2011 / le 31.12.2010
Si l’an dernier nous fûmes alourdis de chagrin, je prie que la porte du ciel s’ouvre pour nous accorder l’espoir. Il est vrai que nous ne saurons oublier la souffrance des hommes. Dans notre mémoire, la douleur reste vive jusqu’à ce que le Seigneur fasse naître dans le cœur un désir de la joie promise par le Christ. Alors nous nous tournons vers l’avenir qui vient du Très Haut, afin que se renouvelle notre éternité à chaque instant.
L’éternité est une averse qui nous inonde; elle n’est pas le fruit de nos désirs. C’est une grâce reçue puis distribuée dans l’amour à ceux qui en ont faim. Mais que faire quand la raison nous tracasse de ses spéculations? Elle annonce des catastrophes probables qui feraient retomber sur nous afflictions, misère, et maladies. Or les temps changent, non les malheurs; la mort survient au même titre que la félicité. A part la sainteté, qui seule nous épargne la peur de la mort, ce que nous appelons «histoire» est en vérité celle d’une peur qui nous a déjà assommée, ou d’une autre que nous envisageons.
L’année qui commence aujourd’hui se rattache à la précédente. Peut-être ne sera-t-elle pas meilleure, du fait que les rancœurs se poursuivent, les tensions persistent, l’animosité règne à perpétuité, et les identités s’entrechoquent. Pour ce que je suis et ce que tu es, pour nos fortunes semblables, je suis ton ennemi. Tu me ressembles, alors je te déteste, ou encore tu es plus intelligent, alors je refuse de le reconnaître et me mets à te calomnier. Au fond de moi sourd une rapacité bestiale de te réduire en miettes. Tout cela s’infiltre dans la vie politique sous un couvert d’idéologie. C’est que, comme dans toute parole, les mots exprimés voilent des mots tus. L’humanité reste un amalgame de vicissitudes et de sang, jusqu’à ce que Dieu se manifeste et nous délivre de tout cela.
Comment donc changer le monde? Qui mènera-t- il le changement? La question même implique qu’il appartient à certains groupes dans la société de modifier la vie politique. Dans notre pays, les gens pensent que les autorités en pouvoir tiennent les rennes du changement. Mais peu croient que les politiciens désirent le renouvellement, et que, s’ils s’efforcent à créer un joli bon pays, ce n’est pas sans quelque intérêt. Certes on leur confie les fonctions publiques grâce à un système d’élections intègre; mais la volonté de changement ne se manifeste pas encore. Que faire alors? C’est le désespoir, c’est l’accablement… On se lamente de ce que la bonne vieille situation stagne, on déplore l’absence d’un état fonctionnel, voire puissant.
Que les gens puissent vivre dans un pays sans autorités, donc sans justice, dans un pays où la relation gouvernant/gouverné est perdue, cela tient du miracle. En portant le regard hors du Liban, dans les pays avoisinants tels l’Iraq ou l’Egypte, tout semble montrer du doigt l’intégrisme qui y règne sous un nom abject: celui de vider le pays des chrétiens. Qui en est responsable, qui est derrière tout cela et pour qui? Une simple analyse suffit pour montrer que les chrétiens d’Iraq n’ont jamais pris aucun parti. Vous les excuserez d’avoir peur pour leur existence physique et leur témoignage culturel, surtout qu’ils n’auraient aucun intérêt dans quelque conflit inter-islamique. Celui-ci aurait-il lieu, à Dieu ne plaise, ils ne seront point épargnés. On les tue pou rien, puisque personne ne gagne à les faire mourir. Pourquoi leur prière à l’église doit-elle être protégée par l’armée? Est-il plausible de prier dans la peur, ou alors devraient-ils rester à la maison, afin que leurs églises soient réduites à des sites touristiques? Qui est-ce qui empêche les homicides de les massacrer à domicile? D’où vient donc cette rancune, tant que les chrétiens sont une minorité incapable de manifester de l’animosité envers quiconque, une minorité dépourvue de tout moyen de maintenir son existence physique même. N’est-il pas honteux que cette minorité demande à être protégée, après qu’on l’eut convaincue que le régime se met au service de tous les citoyens? On sait bien, d’ailleurs, que les états Géants- tous laïcs- se soucient peu de préserver l’existence physique de telles minorités, puisqu’ils n’y gagnent rien. Les petits de ce monde restent hors des calculs politiques. Il paraît que nul n’agit pour les sauvegarder; Dieu est leur seul recours. Le monde n’est qu’un abattoir, jusqu’à ce que Dieu retienne les mains meurtrières. Pourquoi les assassins ne comprennent-ils pas que la fraternité est possible parmi les hommes, qu’elle rend la vie agréable?
