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2009

2009, An-Nahar, Articles

Le Christ et les chrétiens / le 16.05.2009

Nietzsche a dit que ‘le dernier des chrétiens est celui qui est mort sur la croix’. Cette parole n’est pas complètement fausse, bien qu’elle n’exprime point toute la réalité, parce que Nietzsche n’a pas connu, ou n’a pas voulu connaître, la splendeur des martyrs et des bienheureux. Ce qui est cependant vrai dans son dire est qu’il ne nous est pas possible de devenir un autre Christ, bien que nous pouvons tenter de beaucoup Lui ressembler. L’homme peut difficilement unifier son cœur, sa parole et son action, comme seul Jésus de Nazareth l’a fait. Il ne peut être, comme  Jésus, un absolu. Pourtant, Jésus n’accepte pas que nous n’aspirions point à l’absolu. La caractéristique du christianisme est de nous pousser à imiter le Christ en tout ce qu’Il nous demande. Le christianisme n’établit aucun toit au-dessus de nos têtes, qui limiterait notre élévation, car plus nous tentons de nous élever, plus il nous fait réaliser que la grâce, qui vient d’en haut, nous élève toujours davantage. Elle ne se suffit pas de nous voir nous approcher du Trône divin, mais voudrait nous y faire vraiment parvenir.

Par Son Ascension, après Sa Résurrection, le Christ a fait que la nature humaine qu’Il avait revêtue, soit assise à la droite même de Dieu. Par Sa totale obéissance au Père, obéissance voulue en Sa nature humaine, et non imposée par Sa nature divine, car il n’existe aucun mélange entre les deux, Son humanité a trouvé sa plénitude dans la divinité qui L’habite. Il accomplissait en tout, et en toute liberté, ce qui plaît au Père. De même, Il veut que nous fassions comme Lui, et de par notre propre volonté, essayer de plaire en tout au Père. Il n’ignore certes pas que nous sommes faits de poussière, mais Il nous appelle à nous libérer autant que possible de nos passions pour qu’aucun péché ne trouve plus place en nous. Il prie constamment Son Père de nous rendre parfaits. Il nous est possible de devenir parfaits dans notre nature humaine, dans la mesure où nous tendons en permanence vers cette perfection, dont notre nature est capable. Nous pouvons ne pas atteindre cette perfection, mais il ne faut jamais cesser de la désirer et d’y tendre. Le christianisme est justement dans cet élan permanent vers la perfection, accompagné d’une tristesse continuelle de ne pas atteindre le but tant désiré. Sans cette tristesse, nous aurions tendance à toujours tenter de trouver des terrains de compromis avec nos transgressions, quelque en soient la grandeur et le nombre. Toute salissure en nous, dont nous serions conscients, est un compromis avec le royaume du Malin. N’en être pas conscients voudrait dire que notre attention à nous-mêmes a failli, nous empêchant de prendre conscience de nos salissures. Ce serait là aussi un péché.

***

Je comprends la position de la Réforme protestante quand elle affirme que les Ecritures constituent la seule référence pour la foi. Par cela, elle veut souligner le peu d’importance qu’elle attache à la tradition, considérée comme faite de contributions humaines. De cette intuition de la Réforme, je me contente de souscrire à l’élan qui la porte à vouloir que tout homme s’unifie avec la Parole de Dieu.

Pour nous, la Parole de Dieu se continue dans la Tradition. Il n’y a aucun mal à ce que certains détails de la Tradition, qui reflèteraient trop l’éloquence humaine, si fréquente dans le langage religieux, ne soient  pas retenus. Cela ne diminue en rien le fait avéré que le christianisme se veut être seulement la Parole de Dieu, tant il est aisé de distinguer dans la tradition le divin de ce qui ne l’est pas.

Il m’attriste beaucoup de constater que nombre de responsables dans l’Eglise ne donnent pas un grand poids à la Parole de Dieu. Pourtant, cette Parole devrait régir tout discours, toute action ou toute organisation, au sein de l’Eglise. Habitués aux fioritures, ils remplacent souvent la sagesse de  Dieu par celle de ce monde. Ceci me rappelle une anecdote de la littérature ascétique concernant un jeune novice, nouvellement entré dans la vie monastique. Comme il  est de règle dans nos traditions anciennes, un novice vit dans la cellule d’un Ancien qui le prend en charge, le conseille et veille à son apprentissage. Ce fut le cas pour notre homme. Or, ce jeune novice mourut, un an seulement après son entrée au monastère. L’Ancien, l’ayant vu dans son sommeil, enveloppé jusqu’aux genoux par le feu de la Géhenne, lui demanda : ‘Mon enfant,  je t’ai éduqué une année entière sur les voies de la piété. Qu’as-tu donc fait pour mériter cela?’ Le disciple répondit : ‘Ne te fais pas de souci pour moi. Je me tiens debout sur les épaules d’un évêque.’ Je ne ferais point d’autre commentaire.

