avoir trouvé sa force en ce qu’il possède. En effet, l’argent représente bien une force dans ce monde. Mais, si l’on veut dépasser ce monde, cette force devient l’ennemie de nos âmes occultant la vision que seules celles-ci peuvent avoir de Dieu.

Il faudrait toujours se demander si l’argent est devenu une partie intégrante de nous-mêmes, et s’il régit nos relations avec autrui et l’entourage, affectant la nature même de ces relations. Ou alors, sommes-nous convaincus que l’argent est réservé seulement aux pauvres, afin d’avoir part à la compassion que le Seigneur a pour eux, et en recevoir une récompense? En ce faisant, le cœur s’attachera à ce qu’il ne possède pas, c’est-à-dire à Dieu, qui donne gratuitement à qui Il veut, en vue du salut. Le riche devrait se demander s’il convie les pauvres, simplement pour se glorifier de leur allégeance, ou pour leur distribuer vraiment ses avoirs, acquis légitimement ou non, afin que Dieu voie qu’il a donné des grâces dont il a été comblé. Ce qu’on donne devient légitime, même si son origine ne l’est pas. Les Ecritures affirment que l’argent appartient à Dieu seul, donc à ceux qui ont faim et qui sont dans la misère. En le distribuant, celui qui donne devient l’égal de ceux auxquels il donne. Avant de donner, il est seul, solitaire. En donnant, il entre en communion avec les justes.

Sans doute, l’homme a tendance à thésauriser sur terre par peur d’une maladie ou d’une catastrophe. Or, «l’amour chasse la peur». Ceux qu’on aime seront à nos côtés dans la détresse. Seul l’amour sauve les âmes de leur détresse.

La crise financière actuelle devrait suffire à nous convaincre que personne n’est à l’abri du besoin. Je prie pour que notre pays en soit épargné et qu’on n’ait pas à en supporter de graves conséquences. Je prie pour la quiétude d’esprit de tous nos concitoyens, car je voudrais que personne ne soit vraiment affecté par cette crise. Néanmoins, cette crise nous apprend que les avoirs sont loin d’être une garantie. Par contre, celui qui aime beaucoup recevra de Dieu beaucoup plus de grâces et de biens, pour lui faire réaliser qu’il est chargé de gérer seulement ce qui lui a été donné. Quelle grande grâce que d’être délégué du Très-Haut ! Plus on donne, plus grande est cette délégation. Il faut distribuer nos avoirs aux pauvres pour qu’ils puissent, eux aussi, avoir part à cette délégation divine, plutôt que d’être nos propres délégués. On devient quelque chose quand on donne beaucoup de ce qu’on a, sans attendre des remerciements ni susciter quelque servitude. Les riches, tout autant que les pauvres, sont des créatures faibles, facilement déréglables. Quand on prend conscience de cette finitude, on arrive à comprendre que l’on peut devenir quelque chose. J’ai beaucoup appris de ce dire populaire que ‘personne ne prend rien avec lui dans la mort’. Cependant, nos Pères ascètes nous ont appris que l’homme prend avec lui ce qu’il a donné. Ceux auxquels nous donnons intercéderont pour nous, et Dieu en tiendra compte, le Jour du Jugement.

L’argent ouvre de diverses façons la route du pouvoir. Tout pouvoir est pouvoir sur les hommes. Or, tout pouvoir bien compris doit aboutir en service des autres et se traduire par une politique. J’ai souvent écrit que le pouvoir est responsabilité, responsabilité de servir. Dieu n’a pas d’objection que certains aient beaucoup d’argent, pourvu qu’ils ne se considèrent pas en être les propriétaires, quand ils en sont seulement les gérants. Dieu a mis la responsabilité de l’amour sur les épaules des riches. Or, l’amour vrai se donne, sinon, il devient inopérant, comme toute autre possession gardée exclusivement pour soi. En fait, il s’agit de se comporter comme les pauvres, c’est-à-dire en apprenant à user avec la tempérance des biens de ce monde. N’avons-nous pas lu que «la vie de ce monde n’est qu’une puissance temporaire qui éblouit» (Le Coran, Sourate du fer, verset 20). Et encore: «Sachez que la vie de ce monde n’est qu’un jeu et une frivolité; un vain ornement; un désir de gloriole parmi vous» (ditto, ditto, verset 19). Ces deux versets nous engagent à nous demander comment se débarrasser de l’égoïsme, ‘du jeu, des frivolités, des vains ornements’, pour accéder à la vérité et au partage. Le partage suppose forcément la distribution des richesses. C’est là un commandement ou, si vous voulez, une disposition légale, selon la terminologie de la religion à laquelle vous appartenez. Si vous vous contentez de ce monde et de ses fioritures, il n’y aura guère de compassion en vous. Et ce n’est pas à moi, pauvre enfant de Harat Al Nassarah, de se demander quel sera votre sort au Jour Dernier. Cela n’est connu que de Dieu seul. La vue d’un pouvoir attentif aux autres m’émeut jusqu’aux larmes. Par contre, la vue de ceux qui laissent peu de place en eux à la souffrance des autres, me fait beaucoup souffrir.

