Pâques: une date commune? / le 10.04.2010
Cela fait des années que j’entends des chrétiens de différentes Eglises souhaiter que l’on s’accorde sur une date unique pour cette fête, ajoutant qu’un tel arrangement nous unifie. Je crains que bon nombre de gens ne soient convaincus que c’est notre seul sujet de discorde. Il y a pire: beaucoup affirment que les doctrines qui nous séparent sont des inventions de théologiens, et que certains prélats craindraient de perdre leurs «positions»- pour employer l’expression vernaculaire. Pourtant les Eglises adhèrent à la même opinion que l’Eglise unie ne demandera à aucun évêque de démissionner, du moment que ces derniers se font rarissimes dans notre monde.
D’où mon sentiment que cette insistance de certains sur l’unification de la date de Pâques dissimule une dévalorisation des dogmes, alors que celles-ci prévalent sur le problème de la célébration. Il ne fait aucun doute que la fête est moins importante. La communion sentimentale des chrétiens me semble être l’approche la moins compréhensive du problème de l’Unité, voire l’approche de ceux qui ignorent l’amas de querelles qu’il vaut mieux envisager dans son ensemble.
Dès le deuxième siècle, alors que l’Eglise était encore une, la date de Pâques provoquait des disputes. En Asie mineure, on célébrait Pâques le 14 avril; en Alexandrie et à Rome, un dimanche. Alors on tenta de fixer une date unique au sein de l’unité de l’Eglise: elle tomba un jour de dimanche. On avait donc préféré unifier la fête, sans que la différence des dates ne créât de conflit.
D’ailleurs, la date de célébration commune à l’Eglise catholique et aux Eglises évangélistes a-t-elle servi à quelque chose? Les disputes les plus violentes ne les ont-elles pas déchirées pendant plus de quatre siècles? Ensuite, lorsque les Arméniens orthodoxes ont opté pour la fête latine, dans les années vingt du siècle dernier, procédèrent-ils à quelque fusion doctrinale? Evidemment non. De plus, leur difficulté à choisir notre propre calendrier tient de leur intégration totale à l’Eglise arménienne de leur patrie. Les Arméniens du Liban et de l’Orient arabe ne prendront jamais aucune décision sans consulter leur Eglise mère; une éventuelle unification de la date de Pâques au Liban ne les concernera donc pas.
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Pour fixer la fête de Pâques, une règle fut établie par le Concile (Œcuménique) de Nicée qui eut lieu en 325. On commence à compter à partir de l’équinoxe du printemps, le 21 mars, dans l’attente de la pleine lune qui le suit. La fête tombe le dimanche après la pleine lune. Cette règle antique fut confirmée par le synode œcuménique d’Alep, en 1997.
Après la réforme du calendrier julien par le Pape Grégoire XIII en 1582 – réforme rejetée par l’Eglise orthodoxe -, le 21 mars julien (orthodoxe, en pratique) décala du 21 mars grégorien adopté internationalement. Parsuite, les catholiques se mirent à observer leur propre mois de mars, attendant «leur» pleine lune d’après laquelle ils désigneront leur fête. Quant au 21 mars des orthodoxes, il était de quatorze jours postérieur à la date grégorienne, en ce siècle-là. Depuis, les orthodoxes se mettent à l’attente de «leur propre» pleine lune, calculant le jour du dimanche qui la suit, et qui sera celui de leurs Pâques. Il en résulte deux dates différentes ou une date commune pour la fête, selon le mouvement de la lune. Ainsi, lorsque la pleine lune se rapproche du 21 mars grégorien, les orthodoxes devront attendre la pleine lune suivante, pour célébrer le dimanche d’après. Alors les Pâques orthodoxes s’écartent de la fête catholique. Si, au contraire, la lune s’écarte de l’équinoxe grégorienne, les deux fêtes tombent le même jour. Le problème réside donc dans le fait que l’Eglise catholique adopta le calendrier grégorien, alors que l’Eglise orthodoxe continua à suivre le calendrier julien, abandonné par Rome sous le Pape Grégoire XIII.
