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mai 2011

2011, An-Nahar, Articles

Les chrétiens sont-ils des Croisés? / le 28.05.2011

Oussama Ben Laden et Ayman Zawahiry toux deux nommaient les chrétiens des Croisés, bien que ce terme était inconnu chez les Arabes. L’appellation d’usage était celle de «Francs». Quant aux chrétiens autochtones, ils étaient désignés comme «Nazaréens». Par conséquent, toute assimilation des tendances nationalistes des chrétiens à leur religion était impensable. Le christianisme et les Croisades sont quand même restés synonymes dans la conception des partisans de la Qaïda. Pourtant, Mr Ben Laden, qui vécut à Beyrouth pendant au moins cinq ans savait bien, le long de son séjour chez nous, que nos Eglises étaient dépourvues d’armes. De sa part, Dr Zawahiry, qui connut les coptes en Egypte, connaissait autant que ceux-ci ne tuaient personne. D’ailleurs, les Croisés n’envahirent jamais l’Egypte, mais plutôt le pays de Syrie et l’Empire byzantin. Du reste, les dirigeants des mouvements intégristes et traditionnalistes ont-ils jamais craint un seul chrétien dans les pays arabes?

Je sais bien que l’Histoire garde une mémoire cruelle, et même poignante; elle contient pourtant une part de vérité. Or, dans le cas présent, rien de tel. Déjà Amin Maalouf avait montré dans son livre sur les Croisades l’inconcevable bestialité de ceux qui les ont menées. Mais quel rapport entre eux, et nous, chrétiens de l’Orient, qui avions secondé les musulmans durant ces guerres-ci? Nous avions massacré les Francs et eux nous soumirent en Antioche.

Tant que la distinction ne s’effectuera en l’esprit du musulman entre le chrétien et l’Occident, il imputera toujours à tout chrétien du Levant – ou arabo-chrétien- tous les péchés commis par l’Occident depuis l’aube du christianisme jusqu’à nos jours. D’un ton variablement outré et jusqu’à la fin des siècles, ce chrétien sera chargé de connivence, d’alliance, voire de complicité avec l’Occident. Nul n’ignore donc que c’est en vue de parachever notre cohésion sociale avec les musulmans que nous créâmes le concept d’arabité. Il m’arriva un jour d’être interrogé par un musulman de culture raffinée: «Pourquoi ne vous confinez- vous pas en terre chrétienne, et nous en terre musulmane?» Alors nous élaborâmes un concept commun: l’arabisme. En effet, les gens ont besoin d’un espace commun de dialogue. Comment entamer un dialogue de rencontre islamo-chrétienne, alors que je ne conçois d’autre espace sur terre chez le musulman que le Coran? Je n’entends point par là qu’il est dépourvu de l’amour de la patrie, mais que, pour lui, islam et patriotisme vont de pair. D’où la nécessité de créer un espace neutre que l’on baptisera «la patrie» et qui se distingue de la religion, afin que notre entente se base sur des données communes que la religion ne saurait fournir.

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La patrie provient du monde terrestre; c’est selon ce monde qu’on la gouverne. Quant à la religion, elle est inspirée du Ciel; or, il est impossible de faire le monde terrestre à partir de l’outre-tombe. Il est encore moins possible d’instituer notre pays selon les préceptes des deux religions chrétienne et musulmane en même temps, à cause de leur disparité. Sur ce, à la question pertinente posée par mon ami musulman, je ferai la réponse suivante: nous n’avons d’autre recours que l’arabité. Disons plutôt qu’il en était ainsi au début du XXème siècle, surtout que nous fûmes tentés par le rêve de voir les Ottomans se retirer du pays. Ces derniers avaient réussi à rattraper l’ère moderne, en promulguant le Tanzimat vers la moitié du XIXème siècle. L’état Ottoman eût-il conservé cette configuration moderniste, lors de la Première Guerre mondiale, nous n’aurions eu aucun besoin de recourir au concept d’arabité.

Ce sujet présente une confusion entre chrétiens et musulmans, qui résulte de l’Histoire. De fait, dès son apparition en Arabie, l’Islam fit la découverte de l’arabité. Le lien entre les deux est assez étroit; comme le Coran même le dit, c’est un livre arabe. En adhérant donc à l’Islam, les Arabes s’unifièrent en ce monde pour faire face aux Perses d’une part, et aux byzantins de l’autre. Outrepassant leur tribalisme ils formèrent ainsi «la nation d’Abraham», la Oumma instituée et gardée par Dieu «qui fut la meilleure jamais octroyée aux hommes». Par conséquent, il est impensable d’exiger que les musulmans distinguent entre leur arabité et leur religion. L’arabité disparaîtra seulement à la fin des temps.