Je sais que la vertu n’est l’apanage de personne en particulier, et qu’elle n’est certes point liée aux degrés de la vie ecclésiastique. Je connais bien l’histoire de l’Eglise et je sais qu’il n’y a pas que des martyrs et des saints. Mais, je suis las de constater la faiblesse des hommes. J’ai bien lu Gandhi qui aimait beaucoup le Sermon sur la Montagne, et qui avouait qu’il ne s’est pas converti au christianisme parce qu’il n’avait point rencontré un seul chrétien ayant pris au sérieux ce Sermon.

Les saints sont ma seule consolation. Je connais bien la vie de nombre d’entre eux, et j’y constate combien la puissance du Christ y a été agissante. Je vois plus particulièrement Sa gloire en ceux-là qui ont témoigné par leur sang, d’une manière dépassant tout entendement et au-delà de toute description.

Mais, ce qui me choque le plus, est de voir celui qui tente de vivre selon la logique évangélique, totalement incompris et même taxé d’ignorance et de sottise. L’Evangile ne représente-t-il donc pas la politique de Dieu? Et pourtant, nombreux sont ceux qui lui préfèrent celle des hommes, avec tout ce qu’elle comporte de mensonge et de futilité. Je ne suis pas sans ignorer que la politique de ce monde permet de mieux réussir dans plusieurs domaines, mais seulement selon les critères du monde. Je ne critique pas les chrétiens qui font des péchés. J’en fais partie. Mon seul reproche est en ce qu’ils se moquent, consciemment ou inconsciemment, des critères évangéliques qu’ils sont censés admettre.

Qu’on ne me réplique pas, en retour, avec la parole du Seigneur: ‘Ne jugez point pour ne pas être jugés’. Je sais trop bien que le jugement n’appartient qu’à Dieu. Je reproche seulement à nombre de baptisés, qui ont accepté l’Evangile comme référence, de ne pas vivre selon son enseignement.

***

Cette situation durera toujours. Beaucoup d’entre nous continueront de pécher. Ce n’est point là mon problème, mais celui de Dieu : les Ecritures l’ont assez répété. Jésus sait pertinemment que dans Son Eglise, nombreux sont ceux qui continueront à se complaire dans leur fange.

Cependant, le spectacle de telles souillures ne peut me convaincre qu’il faudrait présenter un christianisme édulcoré, en faire un code de morale étriqué, plus au niveau des pécheurs, qui soit plus abordable, plus raisonnable. Un tel christianisme n’a aucune chance d’être reconnu par Jésus de Nazareth. Seule, la parole de Jésus doit prévaloir dans le christianisme. Elle seule est porteuse de salut, et rien d’autre.

Je sais que je peux devenir chrétien dans la mesure où je lutte, dans les limites de mes faiblesses, pour imiter le Seigneur. En cela, j’aurais ‘achevé ma course et  gardé la foi’ en Christ comme mon absolu. En édulcorant Son message, je deviendrais un traître, et comme Judas, avec ou sans corde, serait en train de me pendre moi-même.

Pourquoi ne pas dire au pécheur qu’il est un mécréant et un renégat? Le mécréant est meilleur que le croyant qui se complaît dans son péché, en ce que l’un refuse carrément le Christ, tandis que l’autre l’accepte théoriquement, sans vraiment prendre Son parti. Ceux qui refusent que le Seigneur régisse leur vie, ne  sont point baptisés dans le Saint Esprit, mais seulement dans l’eau. Leur jugement n’en sera que plus grave.

L’histoire de l’Eglise serait-elle donc tissée de trahisons? Certes, oui. Y aurait-il dans cette histoire beaucoup de personnes ayant aimé Dieu passionnément? Certainement, oui aussi. Il nous faut donc éviter, comme eux, la trahison pour contredire Nietzsche.  Il nous faut accepter d’être, nous aussi, cloués sur la Croix. C’est notre seule chance de salut.

Ceux qui brûlent d’amour pour Dieu sont toujours un ‘petit reste’. C’est ce que nous a dit André Gide, il y a près d’un demi siècle, ici même à Beyrouth, en assurant que ‘les sauvés sont toujours une minorité’. Achevons donc notre course. Chacun est capable de le faire, s’il accepte d’être régi en tout par l’Evangile. Quand son cœur en sera  totalement convaincu, il verra ses péchés s’étioler, et aura plus de chance de voir le Christ comme son seul Sauveur, non pas un Sauveur qui aurait vécu, il y a plus de deux mille ans, mais qui est présent, ici et maintenant, dans son quotidien.

