Ce sujet est inclus dans les questions théologiques relevées par cette rubrique, bien qu’il présente plusieurs aspects anthropologiques. Pourtant, je me suis proposé de l’aborder à cause des méprises et des erreurs multiples commises par les penseurs qui le discutent. Le problème réside en ce que les hommes parlent pour les femmes, desquelles ils se trouvent responsables pour des raisons religieuses, ou par l’effet des relations mixtes. Je me lance quand même à l’aventure, espérant apporter quelque rectification.
St Grégoire le Théologien, qui fit ses études à notre école de Droit de Beyrouth, au quatrième siècle, dit un jour: « Les hommes sont injustes envers les femmes, puisque ce sont eux qui érigent les lois. » Ces propos laissent entendre que la concurrence entre les deux genres est inévitable. Mais ce conflit entre les deux natures est-il inné, de sorte qu’il s’aggrave au sein de la vie conjugale, si bien que l’un des conjoints manifeste de la violence domestique? Ou est-ce le péché qui emploie la puissance physique ou celle de la séduction pour mieux dominer? Ces questions supposent l’impossibilité d’entamer un débat sur la femme sinon par rapport à l’homme. S’il en est ainsi, le titre de cet article est injustifié.
Si, par contre, en vue de mieux comprendre, on voudrait bien revenir au commencement, on lira ce qui suit: « Dieu créa Adam[1] à son image, à l’image de Dieu il le créa; mâle et femelle il les créa« (Gn1, 27). Il est dit Adam (l’être humain), non l’homme mâle. Par conséquent, il me semble que l’image divine n’est pas dans l’homme et la femme unis, dans ce que les français appellent « le couple ». Voici la seconde version du récit de la création: » ‘L’homme s’écria: voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise.’ Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn2, 23-24). Dès lors, il devient évident qu’elle est un autre être humain, malgré sa provenance de lui. Les deux ne deviennent un que par la volonté conjugale, ce que l’on désigne unanimement, d’une façon ou d’une autre, par le terme « contrat ». Chez les chrétiens -surtout les Orthodoxes- on l’appelle « alliance ». L’union est une disposition spirituelle, un prolongement spirituel entre deux êtres indépendants. L’ardeur ne fait pas sortir l’homme de sa solitude. L’intimité est un engagement, une progression, un même désir. Qu’elle prenne la forme d’une fusion touchant à la dissolution, aucun des deux ne serait à l’image de Dieu; le lien d’amour implique une personne qui aime et une autre qui est aimée.
Au fond, l’indépendance de la femme est exprimée par l’Apôtre Paul dans son Epître aux Galates: « Il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme » (Ga3, 28). Ce « il n’y a plus l’homme et la femme » signifie qu’aucun des deux n’est combiné à l’autre, de manière à être défini par l’autre, ou par la relation entre les deux. L’homme et la femme trouvent respectivement leur plénitude en Jésus Christ ; les célibataires ne sont en rien inférieurs aux mariés, car tous sont faits à l’image de Dieu. La relation établie par le mariage ne change en rien l’image de Dieu en chacun des époux. Mais voici l’Apôtre qui vient nous éclairer sur la nature de cette relation dans l’Epître aux Ephésiens.
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L’Apôtre commence par la soumission mutuelle entre les être humains, avant de développer la question du mariage. C’est donc à la lumière du verset 21 qu’il faudrait comprendre la suite du passage. Beaucoup ne lisent que la moitié du verset qui leur sied: « Femmes, soyez soumises à vos maris« , suivie par « car l’homme est le chef de la femme« , puis « tout comme le Christ est le chef de l’Eglise, lui, le Sauveur de son corps« . Le Christ est mort pour l’Eglise, et ainsi le mari meurt pour sa femme. Or chacun obéit à celui qui meurt pour lui. Cela est confirmé par la parole suivante: « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle ». Et l’Apôtre d’ajouter: « Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. » C’est pourquoi, désormais, il constitue avec elle un seul être, comme le Christ et l’Eglise forment un seul être. Le mariage chrétien ne saurait exister hors du mystère de la mort et de la Résurrection.
Tout cela est basé sur la différence entre la passion d’amour –eros– et la charité. La passion d’amour est une chose naturelle que l’Eglise consacre lors de la célébration matrimoniale. Quant à la charité, elle descend de chez Dieu sur les deux époux, les appelant à mourir chacun pour l’autre. Si cette descente n’a pas lieu, ou si elle est refusée, la passion d’amour est menacée de disparaître, laissant place à la haine; l’union conjugale est alors détruite. C’est pourquoi les non-croyants se trouvent en danger de se séparer suite à un mariage déclenché par la fougue, au lieu de la foi.
