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janvier 2011

2011, An-Nahar, Articles

Les Chrétiens d’Orient / le 15.01.2011

«Orient», ici, est à entendre dans un sens théologique et non point géographique. Une théologie spécifiquement «occidentale» s’est développée au XIIIe siècle, tandis que la théologie orientale s’est conformée et se conforme strictement à la pensée des anciens Pères. De plus, nous avons ici en vue les chrétiens qui habitent l’Orient arabe, tant ceux qui se sont ralliés idéologiquement et institutionnellement au catholicisme que ceux qui sont demeurés dans la tradition orientale, car il existe, entre toutes ces Eglises, des assises communes: le système patriarcal ou synodal et, parfois, la prédominance d’une langue ancienne dans les rites -syriaque, copte, arménien, éthiopien ancien-, ce qui n’a pas empêché, d’ailleurs, la propagation de la langue arabe dans les prières. Abstraction faite de l’Éthiopie, nous constatons que ces communautés habitent l’Orient arabe.

Au cours du premier tiers du XIXe siècle est apparue la mission évangélique qui a joué un rôle important dans la renaissance arabe, dans l’expansion des principes de la réforme protestante et dans l’instauration de l’enseignement universitaire. Bien que certaines de ces Eglises se soient séparées de leur racine mère, et que coexistent ainsi la communauté originelle et la communauté séparée, malgré donc leurs différences et leurs dissensions, tous les chrétiens de cette région sont unis par leur foi unique en Jésus-Christ, leur adhésion à un seul Evangile et un seul Credo, ce qui rend légitime la perspective de leur unité. Dès le milieu du XIXe siècle, ils se rapprochent dans l’amour, dans le goût du divin et la coopération sur le terrain; et l’on constate que l’adversité qui frappe une communauté les rapproche toutes, car elles ressentent que l’affaiblissement de l’une les atteint toutes. De ce point de vue, se vérifie notre sentiment qu’existe l’unité des chrétiens d’Orient. Même si nous ne disposons pas de statistiques exactes, il me semble qu’ils ne sont pas loin de quinze millions dans le monde arabe. Ils s’y sont répandus peu après la mort du Christ, les douze apôtres et les disciples portant Son message dans toute la région. Considérés dans leur ensemble, il ne convient pas de se demander quand ils sont venus: ils étaient là avant la rédaction des évangiles, en Syrie, au Liban, en Palestine, en Asie Mineure (Turquie actuelle) et en Égypte. L’expansion chrétienne existe depuis le commencement et n’a pas cessé; et d’après les historiens, les chrétiens représentaient 75% de la population du Proche-Orient (Bilad el Cham) et 30% il n’y a pas longtemps.

Plus important encore que le nombre, est le fait qu’aux premiers siècles, la Syrie (au sens historique) et la ville d’Alexandrie portaient toute la pensée chrétienne, à une époque où, en Occident, il n’y avait encore que peu de choses. Toute la chrétienté, dogmes, ascèse et monachisme étaient en Orient. Il suffit de lire les Actes des Apôtres pour savoir que des évangélisateurs sont partis de la ville d’Antioche, capitale de la province orientale de l’Empire Romain, porter la foi chrétienne en Occident et dans le monde. Il suffit de savoir aussi qu’à partir de Tyr, la chrétienté s’est répandue dans tout l’Est du bassin méditerranéen.

Il faut être ignorant de l’Histoire pour associer la chrétienté à l’Occident. C’est nous qui avons enfanté l’Occident dans le Christ, jusqu’à rectitude de sa pensée religieuse. À la fin du XIe siècle, sa force militaire bien ancrée, l’Occident a mené contre nous (et je dis bien nous) ce que nous avons appelé à Jérusalem la guerre des Francs. Ils ont alors massacré les orthodoxes, les arméniens et les musulmans. Durant la quatrième croisade menée contre Constantinople en 1204, ils ont détruit et profané l’église Sainte-Sophie. Pourquoi cette croisade s’est-elle détournée de la Palestine pour anéantir un empire chrétien? Nous n’étions pas les alliés de l’Occident, et n’avons pas participé à l’extermination des musulmans.