Seul avec le Christ? Certes, bien que ce ne soit pas là Son souhait qui ‘veut que tout le monde soit sauvé’. Jésus veut que tous les humains Le revêtent et boivent à Sa coupe. Il n’a pas voulu être une voix criant dans le désert. Il est mort pour que nous acceptions Sa parole sans réserve aucune, et pour que seul, Son Esprit, habite en nous.

Il y en a qui aiment Jésus d’amour fou. Ceux-là sont élevés par Lui, sur cette terre même, jusqu’au seuil du Trône céleste, sur lequel Il les fait asseoir, avec Lui, à la droite du Père.

Traduit par Raymond Rizk

Texte Original: « المسيح والمسيحيون » – 16.05.2009

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2009, An-Nahar, Articles

Le christianisme est-il raisonnable? / le 31.01.2009

Il n’est pas de mon propos de comparer les religions, ni d’établir des préférences entre elles, ni d’en définir leur nature. Il ne s’agit pas de savoir si elles peuvent se résumer en un nombre de lois, de commandements ou de tabous. En fait, le christianisme n’est rien de tout cela, bien qu’il faille parler de son organisation, qui aux yeux des hommes, leur permet de régler certaines de leurs affaires. Cependant, son essence est toute autre. Elle est toute entière, même dans ses dogmes, centrée sur et dans l’amour. Elle est un mouvement divin dans le cœur des hommes qui les oriente à aimer leurs frères. En cela, le christianisme ne ressemble à rien d’autre.

Quand nous disons que Dieu est Amour, il est évident qu’une telle affirmation ne suppose  aucune numérotation. Comme l’a dit l’Imam Ali: ‘Qui quantifie Dieu le limite’. La notion de nombre ne s’applique donc pas à Lui. Dire qu’Il est un, en opposition à la dualité, c’est le quantifier. C’est le quantifier aussi que de dire qu’Il a trois modes d’existence. Il ne s’agit pas là d’arithmétique. L’unicité de Dieu n’est pas affaire de numérotation. Dans son contexte, elle nous permet d’entrevoir des attributs de Dieu, non Son essence. Cette essence apparaît à travers Ses œuvres, dont le dénominateur commun est l’amour.

Le Mystère de l’Eucharistie, c’est-à-dire la communion à la même Coupe, chaque dimanche, est l’une des expressions de cet amour. Il a été écrit de nombreux ouvrages théologiques sur ce sacrement. Il a été l’objet de beaucoup de polémiques et il continue de l’être. Mais en fait, il n’est que l’effusion du sacrifice que le Christ offre au Père, auquel nous sommes conviés à participer. Par lui, nous nous incorporons à la vie qui s’est répandue sur l’univers à partir du Golgotha, pour pouvoir exister par l’accueil de l’amour dont Dieu nous a aimés. Cette communion est certes accompagnée d’hymnes et de lectures de l’Ecriture. Mais, l’essence du sacrement consiste dans l’accueil de l’amour divin qui nous y est donné et dans notre réponse par l’obéissance aux commandements.

J’ai affirmé souvent que Pâques, qui est ‘la fête des fêtes, la solennité des solennités’, est notre seule vraie fête, car en elle le Christ a vaincu la mort. Toutes les autres fêtes ne sont que pour nous mieux faire aborder le mystère de cette victoire. Nos fêtes sont autant d’images de l’amour.

Celui qui aime donne son amour en totalité à l’aimé, quand celui-ci réalise qu’il est aimé. Dieu nous convie à réaliser que nous sommes aimés et nous invite à en témoigner. Tout le message du Christ est dans cette démarche. Nous avons certes besoin d’enseignements. Mais, ils n’ont d’autre but réel que de nous faire comprendre que nous devons entrer dans la chambre nuptiale que Dieu nous a préparés. Tout ce qui ne parle pas de cette rencontre entre Dieu et les humains, n’est que bavardage. Certains d’entre nous ne peuvent concevoir cette vision, car leur âme est enténébrée et leur cœur insensible, incapable d’accueillir la lumière divine.

La lumière ne peut venir que de la lumière. Celui qui sait qu’il est aimé ne peut que refléter cet amour et le transmettre. C’est pour cela qu’immédiatement après le commandement d’aimer Dieu vient celui d’aimer son prochain comme soi-même. Comment sommes-nous capables d’aimer ceux qui nous font du tort? Prenant conscience que nous sommes les aimés de Dieu, nous ne pouvons qu’aimer les autres du même amour que le Seigneur a envers nous. Tout ce qui n’est pas au niveau de cet amour est affaire de procédure. Toute procédure présuppose de juger les autres sur cette terre à partir des lois instituées par les humains. Juger quelqu’un, c’est le considérer un inférieur ou un antagoniste. Il s’agit donc de lui reprendre par la force de la loi ce que je considère mien.