Je dirais que si l’on veut maintenir la règle du Premier Concile – celle de l’équinoxe printanier et de la pleine lune qui le suit, les orthodoxes devront renoncer au calendrier julien. Cela exigerait une concertation au niveau de toutes les Eglises orthodoxes, soit dans le cadre d’un concile général, soit par une correspondance des chefs de ces Eglises. Or, cela présente quelques difficultés pour le moment. En effet, les chefs des Eglises aboutiraient-ils à une décision orthodoxe, ils respectent toujours l’opinion des populations concernées. A ma connaissance, je trouve celles-ci peu enthousiastes au changement. Les paroisses et les diocèses qui les constituent tendent plutôt à conserver leurs traditions, dont ils conçoivent la date de Pâques faire une partie. Il faut dire que chez nous, grâce à un système qui concilie clergé et laïcs, les patriarches et les archevêques ne sont pas des maîtres absolus du peuple. C’est que les Eglises orthodoxes, dans leur fait historique, fusionnent avec certaines ethnies. Dans le Balkan, par exemple, il existe des ethnies catholiques, comme en Croatie, qui eurent, avec les orthodoxes, des conflits sanglants. Il s’agit d’une mosaïque de nations différentes qui semblent peu disposées au changement, surtout lorsqu’il est perçu comme hétérodoxe. On traite avec des peuples, non seulement avec des Eglises. De ce fait, je ne vois pas les populations orthodoxes modifier leurs dispositions dans le futur proche.
Cela dit, si le changement rencontre des obstacles à présent, il aurait peut-être plus de chances sur un plan régional.
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C’était la vision du Pape Paul VI dans les années soixante du vingtième siècle, au cours du Saint-Synode «Vatican II», lorsqu’il permit aux minorités catholiques vivant dans des pays à majorité orthodoxe de se conformer à leurs Pâques. Ainsi fut-il pour les chrétiens catholiques d’Egypte, de Jordanie, et du territoire occupé de Palestine. Les maronites du Liban examinèrent aussi la question, et furent même au point de rejoindre les orthodoxes lors d’une réunion à Chypre. Je me rappelle même que leur patriarcat annonça effectuer un référendum sur le sujet auprès de la population maronite. Mais il paraît que ledit patriarcat se résigna ou effectua le référendum sans que nous ayons vent des résultats. Puis des spécialistes de l’Eglise maronite divulguèrent une littérature qui déclarait que ces derniers ne formaient pas une minorité, et que, parsuite, la permission du Pape Paul VI ne les concernait pas. Certes, le patriarcat orthodoxe s’abstint de toute discussion, mais l’on entendit des lèvres de plusieurs orthodoxes que Liban ne constitue pas seul une entité ecclésiale; celle-ci embrasse toute la contrée antiochienne. Il faut donc considérer que chaque Eglise a son territoire au sein de la zone antiochienne, qui s’étend sur l’ensemble de la Syrie et du Liban. Conformément à ce principe, le désir su Pape Paul VI que les catholiques de la région Syrie- Liban célèbrent Pâques selon le calendrier orthodoxe devient réalisable.
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Du reste, sur le plan régional, nous nous trouvons dans l’impasse. Dans une perspective mondiale, il est impensable que les orthodoxes locaux (de la Syrie et du Liban) fêtent les Pâques séparément des Russes, des Grecs–dans tous leurs pays respectifs-, des Bulgares, des Serbes, et des autres, en désignant un jour de fête proprement Libanais.
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Beaucoup prônent l’unification de la date de Pâques dans notre région. Dans ma vision, les orthodoxes semblent dire aux catholiques de l’Orient: «nos liens fraternels exigent que vous fêtiez avec nous, tant que vous en avez obtenu la permission». «Vous devez nous comprendre, chers amis, ajouteraient-ils, si nous vous disons que, pour cette question, nous ne pouvons nous séparer de nos frères dans le monde orthodoxe. Vous-mêmes ne faites pas de concessions lorsqu’il s’agit d’obéir à vos autorités premières. Personne dans l’Eglise ne dérive son identité d’une date de fête; or tout le peuple chrétien considère le fait de s’unir un même jour pour célébrer comme une expression de charité fraternelle. Que l’on pratique donc cette charité sur le plan régional, faute de pouvoir l’exercer maintenant sur un plan mondial».
Traduit par Monastère de Kaftoun
Texte Original: « تاريخ واحد للفصح؟ » – 09.04.2010
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