2009, An-Nahar, Articles

Le Christ et les chrétiens / le 16.05.2009

Nietzsche a dit que ‘le dernier des chrétiens est celui qui est mort sur la croix’. Cette parole n’est pas complètement fausse, bien qu’elle n’exprime point toute la réalité, parce que Nietzsche n’a pas connu, ou n’a pas voulu connaître, la splendeur des martyrs et des bienheureux. Ce qui est cependant vrai dans son dire est qu’il ne nous est pas possible de devenir un autre Christ, bien que nous pouvons tenter de beaucoup Lui ressembler. L’homme peut difficilement unifier son cœur, sa parole et son action, comme seul Jésus de Nazareth l’a fait. Il ne peut être, comme  Jésus, un absolu. Pourtant, Jésus n’accepte pas que nous n’aspirions point à l’absolu. La caractéristique du christianisme est de nous pousser à imiter le Christ en tout ce qu’Il nous demande. Le christianisme n’établit aucun toit au-dessus de nos têtes, qui limiterait notre élévation, car plus nous tentons de nous élever, plus il nous fait réaliser que la grâce, qui vient d’en haut, nous élève toujours davantage. Elle ne se suffit pas de nous voir nous approcher du Trône divin, mais voudrait nous y faire vraiment parvenir.

Par Son Ascension, après Sa Résurrection, le Christ a fait que la nature humaine qu’Il avait revêtue, soit assise à la droite même de Dieu. Par Sa totale obéissance au Père, obéissance voulue en Sa nature humaine, et non imposée par Sa nature divine, car il n’existe aucun mélange entre les deux, Son humanité a trouvé sa plénitude dans la divinité qui L’habite. Il accomplissait en tout, et en toute liberté, ce qui plaît au Père. De même, Il veut que nous fassions comme Lui, et de par notre propre volonté, essayer de plaire en tout au Père. Il n’ignore certes pas que nous sommes faits de poussière, mais Il nous appelle à nous libérer autant que possible de nos passions pour qu’aucun péché ne trouve plus place en nous. Il prie constamment Son Père de nous rendre parfaits. Il nous est possible de devenir parfaits dans notre nature humaine, dans la mesure où nous tendons en permanence vers cette perfection, dont notre nature est capable. Nous pouvons ne pas atteindre cette perfection, mais il ne faut jamais cesser de la désirer et d’y tendre. Le christianisme est justement dans cet élan permanent vers la perfection, accompagné d’une tristesse continuelle de ne pas atteindre le but tant désiré. Sans cette tristesse, nous aurions tendance à toujours tenter de trouver des terrains de compromis avec nos transgressions, quelque en soient la grandeur et le nombre. Toute salissure en nous, dont nous serions conscients, est un compromis avec le royaume du Malin. N’en être pas conscients voudrait dire que notre attention à nous-mêmes a failli, nous empêchant de prendre conscience de nos salissures. Ce serait là aussi un péché.

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Je comprends la position de la Réforme protestante quand elle affirme que les Ecritures constituent la seule référence pour la foi. Par cela, elle veut souligner le peu d’importance qu’elle attache à la tradition, considérée comme faite de contributions humaines. De cette intuition de la Réforme, je me contente de souscrire à l’élan qui la porte à vouloir que tout homme s’unifie avec la Parole de Dieu.

Pour nous, la Parole de Dieu se continue dans la Tradition. Il n’y a aucun mal à ce que certains détails de la Tradition, qui reflèteraient trop l’éloquence humaine, si fréquente dans le langage religieux, ne soient  pas retenus. Cela ne diminue en rien le fait avéré que le christianisme se veut être seulement la Parole de Dieu, tant il est aisé de distinguer dans la tradition le divin de ce qui ne l’est pas.

Il m’attriste beaucoup de constater que nombre de responsables dans l’Eglise ne donnent pas un grand poids à la Parole de Dieu. Pourtant, cette Parole devrait régir tout discours, toute action ou toute organisation, au sein de l’Eglise. Habitués aux fioritures, ils remplacent souvent la sagesse de  Dieu par celle de ce monde. Ceci me rappelle une anecdote de la littérature ascétique concernant un jeune novice, nouvellement entré dans la vie monastique. Comme il  est de règle dans nos traditions anciennes, un novice vit dans la cellule d’un Ancien qui le prend en charge, le conseille et veille à son apprentissage. Ce fut le cas pour notre homme. Or, ce jeune novice mourut, un an seulement après son entrée au monastère. L’Ancien, l’ayant vu dans son sommeil, enveloppé jusqu’aux genoux par le feu de la Géhenne, lui demanda : ‘Mon enfant,  je t’ai éduqué une année entière sur les voies de la piété. Qu’as-tu donc fait pour mériter cela?’ Le disciple répondit : ‘Ne te fais pas de souci pour moi. Je me tiens debout sur les épaules d’un évêque.’ Je ne ferais point d’autre commentaire.