Quand Ayman Zawahri nous traite de croisés, il ignore l’Histoire et ne l’a pas lue. Pourquoi devons-nous payer pour la bêtise de l’Occident? Pourquoi certains nous considèrent-ils comme une colonie implantée là et non comme des autochtones ? Dieu, quand leur donnera-Tu l’esprit de justice afin qu’ils nous fassent confiance, nous qui n’avons détruit l’existence de personne? Quand nous sommes accusés d’alliance avec le colonisateur, cela veut-il dire que nous avons brandi des banderoles invitant l’étranger à occuper notre pays? Vous savez tous que la colonisation de nos régions par les Français et les Anglais est basée sur les accords de Sykes-Picot à propos du partage de l’Empire Ottoman. Avons-nous supplié la France, la Grande-Bretagne et la Russie tsariste alors réunies, et manifesté notre joie à l’occupation de nos régions par l’Occident?

Que signifie pour chacun de nous la présence chrétienne en Orient? Si chacun réalise qu’il existe quelque chose de plus puissant que la politique, si les chrétiens comprennent que leur cause est plus précieuse que l’obtention d’une part dans un gouvernement, s’ils se considèrent comme bâtisseurs du pays, s’ils réalisent qu’ils sont une part de Dieu, que craignent-ils? Ils sont un don de l’Esprit pour chaque âme, un déferlement d’amour pour chaque cœur, car ils prêchent l’Évangile afin que, comme dit saint Paul, chacun devienne un Évangile vivant et non un texte écrit. Qu’ils partent, s’ils ne sont pas conscients de cette responsabilité. Ils n’ont pas leur place sur la terre de ce pays s’ils n’y viennent pas du sein de Dieu.

Ceci ne veut pas dire qu’ainsi ils se protègent. Cela veut dire qu’ils protègent chaque être de son ignorance. Il n’y a plus lieu, quand on assume cette position, d’exhiber son corps avec fierté, ou d‘une vie dans l’opulence (bien qu’ils puissent être riches), ou de tirer orgueil de sa culture (tout le monde, à présent, a accès à la connaissance). Les chrétiens du triangle Syrie-Liban-Palestine n’ont plus le monopole de la culture, et seront heureux si tous les citoyens accèdent à la beauté de la connaissance.

Si les chrétiens se parent de tous les aspects de la pureté et de la sincérité, de la fidélité envers leurs pays, sera-ce une garantie pour leur sécurité? La pureté et toutes les vertus sont souvent associées au martyre, c’est-à-dire à la mort. Personne ne tue les vils. Ceux qui ont acquis la liberté par l’Esprit n’ont d’autre garantie que l’Esprit. S’ils se transcendent et tendent vers la sainteté, Dieu habite leurs cœurs. Alors celui qui les agresse aura agressé Dieu. S’ils tendent vers les plus hauts degrés de la divinité cachée en eux, la divinisation leur sera accordée bénévolement; et s’ils ne visent pas la divinité, leur vie deviendra un désert.

Dire que le Liban sans chrétienté ne vaut rien suppose que chaque croyant demande à tous les chrétiens de grandir dans la sainteté. Chacun sera alors transformé par la sainteté et entendra des chants divins.

Si le corps subsiste, il subsiste dans ce qui est terrestre, et quand il meurt, la senteur du Christ l’embaume. Nous resterons Ses témoins dans la Vérité. Nous sommes amour jusqu’à ce que le Royaume de Dieu habite en tous afin que nous devenions une seule humanité, la nouvelle vie.