Il n’y a pas de procédures dans le Royaume de l’amour. Dans le monde du péché, référence est faite aux tribunaux quand l’amour exprimé n’est pas payé de retour. L’argent, les droits et la propriété sont omniprésents dans ce monde. Ils sont régis par des hommes monde, dont certains habitent aussi le monde du péché. Il n’est pas loisible de fuir le siècle présent. Pourtant, je vous convie à le faire, et dans le Christ Jésus, à m’accompagner dans le Royaume à venir. Je voudrais vous pousser de toutes mes forces à y entrer. Je prie intensément pour que le plus grand nombre accepte mon invite. Il peut vous arriver de haïr ce Royaume à venir, car il peut menacer vos intérêts. Dans ce monde, le conflit est permanent entre le désir de Dieu et l’attrait des passions. Le choix est vôtre.

Les gens nous interpellent souvent en disant: ‘comment vivre selon l’Evangile? Si nous ne mentons pas dans nos affaires, si nous n’y louvoyons pas, si nous ne volons guère, nous ne pourrons assurer notre subsistance’. Heureusement, ces excuses ne sont pas toujours vraies et toutes les institutions ne sont pas véreuses. J’en connais plus d’un qui se suffisent de leurs salaires et optent pour l’esprit divin, quand cet esprit entre en opposition avec leur travail, au risque de perdre celui-ci. A une jeune fille qui me disait que son patron lui faisait des avances, accompagnées de menaces de la répudier, si elle n’y répondait, je n’ai pas hésité à lui conseiller de quitter son travail, plutôt que de se soumettre. Dans la vie, il y a des décisions à prendre nécessitant beaucoup de détermination et de fermeté, afin de continuer à demeurer en et avec Dieu, et maintenir la relation d’amour qui nous lie. Il s’agit de bien comprendre l’intention de Paul, quand il dit: ‘Ce n’est pas moi qui vit, mais le Christ qui vit en moi’.

Parvenir à ce niveau de relation avec Dieu, c’est se distancer du monde du mal. C’est être horripilé que ce monde s’infiltre dans notre âme, après l’avoir habituée à la paix donnée par le comportement divin.   Le péché est toujours attrayant et il a souvent une attirance magique. Cependant, il n’y a de plus grand mensonge que dans le péché. Il nous fait entrevoir des plaisirs que nous ne tardons pas à découvrir éphémères et amers. Le péché a des fruits amers parce qu’avant d’y tomber, il nous fait miroiter des rêves qui ne se réalisent guère. Seul l’amour divin est la force qui ne déçoit pas, car Dieu nous propose seulement ce qui est pour notre bien.

L’homme est très fragile face à la tentation. Le seul moyen de mettre un frein à ses passions est de dompter sa volonté. Notre littérature ascétique abonde dans la description des passions diverses qui s’attaquent à l’homme. Mais, on trouve rarement en Orient ce qui peut aider à dompter la volonté. On y apprend à fuir le péché. Mais, l’affronter exige une bonne connaissance de la volonté de Dieu et de Sa Parole exprimée dans les Ecritures, pour en faire un bouclier, un casque et un glaive, comme l’écrit l’Apôtre Paul. Aimer le bien et s’y ancrer, crée une sorte d’espérance. Le bien devient alors comme un bastion protégeant des attaques du Malin. Cependant, nombreux sont ceux qui n’aiment pas ce que Dieu appelle bien, lui préférant ce qu’Il considère comme un mal. D’aucuns se complaisent dans l’avarice, la haine et le mensonge. Ils recherchent les occasions de péchés. Il leur est très difficile de remplacer cet amour par un autre, car l’édifice élevé par leurs soins dans leur âme pour y abriter leurs péchés, risquerait de s’effondrer. Et ceux-là, après une longue alliance avec le péché, viennent demander comment trouver la voie du salut!

Après un long compagnonnage avec le mal, la repentance devient difficile, ainsi que la confiance dans le salut. Le péché est devenu comme partie intégrante du pécheur et l’empêche d’admettre que l’approche de l’amour divin apporte vraiment le salut et peut être d’un secours durable, probablement toute la vie durant.

Nous lisons, dans le Sermon sur la montagne: ’Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez certainement pas dans le Royaume des cieux’ (Mat. 5 : 20).

