2011, An-Nahar, Articles

L’homme malade / le 05.02.2011

Si elle ne devient un espace de révélation, la maladie reste une corruption dans l’être de l’homme. Nonobstant, il lui appartient de s’avérer une énergie où la décadence se sublime en une rencontre de la Miséricorde; on comprendra alors que ce reste de soi-même est un don reçu. En effet, il est en chacun des choses qui subsistent, et d’autres qui passent; entretemps, on est dans l’attente. Mais loin d’être une agonie de l’incertitude, c’est là le bonheur d’implorer miséricorde. A l’instant où l’on prend à Dieu, il s’agit de se montrer réceptif, pour que la ferveur envers Lui s’attise.

Celui qui croit en la grâce divine voit très clair. Réclamant le rétablissement, on y déploie tous nos efforts, parce qu’on y décèle le signe qu’on se porte bien. Or la bonne santé n’est point la seule vigueur du corps. On peut certifier, de prime abord, qu’on porte constamment en soi une certaine corruption, apparente ou latente, jusqu’au jour où  le bras de Dieu empoigne définitivement notre être. Pour cette raison, Dieu entretient des relations différentes avec tel ou tel malade, puisque la corruption n’est pas la même chez tous. Par conséquent, la compassion divine manifeste des teneurs diverses. Aussi tel souffrant saisirait-il par là le caractère unique de sa relation avec le Seigneur. Cela dit, on se connaît tous aptes à recevoir son Immense Miséricorde, selon son bon plaisir.

L’écroulement des forces est une épreuve qui irait au conflit: l’homme exige une vie telle qu’il avait ouï dire. Mais qu’est-ce la vie, vraiment?

L’évangile rapporte une guérison lorsqu’on amena à Jésus un homme paralysé. Ceux qui le portaient espéraient recevoir du Seigneur la guérison. Ce n’était qu’un souhait, auquel le Christ n’accorda aucune importance, au début. Il dit au paralytique: «Tes péchés te sont remis». Y avait-il tout un monde entre les porteurs de cet infirme et Jésus? Ceux-là désiraient une guérison de la chair, et lui, une guérison de l’être. Or telle guérison ne s’effectue que par le repentir. Bénie est la maladie qui aboutit à la repentance.

Toute affection de la santé peut devenir une élévation vers la contemplation de la Sainte Face. Il est deux genres de bonne santé: une mineure, et une autre majeure. Celle mineure se confine à l’impression de la plupart que le bien-être consiste en un corps exempt de tout mal, le corps étant la manifestation de l’existence. Pourtant, l’existence est un don du Très-Haut, alors que tout dysfonctionnement n’en provient pas, et semble plutôt venir de la Sphère du Mal. En s’enquérant sur la santé de quelqu’un, si l’on reçoit, en tout bonne foi, la réponse «je vais bien», sachons alors que cette personne-là vit en la Sainte Présence, et qu’il lui arrive parfois d’entrer dans la grande intimité de Dieu. Toute la question pour l’homme est de voir sous le jour de Dieu ou sous son propre jour.

Cependant, la maladie n’est pas nécessairement une intervention de la bienveillance divine. Dans un tel cas, celui qui fait cette «expérience», comme on l’appelle, est engagé d’emblée sur la voie de la sainteté, serait-il provisoirement. C’est là que s’inspirent les prières de ceux qui se languissaient d’ascension spirituelle, pour que l’existence ne demeure pas une chair; il faut que l’esprit sanctifié s’en saisisse pour l’établir dans l’être de l’homme.

L’évangile accorde aux personnes malades un grand honneur, lorsque dit Jésus: «J’étais malade et vous m’avez visité», comme il dit j’avais faim, vous m’avez donné à manger», signifiant qu’il revêt la personnalité de tout souffrant, s’identifiant à lui. Tout homme qui gît dans la souffrance n’est pas crucifié seul. Pour compagnon, il a cet Autre qui fut jeté sur la croix et foulé aux pieds de l’humanité inique. C’est comme si le Maître de Nazareth disait à chaque personne dont la santé chavire: «Je me tiens auprès de toi pour te surélever jusqu’au Saint des Saints, pour t’attirer vers mon Esprit, pour faire de toi plus que ce corps accablé. Dans la supplication constante, tu suivras la voie de multiples résurrections, jusqu’au jour prévu où, selon la prescience de Dieu, aura lieu ta propre résurrection. Alors, Il t’accordera la grâce de mourir, et des volets s’ouvriront à la lumière». Rien d’autre ne mettra fin à l’exaspération. La rébellion ne prend fin qu’au moment où l’on dit au Père: «Que ta volonté soit faite»; alors l’Esprit Saint fait son habitacle dans les recoins du cœur, et l’on commence à comprendre.

Une fois on est devenu l’un d’eux, on se trouve porté par les souffrances des milliers de malades à travers le monde. C’est qu’ils subissent unanimement leur mal, et lèvent à l’unisson leurs prières d’intercession, car Dieu est pour les cœurs brisés. Dans la cité de Dieu, ces derniers sont les privilégiés, ses favoris les plus chers. Ceux qui, contractant quelque maladie, se montrent longanimes et vaillants, si bien que Dieu les fait croître dans son amour, sont promis à la gloire, puisqu’il n y a nulle guérison avant de parvenir au ciel. Dans une telle perspective, il semble futile de se demander «pourquoi ai-je succombé?» Durant l’épreuve comme au rétablissement – ce terme pris dans le sens de la sanctification, on conçoit comment Dieu expérimente l’homme et s’unit à lui.  Ce dernier se croyait au fond d’un abîme qui n’existait point.