Je sais que la vertu n’est l’apanage de personne en particulier, et qu’elle n’est certes point liée aux degrés de la vie ecclésiastique. Je connais bien l’histoire de l’Eglise et je sais qu’il n’y a pas que des martyrs et des saints. Mais, je suis las de constater la faiblesse des hommes. J’ai bien lu Gandhi qui aimait beaucoup le Sermon sur la Montagne, et qui avouait qu’il ne s’est pas converti au christianisme parce qu’il n’avait point rencontré un seul chrétien ayant pris au sérieux ce Sermon.

Les saints sont ma seule consolation. Je connais bien la vie de nombre d’entre eux, et j’y constate combien la puissance du Christ y a été agissante. Je vois plus particulièrement Sa gloire en ceux-là qui ont témoigné par leur sang, d’une manière dépassant tout entendement et au-delà de toute description.

Mais, ce qui me choque le plus, est de voir celui qui tente de vivre selon la logique évangélique, totalement incompris et même taxé d’ignorance et de sottise. L’Evangile ne représente-t-il donc pas la politique de Dieu? Et pourtant, nombreux sont ceux qui lui préfèrent celle des hommes, avec tout ce qu’elle comporte de mensonge et de futilité. Je ne suis pas sans ignorer que la politique de ce monde permet de mieux réussir dans plusieurs domaines, mais seulement selon les critères du monde. Je ne critique pas les chrétiens qui font des péchés. J’en fais partie. Mon seul reproche est en ce qu’ils se moquent, consciemment ou inconsciemment, des critères évangéliques qu’ils sont censés admettre.

Qu’on ne me réplique pas, en retour, avec la parole du Seigneur: ‘Ne jugez point pour ne pas être jugés’. Je sais trop bien que le jugement n’appartient qu’à Dieu. Je reproche seulement à nombre de baptisés, qui ont accepté l’Evangile comme référence, de ne pas vivre selon son enseignement.

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Cette situation durera toujours. Beaucoup d’entre nous continueront de pécher. Ce n’est point là mon problème, mais celui de Dieu : les Ecritures l’ont assez répété. Jésus sait pertinemment que dans Son Eglise, nombreux sont ceux qui continueront à se complaire dans leur fange.

Cependant, le spectacle de telles souillures ne peut me convaincre qu’il faudrait présenter un christianisme édulcoré, en faire un code de morale étriqué, plus au niveau des pécheurs, qui soit plus abordable, plus raisonnable. Un tel christianisme n’a aucune chance d’être reconnu par Jésus de Nazareth. Seule, la parole de Jésus doit prévaloir dans le christianisme. Elle seule est porteuse de salut, et rien d’autre.

Je sais que je peux devenir chrétien dans la mesure où je lutte, dans les limites de mes faiblesses, pour imiter le Seigneur. En cela, j’aurais ‘achevé ma course et  gardé la foi’ en Christ comme mon absolu. En édulcorant Son message, je deviendrais un traître, et comme Judas, avec ou sans corde, serait en train de me pendre moi-même.

Pourquoi ne pas dire au pécheur qu’il est un mécréant et un renégat? Le mécréant est meilleur que le croyant qui se complaît dans son péché, en ce que l’un refuse carrément le Christ, tandis que l’autre l’accepte théoriquement, sans vraiment prendre Son parti. Ceux qui refusent que le Seigneur régisse leur vie, ne  sont point baptisés dans le Saint Esprit, mais seulement dans l’eau. Leur jugement n’en sera que plus grave.

L’histoire de l’Eglise serait-elle donc tissée de trahisons? Certes, oui. Y aurait-il dans cette histoire beaucoup de personnes ayant aimé Dieu passionnément? Certainement, oui aussi. Il nous faut donc éviter, comme eux, la trahison pour contredire Nietzsche.  Il nous faut accepter d’être, nous aussi, cloués sur la Croix. C’est notre seule chance de salut.

Ceux qui brûlent d’amour pour Dieu sont toujours un ‘petit reste’. C’est ce que nous a dit André Gide, il y a près d’un demi siècle, ici même à Beyrouth, en assurant que ‘les sauvés sont toujours une minorité’. Achevons donc notre course. Chacun est capable de le faire, s’il accepte d’être régi en tout par l’Evangile. Quand son cœur en sera  totalement convaincu, il verra ses péchés s’étioler, et aura plus de chance de voir le Christ comme son seul Sauveur, non pas un Sauveur qui aurait vécu, il y a plus de deux mille ans, mais qui est présent, ici et maintenant, dans son quotidien.

Seul avec le Christ? Certes, bien que ce ne soit pas là Son souhait qui ‘veut que tout le monde soit sauvé’. Jésus veut que tous les humains Le revêtent et boivent à Sa coupe. Il n’a pas voulu être une voix criant dans le désert. Il est mort pour que nous acceptions Sa parole sans réserve aucune, et pour que seul, Son Esprit, habite en nous.

Il y en a qui aiment Jésus d’amour fou. Ceux-là sont élevés par Lui, sur cette terre même, jusqu’au seuil du Trône céleste, sur lequel Il les fait asseoir, avec Lui, à la droite du Père.

Traduit par Raymond Rizk

Texte Original: « المسيح والمسيحيون » – 16.05.2009

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