Pour Jésus de Nazareth, l’essentiel n’est pas de se contenter d’apparences de religion, basées sur des préceptes ou des consignes de prière, de jeûne, de lecture de la Parole divine et d’autres célébrations, mais de recevoir Dieu dans notre cœur.

Puis, on y lit: ‘Vous avez appris qu’il a été dit ‘œil pour œil et dent pour dent’. Et bien, moi je vous dis de ne pas tenir tête au méchant. Au contraire, quelqu’un te donne-t-il un soufflet sur la joue droite, tends-lui encore l’autre’ (Mat, 5 : 38-39). La règle ‘œil pour œil et dent pour dent’ représentait alors une amélioration des mœurs, basées autrefois exclusivement sur la vengeance. D’ailleurs, elle est toujours ancrée dans les codes juridiques. Or, il ne s’agit point, ici, d’annuler des lois qui régissent les relations entre les hommes et renforcent l’Etat, auquel nous devons être soumis. La vraie question est de savoir comment passer d’un monde procédurier au Royaume divin. La réponse, nous la trouvons dans ce que nous a dit le Seigneur: ‘Aimez vos ennemis. Priez pour ceux qui vous oppriment. Vous serez alors les fils de votre Père qui est dans les cieux’. Ceci implique d’avoir mis un terme à la logique de la punition, d’être déjà entré dans le Royaume de l’égalité entre tous les enfants de Dieu, les bons comme les mauvais. Il nous sera possible de mieux comprendre cela dans la mesure où nous réalisons que la miséricorde divine s’adresse à tous les humains. Le christianisme, compris de la sorte, est certes raisonnable.

Traduit de l’arabe

Texte Original: « هل المسيحية معقولة؟ » – 17.01.2009

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2009, An-Nahar, Articles

Le Corps / le 17.01.2009

Le corps reflète la splendeur de sa création. Toutes les créatures sont belles et laissent transparaître la main de Dieu qui les a créés. De même, l’agencement organique du corps permet de mieux saisir l’œuvre de l’esprit divin. J’ai commencé à réaliser cela, depuis seulement quelques années. Je l’avais pourtant appris dès ma jeunesse sans m’y arrêter outre mesure. Je suis actuellement ébahi devant l’interdépendance étonnante de nos organes et comment la nourriture devient, après sa digestion, partie intégrante des cheveux, des yeux, de la poitrine. Comment un être, né d’un père et d’une mère ordinaires, devient un Platon ou un Einstein. Cette chair que nous portons, et avec laquelle nous communiquons, ne serait pas intelligible, si elle n’avait pas été pensée par quelqu’un. Elle peut donc être l’endroit de la contemplation de celui qui l’a pensé. Quand il parle des créatures, le Livre de la Genèse dit d’abord: “Et Dieu vit que cela était bon”. Mais, quand il arrive à l’homme, il affirme que: “Dieu créa l’homme à son image”. Puis, il est dit, qu’en regardant l’homme, “Dieu vit tout ce qu’il avait fait: cela était très bon”. Pourquoi donc Dieu n’a-t-il pas été ébloui que par l’homme? Ne serait-il pas parce qu’il avait voulu en faire son unique interlocuteur, au sein de toute la créature?

Malgré toute la fascination dont il peut être l’objet, le corps n’est finalement que poussière. Cette matérialité l’influence en tout ce qu’il est, jusqu’à lui fermer toute ouverture à la lumière. Or, la lumière fut en lui, dès l’origine de sa création. Elle est dans l’homme autant que la poussière. Au courant de la vie humaine, ses deux composantes s’accordent parfois, mais souvent elles s’opposent. C’est dans son corps que l’homme contemple la force de Dieu, ainsi que sa gloire et sa compassion. C’est aussi à travers le corps que se dévoilent à nous les mystères divins, dans la mesure où nous les cherchons avec toutes nos forces. Et si nous soutenons nos efforts, c’est à travers lui que nous communiquons avec les autres. En fait, nous ne pouvons voir Dieu sans voir à la fois ses enfants bien aimés. Cette rencontre avec l’autre ne se fait pas seulement sur le plan de l’esprit. L’œil se réjouit à la vue de l’autre et la main se complaît à serrer la sienne. En cela, elles deviennent un membre unique, car les humains sont liés comme par d’invisibles filons dorés qui les appellent à l’unité. Mais, cette unité de l’humanité ne se dévoilera vraiment que dans le Royaume des Cieux.

