L’appellation proprement chrétienne est «Dormition de la Mère de Dieu (la Théotokos)», ceterme étant une façon propre à l’Orient de désigner la mort. Dans le langage liturgique, les morts sont dits endormis, pour indiquer de la victoire du Christ sur sa propre mort et la leur. Aussi Dieu les embrasse-il- dans son sein avant la résurrection du Jour Dernier.
La fête est d’origine orientale. Elle fut instituée au VIème siècle à Jérusalem, dans l’église qui se trouvait à Gethsémani. Par la suite, l’empereur Maurice popularisa cette célébration dans toutes les contrées de son empire, et le pape Serge Ier, décédé au début du VIIème siècle, l’adopta. Plus tard, Pie XII proclama comme doctrine l’Assomption de la Sainte Vierge aux cieux dans le corps et dans l’âme.
Quant à l’Eglise Orthodoxe, elle ne promulgua aucun un acte qui déclare le transport de Marie au ciel comme doctrine. Les théologiens orthodoxes se divisent en deux partis, les uns croyant en sa résurrection corporelle, et les autres rejetant cette opinion. En effet, l’absence d’un acte dogmatique émanant d’un concile d’évêques laisse place aux interprétations théologiques libres. Toutefois, les textes liturgiques se prononcent clairement pour un transport au ciel: ‘car tu fus transportée vers la vie, étant toi-même la Mère de la Vie’. De même il est dit dans les prières pour cette fête: ‘Tu ressuscitas après ta mort pour demeurer éternellement auprès de ton Fils’. Et encore, plus expressément: «Dieu… garda ton corps enseveli, et te glorifias avec lui lors de ton divin transport au ciel». Pour les chrétiens d’Orient, la question qui se pose d’emblée est la suivante: les textes liturgiques de la fête sont-elles de même autorité que les dogmes? En principe, la réponse la plus commune serait que si les textes cultuels révèlent en général certaines positions doctrinales, il n’est pas possible pour autant d’en déduire des positions dogmatiques d’autorité. Tant qu’un acte du concile œcuménique rejoignant toutes les Eglises Orthodoxes ne vient déclarer clairement la doctrine, on se confine aux spéculations critiques.
Dans une tentative de réconcilier les positions respectives des Eglises Orthodoxe et Catholique, on pourrait dire que Marie a anticipé la Résurrection. Elle est donc exempte du Tribunal et du Jugement, résidant déjà dans la gloire, celle qui nous attend tous après la Résurrection finale. Percevant tout cela, Saint Jean Damascène, au VIIIème siècle, l’adressa dans l’une de ses deux homélies sur la Dormition de la Vierge de la manière suivante: «Je ne désignerai point ton saint départ par le terme ‘ mort’, mais par celui de ‘dormition’, ou de ‘voyage’. Il vaudrait mieux encore l’appeler ‘résurrection’, car en quittant la sphère du corps, tu accédas à une autre bien meilleure». Je l’ai déjà dit, elle est réside dans la gloire de Dieu, et ne subira pas comme nous le Jugement du Jour Dernier. C’est pourquoi nous l’exaltons infiniment; c’est notre déléguée au ciel.
Elle est «pleine de grâce», comme s’exclame Gabriel lors de l’Annonciation. Il voulait dire qu’elle était libre du moindre péché, abandonnée à la seule volonté du Seigneur, toute prête à accepter chacune de ses paroles. C’était là le sens des propos de l’ange: ‘le Seigneur est avec toi. Tu es bénie entre les femmes’. Ces paroles inauguraient son parcours de gloire. Ainsi débute ce parcours: c’est de la Sainte Vierge et du Saint-Esprit que s’incarna le Verbe de Dieu, qui était au commencement. Par son ave à Marie, l’ange s’explique: «le Saint -Esprit viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre». Il ne fait aucun doute que l’expression «couvrir de son ombre» employée par l’ange réfère à la nuée qui guida le peuple de Dieu jadis, et qui, plus tard prit forme dans temple de Jérusalem. Marie est donc conçue comme le nouveau temple de Dieu, la première Eglise du Christ; il n’existe donc pas d’Eglise sans elle. Aussi, dans la première Eglise rassemblée à Jérusalem dans la chambre haute, les disciples du Seigneur «tous, unanimes, étaient assidus à la prière, avec quelques femmes dont Marie la mère de Jésus» (Actes 1: 14). Le Saint-Esprit vint donc sur Marie en même temps qu’eux, lui qui était descendu sur elle au moment de l’Annonciation, pour que le Verbe devienne chair. Ce même Esprit Saint demeura auprès d’elle jusqu’à la fin de son séjour terrestre. Telle est sa vie de gloire dès avant son transport vers les demeures célestes.