Par contre, les chrétiens, depuis leur apparition, ne combinèrent point la religion et le monde, selon la parole de leur Maître: «Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu»[1].Ils se mirent donc immédiatement à se considérer comme des Romains, ne faisant nullement le rapport avec leur foi, et estimant la divergence entre les deux plans d’existence. C’est pourquoi il serait ridicule et ignare que d’appeler les chrétiens des «Croisés», surtout que je n’ai nulle recette pour apprendre aux gens l’art de se rencontrer. Il n’y a pas lieu, à présent, de discuter les systèmes d’état laïcs dans ce domaine. Cela dit, il est indispensable de rappeler les gens que les états occidentaux manifestent divers modes de laïcité; ce ne sont point des états chrétiens. Aussi, une grande partie de leur population ne pratique-t-elle pas la religion chrétienne. Que ces pays entrent en conflit avec des populations musulmanes n’implique donc pas, que c’est le christianisme qui affronte ces populations. Croire que les états occidentaux soutiendraient un seul chrétien contre un musulman dans notre région relèverait de l’ignorance. C’est plutôt au musulman qu’ils s’allient, pour son argent. D’ailleurs, la propagande islamophobe qui gagna vite l’Occident est loin d’affecter la politique de ces états tombés amoureux du pétrole et de ses dérivés. Pour l’Occident, soutenir les régimes politiques au pouvoir ou supporter les manifestants et les insurgés contre ces régimes-ci fait part égale de ses intérêts. Dans d’autres cas, ce serait une composante de l’animosité entre le parti russo-chinois d’’un côté, et celui des états occidentaux de l’autre. Quel rapport y a-t-il là avec les Croisés?

Par ailleurs, comment expliquer le massacre des chrétiens Iraquiens et Egyptiens au patriotisme irréprochable? Nul ne me convaincra que dans leur cas et le nôtre, il s’agit d’une question politique: les deux groupes des chrétiens de l’Iraq et d’Egypte ne présentent aucun rapport avec la politique. Les Arabes reçoivent-ils quelque éducation qui les empêche de tuer tout homme qui appartient à une autre religion? Admettent-ils l’autre dans sa plénitude, dans son altérité, dans sa différence, dans l’opposition intellectuelle qu’il manifeste? L’arabité demeure-t-elle encore cet espace commun de notre rencontre dans l’amour? Jai du mal à tolérer l’adage que «ce comportement est complètement étranger à l’islam». La catéchèse importe peu au citoyen. L’important pour lui est qu’un autre ne vienne pas lui ôter la vie, qu’il ne devienne pas la victime de ceux qui combinent la religion et le monde, et que les pays ne soient pas régis par les partisans de l’uniformité religieuse, quelque soit la religion de la majorité.

Nous désirons la paix. Dieu est la paix. Ce qui importe le plus est que notre comportement quotidien en soit inspiré. Alors chacun de nous deviendra une effusion d’amour sans limite.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « هل المسيحيون صليبيون؟ » – 28.05.2011


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2011, An-Nahar, Articles

Le Royaume du Christ / le 14.05.2011

Le dialogue entre le Seigneur et Pilate est d’un dramatisme prononcé. Considérant les accusations des Juifs, le procureur interroge Jésus de Nazareth: « Es-tu le roi des Juifs? » Pour le gouverneur, cette accusation qui ne portait aucune atteinte au trône de César importait peu; elle ne valait pas au Sauveur d’être exécuté. En tant que juge, le gouverneur finit par lui demander: « Qu’as-tu fait? » Et Jésus de répondre: « Mon royaume n’est pas de ce monde ». Il ne provient pas de la terre. Pourtant, j’affirme bien être roi. Ma fonction est strictement celle-ci: « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.« 

En chaque nation, et dans l’ensemble de l’humanité, il est un homme, ou certains hommes, à qui il n’incombe pas de gouverner- voire de faire de la politique-, mais de témoigner pour la vérité. Le Maître de Nazareth dit un jour: « Pour eux –les disciples- je me sanctifie. »Dans la langue d’origine, ce mot signifie « je suis consacré à Dieu », ou encore « je me consacre aux choses de Dieu ». « Je suis à son image « , énoncerait un fidèle chrétien, pour dire « j’use du même langage que le sien, parce qu’il descendit jusqu’ à moi et qu’il cohabita avec moi, après que je me suis humilié devant lui ». Si, par contre, je me construisais une tour comme à Babel jadis, pour monter vers Dieu de mes propres forces, en compagnie de quelques orgueilleux, le voilà qui détruirait la tour et brouillerait nos langues. A savoir, il susciterait en chaque homme des concepts différents des autres, formant ainsi des langues où Dieu n’a pas sa place. N’étant plus le Souverain de toutes les langues, Dieu cesserait de régner parmi nous: il ne serait plus seul à occuper le cœur de l’homme. Chaque homme aurait désormais un cœur propre, ce cœur devenant un nœud de vipères. Ces vipères se déchireraient dans une lutte sanglante, et accapareraient des royaumes terrestres – des fermes, comme on dit en libanais- si bien que le « moi » cesserait d’être un « nous ».