La beauté et ce qui nous paraît laid viennent tous deux de Dieu. Elles sont un langage. La laideur n’est pas répulsive, si l’on découvre son langage, c’est-à-dire si on la dépasse pour atteindre la parole qu’elle cache et avec laquelle elle s’adresse à Dieu. L’homme n’est pas dans la magie de son visage, mais dans celui de son union avec les autres et sa liberté à l’image de Dieu. L’homme aimant est celui qui rend cette double union encore plus sublime. C’est là un grand mystère. L’homme reste alors unique en ce qu’il est et en ce qu’il a comme responsabilités, mais participe en même temps à l’humanité des autres. Etre à la fois un et distinct est une condition pour éliminer la servitude qu’engendré la fermeture sur soi ou la totale fusion avec les autres. Notre vocation est d’être, à la fois, des personnes uniques qui seraient unies à la communauté. Même dans le Royaume, l’homme restera unique en soi, mais uni avec les autres, afin que se manifeste l’amour de Dieu.

Dieu détient entre ses mains les clefs de la vie et de la mort. “Toute âme goûte la mort” (Sourate Omran, 185 et d’autres Sourates). Le corps est constitué en vue de la mort. Ses cellules ne vivent pas éternellement. Il est écrit, dans les textes chrétiens, que “celui qui est mort est quitte du péché” (Rom. 6: 7). En ce sens, la mort est une grâce faite de clémence. Selon notre foi, elle est une rencontre avec Dieu. Les âmes sont alors dans les mains Dieu, dans l’attente de la résurrection. Ainsi, la mort constitue leur premier face à face avec Dieu, en ce que nous appelons Paradis ou Royaume. Elles vivent dans l’espérance de contempler la lumière divine, dans le ciel, lors de l’achèvement du temps.

Aux temps derniers, les corps seront convoqués à ressusciter. Depuis la mort de leur compagnon de route, ils sont restés dans la grâce du Saint Esprit. Ainsi, l’Esprit de Dieu gère à la fois les âmes et les corps, en vue de les réunir au Dernier Jour. Nous pouvons donc dire que le corps existe après la mort, bien que dépourvu du mouvement qui le caractérisait dans cette vie.

Dans l’Eglise orthodoxe, la sainteté des corps nous empêche de les brûler. Par cela, nous affirmons la continuité du corps dans une certaine réalité, bien qu’apparaissant disloquée. Le corps est oint du Myron après le Baptême. L’Eglise avait maintenu, jusqu’à des temps récents, les cimetières autour des églises pour que les fidèles encore en vie puissent réaliser qu’ils sont unis aux morts, dans l’espérance de la Résurrection.

De ce point de vue, l’Eglise n’insiste pas tant sur la séparation de l’âme et du corps que sur la remise des deux  à la miséricorde divine. La décomposition du corps est une occasion pour lui de rencontre avec le Seigneur, c’est-à-dire une occasion pour le Seigneur de se pencher sur lui. Certains craignent la mort. D’autres ne la craignent pas. L’important est que les uns et les autres se préparent à se séparer de cette existence et à accéder à celle de la paix. Comme l’écrit l’apôtre, nous préparons ceux qui nous quittent par la prière et la consolation apportée par la lecture des Livres Saints. Il existe maintenant en Europe des institutions, autres que les hôpitaux, dont la tâche est de préparer à la mort les malades en dernière phase de vie. Il serait bon de trouver, au sein de chaque famille croyante, quelqu’un qui se consacrerait à aider les malades par de bonnes paroles dans leurs derniers jours. Il est vrai que le prêtre peut tenir ce rôle, s’il apprend ce qu’il doit dire et faire, en plus des prières.

Cette sollicitude vient de la conviction que la mort est la dernière phase de notre vie, seulement ici-bas, et que le corps est à ce point noble et objet de respect, qu’on l’oint d’huile sainte, lors du sacrement de l’Onction, tant qu’il est conscient. Ce sacrement présuppose que la personne humaine reste le même être avant, et après la mort. Nous sommes donc loin d’affirmer, comme on l’entend souvent, que nous sommes composés d’une matière corruptible et d’une âme qui ne l’est point. Le corps est une partie intégrante de l’être humain. Dans la vérité de l’existence et du devenir humains, il n’est pas inférieur à l’âme.

Traduit de l’arabe.

Texte Original: « الجسد » – 17.01.2009

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L’homme Nouveau / le 10.01.2009

Se demander ‘quel Liban nous voulons?’ ne conduit pas nécessairement à engager nos volontés pour qu’un Liban renouvelé apparaisse. Car un Liban nouveau ou que nous espérons renouveler n’est finalement qu’une structure. Telle qu’on la pose généralement, cette question reste au niveau des structures et ne prend pas en considération la profondeur spirituelle des citoyens. En fait, un Etat renouvelé doit se bâtir sur des hommes nouveaux ou renouvelés. Nous disons toujours que nous voulons un pays libre et indépendant. Ce souhait reste cependant sur le plan du langage, tant que les citoyens ne se comportent comme des personnes aspirant réellement à une telle liberté et une telle indépendance. Dire ce que nous souhaitons pour le pays ne transforme pas nécessairement notre dire en acte. Demander verbalement ou même s’engager dans un combat politique organisé ne génèreront pas, comme par miracle, une patrie véritable.