Donnez sans attendre de contrepartie, si vous voulez habiter, dès maintenant, le Royaume de la vérité et de la justice. Celui qui donne dans la jubilation sera alors comme celui qui reçoit dans la joie. L’argent ne pose de problèmes que si son propriétaire le garde uniquement pour lui-même ou s’il pose des conditions à sa distribution.

Il nous faut prendre tout le monde dans notre affection. Entrons tous ensemble, dès aujourd’hui, dans le Royaume de la joie. La joie n’est pas œuvre humaine. Elle est une grâce de Dieu. ONG, œuvrant au Liban, s’appelle ‘oasis de la joie’. Elle s’occupe des handicapés, indépendamment de leurs confessions. Pourquoi les riches ne se regrouperaient-ils pas dans une telle oasis, pour promouvoir le don gratuit, l’attention personnelle à ceux qui sont dans le besoin ou affectés d’un handicap? Quand est-ce que ces personnes seront perçues comme une couronne de gloire sur la tête des riches? Quand cesserons-nous de distinguer entre quartier de riches et quartier de pauvres, afin d’habiter tous le même quartier de Dieu, ou plutôt son ciel sur la terre, ce ciel qui nous est ouvert, dès maintenant, si nos âmes se remplissent de la présence de l’autre comme un reflet en nous de la présence de Dieu. Le Liban sera-t-il un jour une telle oasis de Dieu, où l’orgueil des uns et la détresse des autres seront dépassés? Dans une telle oasis, Dieu agira par les mains qui donnent et par celles qui reçoivent. Ces mains agiront ainsi en rendant grâce à Dieu et en le proclamant seul Seigneur et Maître. Celui qui aime se dépouille de la passion des ‘vains ornements, du jeu et des frivolités’, pour que seule la Face de Dieu, faite de grandeur et de vénération, prédomine sur l’arène des relations humaines.

Traduit de l’arabe

Texte Original: « الهدايا » – 08.11.2008

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La Souffrance / le 12.04.2008

Tout questionnement sur la souffrance, sur ses causes, sa raison d’être, sa nature et sa place dans l’existence est un questionnement ardu. Celui qui souffre peut avoir des éléments de réponse à un tel questionnement, mais beaucoup de raisons l’empêchent souvent de le faire. Les autres se contentent de prendre acte de sa souffrance. Ils tentent parfois une explication. Mais, ce qu’ils peuvent faire de mieux est simplement d’essayer de compatir avec celui qui souffre. Quoiqu’ils fassent, il ne peuvent pas habiter un corps souffrant, ni se substituer à une âme en peine, car la souffrance d’un autre lui reste entièrement propre, comme l’exprime le psalmiste, en disant: ‘Ma souffrance est toujours devant moi’.

J’en connais qui ont eu à subir plusieurs épreuves dans leur vie. Certains ont été éprouvés chaque jour, au fil des années, et d’autres seulement de temps à autre. Il y en a qui vivent dans la douleur leur vie durant. Ceux-là souffrent d’un mal que les médecins qualifient de déficience chronique. Par réalisme, ou par souci de les calmer, les médecins leur disent souvent qu’un tel mal les accompagnera jusqu’au tombeau. Isaïe décrit de tels maux, disant: ‘Mes reins sont parcourus de frissons; je suis la proie des douleurs, comme les douleurs de celle qui enfante; je suis trop bouleversé pour entendre, trop effrayé pour voir’ (Is. 21: 3).