Traduit par Claude Nahas

Texte Original: « المسيحيون المشرقيون » – 15.01.2011

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2011, An-Nahar, Articles

Les Chrétiens d’Egypte livrés aux massacres / le 08.01.2011

Nul n’a la possibilité de savoir qui finance le massacre des chrétiens d’Orient. Il s’agit d’une question de grande importance, de grande implication politique, et j’ai du mal à croire que les responsables sont des gens de la rue qui voient en les chrétiens des infidèles intolérables. J’ai autant de mal à croire qu’il s’agit de simples crimes politiques. C’est plutôt la mixtion d’une politique dont j’ignore la nature, et d’une haine religieuse évidente. Il serait naïf de n’y reconnaître qu’une manigance politique; il est aussi peu convaincant de l’attribuer à une colère religieuse. L’âme en colère ne s’engage pas dans un déchaînement de masse si elle n’est instiguée par des cerveaux imbus de courroux, de politique, ou des deux ensemble. Le terme «extrémisme» autant que l’expression «activisme extrémiste» ne me satisfont point. On a toujours rencontré des pensées extrémistes exprimées oralement ou par écrit, mais cette fièvre n’a jamais abouti à un génocide. Les gens cohabitaient jusqu’à entretenir des relations amicales, tout en gardant leur opinion propre de l’autre religion. On s’y sentirait attiré par tel aspect louable, on pourrait en accepter telle chose admissible et ignorer telle autre. Tout cela sans querelles, sans différends personnels.

Seul l’abaissement moral où nous nous trouvons pourrait expliquer le carnage subi par les chrétiens depuis l’Egypte jusqu’à l’Iraq. Au cas où l’on accuse Israël de prendre part à cette conspiration, n’est-il pas une défaillance à la morale que de lui abandonner ces gens-là, sans les prendre en charge ni les orienter? A les voir ainsi délaissés sans orientation aucune, nous sommes en plein droit de rappeler à leurs responsables l’urgence de leur ouvrir les yeux. Sinon, ils fouleront  terre et hommes, infestant de leur mal le monde entier. Alors ils ne sauront parler que le langage de la mort. Par souci pour leurs cœurs et pour leurs esprits, nous n’acceptons nullement qu’ils contractent une âme criminelle. Nous leur répéterons toujours que le Bon Dieu dont nous percevons la miséricorde les aime du même moment qu’il prend pitié de nous. Nous leurs dirons que nous n’aurons de cesse de les tenir en haute estime, de soutenir leur dignité, de désirer qu’ils soient une race hautement civilisée. Ainsi nous pourrons vivre ensemble dignement, et nul ne se trouvera à la merci d’hommes fous. Le génocide n’est pas une affaire intérieure pour que l’on se permette de dire à un évêque de haute instance qu’il ne lui appartient pas d’intervenir suite à un attentat contre une assemblée de croyants en prière. Depuis quand l’extermination religieuse est-elle une question interne dans tel ou tel pays? N’est-ce pas un crime qui suscite obligatoirement l’indignation de la conscience humaine? La bonne marche de tout pays requiert que ce dernier s’accorde avec les hommes qui prônent le droit d’exister. Continuera-t- on à défaire les valeurs héritées depuis l’aube de la civilisation?

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Une question de pleine évidence se pose: pourquoi cette nonchalance de autorités égyptiennes face aux aberrations criminelles? Le régime est-il paralysé par la peur? Mais la peur de qui, puisque les Coptes sont doux, bons, profondément attachés à leur nationalisme, dévots, d’une piété formidable, et politiquement inexistants, puisqu’aucun copte n’est jamais élu. Donc les massacres ne peuvent être causés par quelque conduite des Coptes ou quelque soupçon d’infidélité au gouvernement. Dans l’analyse, aucun motif de politique intérieure ne tient.

La question qui hante le quotidien est la suivante: ce carnage s’étendra-t-il à d’autres pays arabes où vivent des chrétiens? Je tends à répondre que je n’ai crainte ni pour le Liban, ni pour la Syrie, ni pour la Palestine historique de massacres de la part des originaires du pays, parce que ceux-ci sont pleinement convaincus de devoir s’accepter mutuellement. Ils croient en leur complémentarité culturelle, en leur union communautaire. Ils ont le sentiment réciproque d’avoir besoin de l’autre, de partager ses goûts jusqu’à la fusion. Il ne sert à personne de nous  expatrier, ni  de gré ni de force.