Le Liban sera renouvelé seulement par des personnes enracinées en profondeur, vivant de réalités divines, toujours prêtes à vouloir faire habiter Dieu sur cette terre. La patrie se formera alors à partir de telles réalités et son corps politique y sera ancré. La patrie se bâtit donc vraiment en dehors de l’arène politique, loin du parler politique. Elle se fonde sur une vie spirituelle reçue d’en-haut.

Sur le plan politique, nous devons insister que la patrie transcende les confessions. Mais, le terme ‘confession’ est ambivalent, car il désigne à la fois Dieu qui régit les confessions et la politique qui soumet les confessions à son emprise et les transforme en groupes endurcis et prêts à tuer quand elles se ferment sur elles-mêmes et s’isolent l’une de l’autre. Dans ce sens, les confessions deviennent comme des cadavres puants qui flétrissent l’être même de la nation et rejettent Dieu lui-même. Nous ne pouvons passer des confessions à la patrie qu’avec l’aide de Dieu qui, Seul, peut nous faire découvrir Sa propre réalité plutôt que celle des confessions.

Si tous les libanais laissent leur cœur s’illuminer par la grâce divine, leur répartition entre les dix-huit confessions religieuses officiellement reconnues au Liban, ne fera plus problème. Ils pourront alors, sans hésitation ni perplexité, se prévaloir de l’histoire de leur communauté, cependant sans aucun racisme ou fanatisme. Il nous faut adopter la religion de l’amour, non pas en tant que religion nouvelle ou différente de la nôtre, mais dans la conviction que nous vivons spirituellement l’un par l’autre, en assumant la liberté de l’autre et en accueillant sa reconnaissance de la nôtre. Nous ferons alors prévaloir ce qui nous unit sur ce qui nous différencie. Nous formerons un corps unique par ce qui nous rapproche. Nous refuserons d’encombrer nos esprits des scories de l’histoire et nos cœurs de ses rancœurs. Seule une telle approche pourra pacifier nos cœurs, libérer notre vision et purifier notre être.

Nous pardonnerons alors à ceux qui nous auraient offensés dans le passé. Nous chasserons de notre mémoire le poids des oppresseurs. Nous ne considérerons plus ceux avec qui nous vivons aujourd’hui, responsables d’actes révolus, causés par leurs ancêtres. Les visages de ceux que nous avions pris l’habitude de considérer comme nos ennemis se découvriront alors à nous comme habités de lumière, et leurs cœurs emplis de bontés offertes. Certes, il nous faudra toujours lire l’histoire pour y trouver notre gouverne. Je n’appelle donc pas à oublier l’histoire, mais à ne pas en devenir prisonniers. Plus ceux que nous avions classés comme nos ennemis se découvriront comme des êtres de qualité, plus vite nous nous débarrasserons de l’inimitié envers eux, et nous nous reconnaîtrons solidaires dans la recherche de la vérité et dans l’effort à fournir pour en suivre les voies.

*  *  *

Je ne conteste pas aux chercheurs leur honnêteté intellectuelle ni leur droit à vouloir connaître tout sur l’autre. Je ne nie point qu’ils ont le droit de se former une opinion et de critiquer. La vérité ne peut être déformée dans l’intention de plaire. De plus, je ne demande pas aux hommes de savoir de faire montre de syncrétisme en tentant d’unifier les religions. Cela serait en contradiction avec toute rigueur scientifique. L’humanité boit à des sources diverses et se doit d’admettre diverses convictions. Il ne s’agit pas de changer la nature des choses. Elles doivent rester telles que nous les découvrons. Le dialogue aidera seulement à mieux déchiffrer la vérité. Il aidera à nous débarrasser de nos passions et à rechercher ce qui peut nous rapprocher. Le dialogue se doit de refuser toute polémique pour n’être qu’une tentative de mieux exposer nos options intellectuelles à l’autre et essayer de mieux comprendre les siennes. Je suis convaincu qu’il existe de grands espaces de rencontre entre nous sur le plan intellectuel. Les différences ont été accentuées en divergences par les exégètes, soit par une incompréhension des textes, soit par l’adoption de méthodes herméneutiques difficilement conciliables. Il s’agit de ramener ces divergences à leurs justes proportions. C’est en cela que réside la difficulté du dialogue. Mais, cela ne le rend pas impossible.