Ces maux sont souvent accompagnés d’une tristesse latente qui se transforme en une sorte de gémissement intérieur et flirte avec le désespoir. L’inquiétude, l’angoisse et un état de désarroi et de crispation viennent s’y greffer, ajoutant aux douleurs physiques ces douleurs psychologiques. Ces changements, psychologiques et physiques, sont perçus par les humains comme une dérogation à une norme générale qui serait d’être en bonne santé. Cette norme est certes vraie pour l’homme tel que Dieu l’a voulu lors de la Création et tel qu’il était avant la chute. Mais, aujourd’hui, nous pouvons seulement constater que toute créature raisonnable est vulnérable dans son corps et son esprit et devient sujette, à un moment ou un autre de sa vie, à des troubles importants. La norme de la Création ne peut plus être expérimentée, ici et maintenant, que sous sa forme déchue. Elle ne nous sera redonnée qu’au Dernier Jour.

Nous n’avons donc d’alternative, sur cette terre, que de vivre dans cette espérance, tout en confiant à ceux qui nous aiment les blessures de notre âme et aux médecins, celles de notre corps. Il s’agit de nous convaincre que notre corps, notre cœur et notre esprit sont plus ou moins déchus, et que nous ne pouvons jamais compter sur une parfaite bonne santé. Cela n’est plus possible ici-bas. Mais, la théologie orthodoxe nous enseigne que le but de l’ascèse et du combat spirituel est d’atteindre la quiétude (l’hésychia), c’est-à-dire la libération totale des passions et par conséquent la libération de l’emprise psychologique de la douleur, même si le corps continue de pâtir de sa décrépitude. Nous appelons hésychastes ceux qui sont parvenus à une telle liberté. Dans la mesure où nous nous détachons ainsi de l’emprise des douleurs, tout en restant cloué sur leur croix, nous revenons vers le norme première de la création. Comme si nous étions au Paradis d’avant la chute d’Adam. Ou, comme si nous étions déjà parvenus au Royaume à venir, dans la présence ineffable du Christ. Il nous est alors donné de goûter à notre salut dans ce monde. Une telle transfiguration ne nous délivre pas des tentations, mais est un gage que nous devenons à nouveau habitants du Royaume, chaque fois que nous en sortons vainqueurs,

Après la mort, nous atteindrons la paix et la quiétude, car nous n’aurons plus d’occasion de chute et nous jouirons de la miséricorde divine. Par contre, ici-bas, il y aura toujours des personnes qui atteignent la quiétude et d’autres qui resteront perturbées jusqu’au jour où elles réaliseront l’amour divin déversé sur elles. En attendant, il leur faut acquérir la grâce de la patience et apprendre à la cultiver, tout en poursuivant les traitements médicaux qui tentent de soulager le corps. Il leur faut aussi s’attacher à habituer leur esprit à la retenue, afin de ne pas troubler les autres par leurs plaintes. Tout en étant convaincus que la guérison est entre les mains de Dieu seul, nous pouvons nous permettre de nous plaindre seulement devant nos proches, car ils sont les plus à même de partager nos douleurs.

* *  *

Certes, nous craignons tous la mort. Nombreux sont ceux qui savent même qu’elle est proche. Mais, il n’y a jamais de certitude, car la fin de la vie ne dépend pas de nous. La mort est un mystère que nous ne pouvons pas percer. Des médecins avaient donné une espérance de vie de quelques jours à un de mes proches qui était atteint d’un cancer, or il est toujours vivant, à ce jour, quinze ans après ce diagnostic. Etait-ce une erreur médicale? S’est-il produit un miracle? Dieu permet-il à l’homme de se libérer ainsi des lois naturelles?

D’ailleurs, qu’est-ce qu’une loi naturelle? Mon Eglise croit que c’est l’ordre établi par Dieu après la chute, destiné à régir notre nature déchue. Rien ne l’empêche pourtant, dans Sa souveraine liberté, d’en libérer quiconque, s’Il veut, dans Sa Toute Compassion, lui faire revivre l’ordre humain d’avant la chute, comme s’Il en faisait un habitant du Paradis. Le bon grain et l’ivraie voisinent dans le terreau de notre humanité. Seul, Dieu les distinguera au Dernier Jour. Ce mélange habite aussi le cœur humain, sauf s’il a traversé le feu d’une réelle repentance.