Aucune solution internationale ne se présente encore. Un appel de conscience sert-il à quelque chose? Beaucoup de sang sera répandu durant l’année qui commence aujourd’hui, sauf si un miracle vient restaurer la paix. Par ailleurs, la Palestine historique se voit vidée de nous, chrétiens, même si le sang ne coule pas. Car y a-t-il quelqu’un là-bas pour dire aux chrétiens de ne pas quitter leur pays? Est-il culturellement acceptable que la Terre du Christ existe sans ses disciples? Les fameuses cathédrales de la Résurrection et de la Nativité deviendront-elles des vestiges d’antan? Dira-t-on aux touristes, d’ici quelques années: là priaient des gens appelés «chrétiens», comme pour leur rappeler une race disparue? Quelle infamie pour les arabes que vienne un jour où l’on parlera de la Cathédrale de la Résurrection comme un guide touristique parlerait chez nous de Baalbek? En effet, l’éloquence des arabes que serait-elle sans Issa (Jésus) le fils de Marie?
Outre la question des états et de leurs dirigeants, outre la politique et le sang, l’individu se retrouve seul face à Dieu, serait-il arabe ou étranger. Seul devant Dieu, chacun de nous aurait du lui dire ces mots: Me voici. Je suis à Toi, livré à ta présence. Devant ta seule face je me tiens, car je n’ai plus le front de me tenir devant nul autre. Je suis à Toi, du fond de ma misère, de ma peine, avec mes enfants que les assassins ont oublié de tuer. Eux et moi nous abandonnons à ta miséricorde. Tu nous veux, et nous de même. Accorde-nous la vie, en ces jours mauvais où nous ont fourrés des hommes perfides, où les autorités nous ont délaissés.
Notre subsistance: des miettes de pain, quand il en reste. Notre source de vie: l’espoir qui nous sauvera. Que ton amour pénètre ce reste de corps, qu’il perce notre fatigue et notre faiblesse physique. Nous t’avions promis de ne haïr aucun homme de pouvoir, aucun compatriote. Nous ne portons pas d’armes; nous n’en voulons pas. Si le pain manque, nous aurons faim de ton amour. C’est seulement munis de ta force que nous porterons en nous l’espérance, serions-nous dispersés aux quatre coins de ce monde par Toi créé. Toi seul seras notre patrie. Au long de notre misérable parcours, nous mènerons le bon combat, nous garderons la foi, même à bout de souffle.
Apprends-nous à aimer ceux qui nous aiment autant que ceux qui nous haïssent. Nous aimerons l’Iraq, l’Egypte et la Palestine, du moment qu’on nous permettra d’y rester. Nous les préserverons tous, parce que nous ne jugeons personne, ni n’y pensons mal. Nous te prions de couvrir tous les hommes des largesses de ta miséricorde, de les guider à la Vérité. Toi seul les jugeras au dernier jour; nous ne voudrions accuser personne, car la loi et les miséricordieux sont autant de fils à Toi.
Que les tentations ne dépassent pas nos forces, sinon nous nous effondrons. Qu’en cette année réside ta puissance, pour que nous puissions dire que c’est un nouvel an. C’est de toi que provient la nouveauté. Fais-nous retourner vers toi seul, pour que nul autre ne nous déçoive. Sinon nous connaîtrons l’amertume, et c’est l’enfer. Attire-nous chaque jour, à chaque instant. Sinon nous serons terrassés par le chagrin. Tu as déjà mis fin à toute tristesse par la Nativité de notre Sauveur, sa mort, et sa Résurrection. C’est grâce à tout cela que nous aspirons à notre propre résurrection quotidienne en Toi, dans l’espoir de la Résurrection finale, et de la vie éternelle.
Pouvons-nous donc inaugurer le nouvel an avec Toi, grâce à ta parole, à ta promesse qu’il y aura une terre de justice? Que cette justice soit établie ou non, Tu restes notre unique pays; Tu es le pays de ceux qui t’obéissent, à qui Tu as préparé un royaume sans fin.
Traduit par Monastère de Kaftoun
Texte Original: « 2011 » – 31.12.2010
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