Cependant, mon souci, aujourd’hui, n’est pas de parler du dialogue. Je veux plutôt encourager la recherche, dans nos textes de référence respectifs, de ce qui rend possible une rencontre dans l’amour. Je voudrais que nous nous mettions à la recherche de l’amour, fébrilement et systématiquement, comme les abeilles qui butinent celle des fleurs où elles savent trouver du miel. Sans renier en quoi que ce soit nos sources, nous devons y choisir ce qui invite à l’amour et non ce qui pousse à la polémique. Je ne conteste à personne le droit de s’attacher à l’ensemble de ses textes fondateurs. Mais, malgré mon indignité, je convie tout un chacun à y rechercher ce qui le rapproche des autres et les fait se rapprocher de lui.

Je ne suis pas en train de proposer une religion nouvelle. Je préconise simplement une lecture nouvelle, basée sur une décision réciproque de se rencontrer dans l’amour, qui a pour but de mettre en valeur dans nos traditions respectives tout ce qui encourage un tel amour.

Notre unité viendra ainsi de nos croyances respectives. Ce sera une unité entre des hommes à travers les grâces reçues de Dieu. Dieu, qui me parlera à travers le comportement de l’autre, se reconnaîtra aussi en moi qui lui obéit. Il nous sera ainsi possible de nous retrouver en Dieu Lui-même. Certes, je ne voudrais pas limiter une telle rencontre aux habitants de ma patrie, mais je voudrais qu’ils en soient les premiers bénéficiaires. Nous bâtirons alors notre pays sur le langage et le comportement d’êtres participants à la vie de Dieu. Cette divinisation de l’homme, dans le sens d’un comportement en conformité avec les mœurs divines et d’un avancement, au-delà de l’humanité, vers Dieu lui-même, n’est pas étrangère au christianisme ni à l’islam. La communauté, composée de tels humains, sera une dans son essence même.

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En écrivant ceci, je ne récuse pas l’action politique. Mais, une telle action n’est rien sans présence dans le pays de gens ainsi purifiés, sincères et bienveillants. Les gouvernants peuvent gérer une société bonne et généreuse, et non une société où prévaut le mal, car ceux qui n’obéissent pas à Dieu n’obéissent pas aux lois, ni à l’autorité ni aux institutions. Un Etat a besoin d’un minimum d’ordre social et de probité. Il ne peut se bâtir sur des personnes ayant perdu toute perception humaine ou qui sont devenues insensibles à l’humain. La société ne se construit pas seulement sur base de sciences sociales ou sur la force militaire. Une telle société encouragerait le mal qui serait passible de mesures coercitives. Elle ne poussera guère au bien, exprimé dans l’amour et basé sur l’obéissance divine.

Je comprends ceux qui aspirent à un Etat de droit, opposé dans sa nature même à l’Etat tribal. Je ne suis pas sans reconnaître aussi l’importance d’institutions pour encadrer les citoyens honnêtes. Cependant, il nous faut réaliser qu’un bon citoyen n’est pas seulement celui qui craint le châtiment, mais celui qui est acquis à une convivialité honorable et librement consentie avec ses concitoyens. La loi et l’Etat ne seraient pas nécessaires s’il n’y avait pas de mal à circonscrire. Je sais qu’il faut réprimer les actes mauvais, mais sans toutefois créer une inimitié envers les contrevenants eux-mêmes.

Les Libanais se trompent s’ils croient qu’il leur suffit de forger des lois et de veiller à leur application pour vivre ensemble en harmonie. Nous ne pouvons avancer et nous améliorer avec des citoyens dont la seule bonne conduite se résumerait à éviter d’être mis en prison. Le pays s’élèvera, et nous tous avec lui, par l’intermédiaire de personnes qui ayant mis le ciel dans leur cœur tentent de transformer son aridité désertique en un paradis.

C’est là que vient le rôle d’une religion de l’amour, quel qu’en soient les piliers. Nous avons donc à suivre en même temps deux voies : celle d’un combat politique moderne et ouvert à la civilisation, et une voie divine respectant la dignité des créatures et recherchant à la fois la Face de Dieu et celle du prochain. Nous devons apprendre à voir Dieu dans l’autre et à l’aimer comme tel. C’est ce qui nous fera comprendre que Dieu est la Lumière des cieux et de la terre et que Son Règne commence en nous sur cette terre.

Traduit de l’arabe.

Texte Original: « الإنسان الجديد » – AnNahar-10.01.2009

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