Ceux qui souffrent se demandent souvent: pourquoi moi? Qu’ai-je fait à Dieu pour mériter cela? Ils vivent la douleur comme un châtiment. Or, il n’en est pas un. Dieu ne connaissant ni haine, ni colère, ni agressivité, Il ne peut donc nous plonger dans un enfer de souffrances. Dans le Coran, les expressions ‘souffrance douloureuse’ ou ‘reproche douloureux’ sont en effet mentionnés, mais elles le sont seulement en référence au feu éternel. Dieu ne connaît pas la vengeance.

Il est permis de dire, à la suite de l’Ancien Testament, que Dieu nous éduque par la souffrance. Mais, ce dire interpelle seulement celui qui souffre. Il ne faut jamais considérer la souffrance des autres comme un moyen d’éducation. Cela en ferait une expression de vengeance ou de haine. Il ne nous est aussi pas permis de dire que le péché des uns a été transmis à leurs enfants pour les éduquer. En effet, Ezéchiel réfute ce dire, en s’exclamant: ‘Qu’avez-vous à répéter ce proverbe au pays d’Israël: Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des fils sont agacés … Celui qui a péché, c’est lui qui mourra’ (Ez. 18: 2 et 4).

Cela signifie-t-il que la mort soit entrée dans la nature humaine à cause du péché? Paul n’affirme-t-il pas que ‘le salaire du péché, c’est la mort’? (Rom 6: 23). Les Ecritures affirment aussi que tout homme est pécheur, donc appelé à la repentance. L’homme que nous connaissons est celui d’après la chute première de l’humanité, donc sujet à la mort. Il ne nous est pas possible de croire qu’il en a toujours été ainsi, ce qui voudrait dire que Dieu l’aurait programmé, lors de sa Création, en vue de la mort. Cela irait à l’encontre de ce que nous savons de Dieu.

Certains affirmeront que la mort n’est une question de potassium et de sels minéraux, composés du corps qui seraient perturbés par un certain nombre de maladies. Pourtant, les malades et ceux qui ne le sont pas expérimentent tout autant la mort du cerveau, puis celle du cœur. La mort reste un mystère pour tous. En vérité, les paroles de Paul: ‘le prix du péché est la mort’ ont été exprimées dans le contexte d’un discours sur la sainteté, où il dit: ‘Libérés du péché et asservis à Dieu, vous fructifiez pour la sainteté, et l’aboutissement, c’est la vie éternelle. Car le salaire du péché, c’est la mort, mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle dans le Christ Jésus notre Seigneur’ (Rom 6: 22-23). Le souci de Paul n’était donc pas de lancer un défi au mouvement biologique de l’homme en le liant au péché, mais plutôt de défier et de confondre le péché par la vie nouvelle en Christ.

Les chrétiens n’ont aucune philosophie du mal. Nous n’y reconnaissons qu’un manque de bien. Nous n’essayons même pas de l’expliquer. Tout ce que nous disons, c’est que le mal existe et qu’il conduit à la mort. Nous croyons aussi que le Christ est descendu aux abords de la mort, y est resté trois jours et a vaincu la mort par la mort. La vie divine qui est en Christ, est entrée dans le domaine de la mort et y a introduit la vie éternelle. Notre attitude envers la mort n’est donc pas de l’ordre de la philosophie, mais de celui du combat spirituel. Si nous devenons les amis du Christ par la repentance, Il nous remplit de Sa puissance divine et, en nous pardonnant nos péchés, nous fait ressusciter des morts. Nous affirmons qu’alors, il ‘n’y aura plus de mort, de peur, de cri et de peine’ (Ap. 21: 4).

Le problème de la souffrance ne sera résolu que lors de cette dernière vision. Comme le Christ a anéanti la mort par Sa victoire, Il anéantira de même notre mort individuelle, dès aujourd’hui, et dans la compassion ultime de la Résurrection, au Dernier Jour. Au milieu des douleurs du corps et de l’âme, il nous faut donc avoir toujours les yeux tournés vers Celui qui a vaincu définitivement la mort, et qui poursuit Sa victoire en chacun de nous. En nous conviant à demeurer en Lui, Il veut glorifier notre corps, comme il a lui-même revêtu un Corps de Gloire.

Traduit de l’arabe.

Texte Original: « الوجع » – 12.04.2008

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