Néanmoins, il ne me semble pas superflu que des forces terribles soient en train de collaborer ou de se joindre dans le but de nous réduire, pour le moins. Parmi ces forces, l’Etat d’Israël est le plus habile. Sa haine particulière des chrétiens est pleinement affichée dans la littérature sioniste.

Il ne suffit pas de prendre des mesures préventives en protégeant les chrétiens lorsqu’ils pratiquent leur religion. Ces mesures ne sont pas infaillibles, et les états ne peuvent mobiliser un grand nombre de soldats pour sauvegarder la vie religieuse. Comment le citoyen peut-il prier s’il se sent en sécurité tant que dure sa prière? Cette crainte est la preuve qu’il tire sa confiance, de l’état, ou de son citoyen non chrétien. Il ne la reçoit pas comme un citoyen de plein droit. Le monde arabe doit à tout prix s’affranchir de cette perception qu’il y a une majorité et des minorités. Il est d’extrême importance que les citoyens se libèrent tous du sentiment qu’une tranche du peuple en protège une autre. Dieu n’a chargé personne du soin des autres. Non seulement selon un commandement de Dieu, mais aussi d’après un droit humain de nature civique, indépendamment de toute religion, nous sommes tous des frères qui se soutiennent et s’entraident. Tout homme qui voit le jour est égal aux autres hommes et se trouve responsable devant la justice pour toute agression contre eux. Se différencier des autres est une infraction à ce droit, s’attribuer une dignité supérieure est éthiquement condamnable.

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Lorsque les habitants de tel quartier constituent une menace à ceux du quartier voisin, c’est aux responsables religieux de chaque camp de guider leurs coreligionnaires selon la parole divine adressée à eux. Qu’ils comprennent bien que le meurtre est un désastre, un désastre qui nous pousse plus loin, qui nous incite à supprimer l’autre.

Aujourd’hui, nous adressons une prière à l’intention de nos frères bien-aimés en Iraq et en Egypte, pour qu’ils préservent la foi. Qu’ils sollicitent auprès du Bon Dieu le cœur de pardonner à ceux qui ont tué des membres de leur famille, car ces derniers «ne savaient guère ce qu’ils faisaient». Je joins les mains à leur prière pour que le Seigneur n’impute pas aux malfaiteurs ce péché. C’est un commandement du Seigneur que nous sommes tenus de garder. En même temps nous supplions notre Dieu de retenir le meurtrier, comme il a empêché Abraham d’abattre son fils Isaac.

Toute personne immolée pour la cause de Dieu rend témoignage à la Vérité, et demeure dans la gloire divine. Ils se sont transformés en lumière pour nous permettre de rester imperméables à la rancune. Cependant nous nous réclamons fortement de notre juste cause et des autres causes justes, pour que tous parviennent à la liberté des enfants de Dieu, sur fond d’un cœur pur. N’avez-vous jamais entendu ce poète qui disait: «la Croix n’était pas de fer mais de bois[1]»? Certes, nous ne nous exposons pas à la Croix, mais devant la  contrainte, nous l’acceptons sans broncher. Pourtant nous ne refusons pas le service d’une personne qui voudrait manifester son affection et défendre son sens de dignité. Tout en souhaitant que ce dernier nous rende justice, nous déployons des efforts pour délivrer toute victime d’injustice. Nous sommes alliés aux opprimés de la terre. Nous succombons moralement avec toute victime que l’on tue. Nous lançons un appel à toutes les personnes pieuses versées dans une religion pour qu’elles incitent autant de personnes dévotes et instruites dans d’autres religions à conserver des sentiments fraternels, des sentiments de solidarité pour une humanité noble qui veut le bien de tous.


[1] Ahmed Chawqi

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « مقتل المسيحيين في مصر » – 08.01.2011

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