Chaque homme est malade dans son âme; dès qu’il est mis au monde, il attend se heurter à sa vulnérabilité, ce caractère propre à notre nature physique et morale. De fait, grâce à l’infirmité, l’homme grandit et se développe le long de son cheminement vers la mort. Dans notre quotidien, la vulnérabilité est un synonyme de la fragilité. Heureux celui qui se considère un être fragile. Peut-être y aurait-il  là un exemple d’humilité et une leçon pour apprendre à gérer ses affaires, tantôt dans la réussite, tantôt dans l’échec, dans les limites du sensible.

En regardant l’homme dans son ensemble, je vois une âme meurtrie en plus de son corps frêle. Dans un trait d’humour, quelqu’un m’avait dit: «nous avons tous au moins 3% de folie. En parcourant les ouvrages de psychanalyse, je réalisai que nul homme n’est exempt de ce qu’on appelle «la névrose». Dans son inconscient, tout enfant mâle développe, avant l’âge de cinq ans, un attachement à sa mère. Cet attachement est considéré maladif par Freud, du moment qu’on grandit avec ou dans un complexe dont les conséquences traînent la vie durant. Cela implique que nul n’est psychologiquement sain. Le complexe de chacun est détecté par les spécialistes. Alors que pour tous les autres, il passe pour être sain, il ne l’est pas. On dirait que le monde est un asile de déments où nous devons tous cohabiter, chacun portant sa part d’aliénation.

Cette race humaine infirme sans aucune exception est notre propre humanité, celle que nous aimons malgré ses limites, ses chutes et ses faiblesses. Pourtant, grâce à la science et à la médecine, mais surtout aux sacrifices et aux vocations altruistes, nous verrons des jours meilleurs. Dans tels gestes de don, le plus important est de s’offrir d’abord aux malades indigents délaissés dans beaucoup de pays, qui se trouvent privés des services de sécurité sociale et des médicaments. Il s’en suit que le genre humain se voit constamment livré aux soins médicaux et, tant qu’il garde l’espoir, aux prières. Ainsi, les hommes qui puisent leur force dans le Seigneur prennent soin des plus faibles, si bien que bienfaiteur et bénéficiaire se voient raffermis. Dans ce combat, nous n’oublions pas nos frères déments et psychotiques, auxquels on promet parfois le rétablissement, mais qui ne savent pas qu’à l’origine, ils étaient une seule personne.

Il est important que la personne malade ne se referme pas sur elle-même, mais qu’elle continue à donner autant à ses semblables malades qu’aux personnes saines, contribuant ainsi au perfectionnement de l’humanité par ses prières et son amour. L’accumulation des peines ne correspond pas nécessairement à une diminution de l’existence. L’effondrement de la chair n’est rien; le comble du malheur est la dislocation de l’être. La mort elle-même n’est pas le grand désastre. C’est une existence qui se dérobe, puisque son aboutissement est la résurrection d’entre les morts, cette source de consolation lors des maladies les plus redoutables, celles où la mort même menace. Les deux alternatives ne sont pas la vie et la mort. Il s’agit de choisir entre un resserrement de l’être et une extension totale où Dieu devient tout pour l’homme. Exaltant ainsi le Seigneur, on est soi-même exalté. Or ce position ne peut être atteinte sans l’appui des pauvres et des malades, ces petits frères de Jésus.

Pourquoi Jésus s’intéressait-il tant aux infirmes, jusqu’à nous contraindre à le représenter comme un homme de prédication et de miracles. C’est comme si la Sainte Ecriture voulut définir l’ensemble de son ministère par ce verset: «Puis, parcourant toute la Galilée, il enseignait dans leurs synagogues, proclamait la Bonne Nouvelle du Règne, et guérissait toute maladie et toute infirmité parmi le peuple. Sa renommée gagna toute la Syrie, et on lui amena tous ceux qui souffraient, en proie à toutes sortes de maladies et de tourments: démoniaques, lunatiques, paralysés; il les guérit» (Mt 4: 23-24). Par quel motif Jésus accomplissait-il des miracles? «Voyant les foules, il fut prit de pitié pour elles, parce qu’elles étaient harassées et prostrées comme des brebis qui n’ont pas de berger» (Mt 9: 35-36).

C’est lors de la détérioration de la santé autant qu’en recouvrant ses forces que l’on recueille l’attendrissement de Dieu. Le plus important est de se sentir accompagné par le Sauveur. Il est essentiel de savoir si on obtint de Dieu la visite de sa bienveillance et la grâce d’approcher son intimité. Hormis cela, tout appartient au monde d’ici-bas.

Est-on parvenu à cette intimité avec Dieu? Lui seul le sait. Quant au croyant, il attend le Jour du Jugement. Sa foi lui dit qu’il ne sera pas condamné. Même plus, sa foi lui assure qu’il ne sera même pas appelé devant le tribunal dans la crainte d’être condamné, car sa vie consiste à se tenir en la Sainte Présence. Il en accepte les reproches et en redoute la sentence capitale; alors il prie.

Voilà les pensées qui traversent l’esprit de l’homme malade. Peut-être un homme en pleine santé ne connaît-il pas cette confrontation à soi, et pense vivre sans soucis. Les malades maintiennent-ils pourtant cette grâce de scruter ses pensées, voire ce don d’être sérieux? Que veut donc dire «Ne nous soumet pas à la tentation»?

Assurément, l’épuisement grave du corps met l’homme à face à la peur de la mort. Le Christ lui-même en a eu peur. La mort est une chose sérieuse; j’en connais qui ne la craignent point, qui ont cru en la résurrection de Jésus.

Seigneur, quand nous feras-tu ressusciter de la peur qui nous écrase?

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « المريض » – 05.02.2011

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