Dans la suite, il n’est plus fait mention de Marie dans l’Evangile. Désormais, il s’agit de l’Esprit Saint qui conçoit l’Eglise. La Sainte Vierge était étroitement liée à l’Eglise, selon ses propres paroles: «Oui, désormais toutes les générations me proclameront bienheureuse» (Luc 1: 48). Cette parole de l’Evangile laisse entendre que toute la part de l’humanité qui se revendique de l’Evangile en tant qu’Ecriture Sainte se tourne vers la Sainte Vierge, vers celle à «qui le Tout-Puissant a fait de grandes choses» (Luc 1: 49). Ceux donc qui connaissent l’état de gloire où réside Marie invoquent son intercession.
D’ailleurs, l’auteur de L’Apocalypse perçoit en Marie une figure de l’Eglise. «Un grand signe apparut dans le ciel», dit-il, «une femme vêtue du soleil, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles» (Apocalypse 12: 1). A l’exception d’un seul modèle iconographique, Marie est représentée dans l’art byzantin avec l’Enfant dans ses bras. De lui elle détient sa sublime splendeur. Elle ne dispose d’aucun pouvoir propre, mais elle octroie ce qu’elle a reçu du Seigneur. Or celui qui aime le Seigneur le recherche dans toutes ses radiations luminescentes, car sa grandeur se révèle dans ses saints, parmi lesquels Marie occupe la place première. Connaître Marie constitue une partie de la connaissance du Christ.
A l’occasion de la fête, il serait bien à propos de dire que ce qu’on désigne par patronage, intercession ou médiation des saints ne pourrait éliminer l’unique médiation du Christ. De fait, la rédemption fut opérée une seule fois dans la personne du Sauveur. Nul ne peut y faire des additions, puisque tout pouvoir extérieur au salut reste ineffectif. En tant qu’Orthodoxes, nous nous gardons de considérer Marie comme une Co-rédemptrice, car l’homme ne peut sauver son semblable. Cependant, nous croyons que les habitants du ciel sont des orants, à l’instar des habitants de la terre, parce que la Résurrection du Christ porte déjà ses effets, le Christ piétinant la mort de tous ceux qui y goûtent. Loin d’être des débris d’ossements, ceux qui furent transportés vers la gloire vivent une constante prière. Ils vivent en Dieu: ils conversent avec lui, et nous avec eux. Nous leur tenons compagnie et ils nous escortent dans ce val des pleurs où nous nous trouvons. L’Eglise du ciel et celle de la terre ne font qu’une. Le ciel est un hymne quand Dieu a comblé les saints de sa mansuétude. A-t-on alors le droit de dire que les résidents du ciel gardent le silence, et que Marie reste exclue de la gloire de son propre Fils, et de ses frères et sœurs dans la justice? Depuis que le Verbe fit en elle sa demeure, depuis qu’en sa présence il livra du vin aux convives lors des noces de Cana pour qu’ils se réjouissent, Marie devient verbe.
Que ne semble superflue cette question que certains viennent poser: le Seigneur ne peut-il donc pas nous exaucer sans intermédiaire? Si l’on obtient de Marie l’épanchement d’une grâce que l’on avait soi-même sollicitée, et dont elle est la dépositaire, n’y-a-t-il plus de relation directe avec le Sauveur? Mais qu’est-ce que le direct et l’indirect là-haut, au royaume de l’amour? Ne formons-nous pas avec les grandes figures qui nous précédèrent auprès de la Miséricorde un unique corps du Christ, où nous coexistons dans le Saint Esprit?
Traduit par Monastère de Kaftoun
Texte Original: « عيد رقاد السيدة » – 13.08.2011