Le Nouveau Testament ne fait pas mention de la femme en soi, mais de sa relation avec l’homme dans le cadre du mariage, du moment qu’elle est sanctifiée par lui et lui par elle. Or, dans la vie sociale, l’homme s’attribue une importance supérieure à la femme, pour la simple raison qu’il est un mâle. C’est la règle qui sévit dans notre existence orientale -peut-être même dans le monde entier-, car l’homme considère la femme comme la source de la séduction. La vérité est qu’aucun des deux genres n’est exclusivement séducteur. D’ailleurs, que l’homme opprime la femme est chose certaine, et cela pour la double raison qu’il se voit formidable et qu’il cherche à confirmer sa grandeur sans occasion. Aussi se met-il à la battre parce qu’il se confie la charge de la corriger. Tant que les choses vont ainsi, il y aura une brèche dans la vie conjugale.
Or, en réalité, elle est dotée d’une santé plus solide que lui, le dépassant de sept ans en longévité. Cependant, elle dépend sur lui et réclame son soutien, peut-être par ce qu’il est producteur. Qu’elle travaille, par contre, elle aura recours à ses propres moyens, et se considérera comme autonome, grâce à l’argent qu’elle se procure. Suite à cette égalité dont elle jouit désormais, la voilà qui s’émancipe du joug mâle. Sans doute, cette nouvelle situation complique énormément les choses. Mais elle et lui n’accéderont à une dignité égale qu’en cultivant la vie spirituelle. Jusqu’à ce que la femme devienne indépendante grâce à leur production financière commune, chacun des deux continuera à asservir l’autre, avant de réaliser qu’ils sont des êtres humains, et que la bienveillance des hommes n’a rien à faire avec l’argent.
Quand donc se libérera-t-elle de l’esclavage qu’elle lui impose? Elle devra d’abord comprendre qu’elle n’est pas simplement un corps, et que la beauté dont elle jouit n’est rien en soi; c’est juste un don de Dieu pour le genre humain. Cela dit, la vie conjugale est une situation des plus difficiles. L’issue serait que les conjoints réalisent de concert que le mariage ne ce confine pas à la rencontre de deux corps, et que l’âme de chacun devrait s’élever jusqu’à la communion spirituelle. Telle communion n’aura lieu que lorsqu’ils réalisent tous deux que le mariage est de s’offrir à l’autre.
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Cela suppose que toute jeune fille parvienne à une pleine conscience de soi avant de s’engager dans la vie conjugale, indépendamment de cette dernière –nonobstant la complémentarité qui caractérise le mariage. En effet, elle a des charismes propres, tout comme son mari a les siens. Suite à un veuvage éventuel, chacun conserverait sa plénitude, malgré le calvaire. Pour elle, la maternité est un métier, comme pour lui, la paternité.
En disant que cela est un grand mystère, Paul entendait que la vie conjugale à vie est un mystère, parallèlement au mystère de la relation entre le Christ et son Eglise. Le malheur pour l’homme est de sentir que sa femme cherche à le dominer par l’attrait que lui accorde la nature. Assez souvent, cela est vrai. En réalité, la femme emploie sa beauté pour se protéger et se garantir le respect total de son mari. Ce dernier devrait donc y saisir un moyen d’auto-défense, et le devoir de se mettre au service de sa femme, en retour de son service pour lui. La vie matrimoniale est un échange entre égaux, un accroissement commun vers Dieu, d’une part, et vers l’éducation des enfants de l’autre. Qu’ils fixent tout deux le regard vers leurs enfants comme objectif commun, et ils renonceront à leurs chamailles. Ils deviendront plus religieux pour l’amour de leur descendance, qui n’est pas leur possession, mais celle de Dieu.
Purs comme ils sont, les enfants appartiennent à Dieu, leur cœur étant ouvert à la connaissance, au progrès, et à une vie vertueuse. L’homme ne parviendra jamais à la sainteté s’il ne comprend pas que la femme ne lui est inférieure ni en dignité, ni en moralité, ni en charité. Leur vie durant, et jusqu’à l’honorable vieillesse, c’est Dieu qui les réunit, non l’ardeur d’amour. C’est lui qui les a faits un seul et un seul cœur, à l’image de son propre cœur.
[1] L’emploi du mot hébreu Adam réfère au genre humain, par distinction avec l’hébreu îsh désignantl’homme mâle.
Traduit par Monastère de Kaftoun
Original Text: « المرأة » –An Nahar- 27.08.2011