La terre ne peut produire un Royaume à Dieu. Sur ce, Jésus, descendu avec ses paroles du ciel, déclare au représentant de la Rome terrestre: « Mon royaume n’est pas de ce monde ». Moi et le monde ne parlons pas le même langage, à moins que ce monde-ci perçoive sa vocation de devenir –de toute son étendue- un règne du ciel, même plus, un ciel.

Sans doute une mince minorité seulement réalise-t-elle devoir tenir exclusivement le langage de la vérité, étant venue au monde afin de témoigner pour la vérité. Mais peut-être ne réalise-t-elle pas qu’elle n’a d’autres instruments de discours que des messages de vérité, dans le sens où elle serait venue au monde pour « se sanctifier », jusqu’à ce que son langage s’identifie à celui de Dieu. Par conséquent, elle est basée sur la sainteté de la vérité.

Pour moi, les paroles du Christ à Pilate « mon royaume n’est pas de ce monde » signifient que le Christ est venu instaurer un langage nouveau. C’est la Parole, qu’on devrait suivre et adopter, sous peine d’être privé du changement complet des composantes de l’être humain. Dans ce dernier cas, on se borne à emprunter la terminologie de Jésus de Nazareth, sans vraiment en extraire des convictions propres. Pourtant, on croit le faire, en raison d’une fonction sociale, d’un cadre ou d’un pouvoir, qui permettent d’établir un royaume de ce monde, constitué d’éléments du monde. On en tire sagesse et perspicacité, on se délecte même de cette perspicacité profane que l’on croit provenir de Dieu, Lui étant la source de tout entendement.

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Avant de déclarer « mon royaume n’est pas de ce monde », Jésus avait à l’esprit l’appartenance de ses disciples à son royaume: « ils ne sont pas du monde; sanctifie-les par la vérité. » Leur charge consiste à témoigner pour la vérité, non à s’engager en politique, tel un Hérode, les grands prêtres ou un Pilate. Or témoigner pour la vérité veut dire abonder en sainteté, ne plus avoir au-dedans que le caractère divin, ne plus avoir sur les lèvres que les paroles provenant du Verbe qui fut au commencement, avant l’univers, avant la politique.

« Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde. » Comme je ne dis rien de moi-même, ayant tout pris de toi, ils ne proféreront pas une parole d’eux-mêmes. Je suis l’idéal suprême pour lequel ils œuvreront, comme s’ils étaient prééternels à mon instar, de même que toi et moi sommes ensemble bien avant l’éternité.

Cela dit, l’apôtre Paul avoue que ce monde dispose d’une certaine sagesse, dont « la sagesse du discours ».[1] Or il est évident que le monde ne connut pas Dieu par une sagesse humaine, car « le Christ est la sagesse de Dieu et la puissance de Dieu ». Mais cela implique-t-il qu’entre ces deux sagesses tout échange est impossible, que la disparité demeurera à jamais entre le langage de l’homme déchu et celui de Dieu, et qu’un abîme sépare les saints des pécheurs? Question assez difficile! Mais si l’on perçoit que la Parole de Dieu exprime son autorité dans le monde et que la vérité de Dieu est la Vérité propre, il n’y a aucun lieu de compromis entre la position de Dieu et celle de l’homme, dans toutes circonstances.

Il est quand même très séduisant de substituer la parole des hommes à celle de Dieu: or, en cela même réside le compromis, la déchéance vers un niveau inférieur, où l’on se sert de la logique humaine pour couvrir la logique divine, pour la celer. Alors on se persuade d’agir en personne sage et charitable qui ne fait que veiller aux intérêts des hommes. Dès lors, la logique de ceux qui ont acquis la sagesse profane raisonne comme il suit: tels sont les hommes, et telle leur conception des choses. Que l’on se montre condescendant. En réalité, les choses prennent la tournure suivante: on adopte la sagesse de ce monde tout en se prenant pour des serviteurs de la vérité. Mais quelle illusion! Car la tour de Babel s’est effondrée et les langues furent brouillées; on est désormais un homme de cette terre dont la boue recouvre le peu de lumière qui lui restait.

Par contre, savoir user des formules, des manières, et des biais de ce monde comme truchements de la Parole de Dieu est autant l’œuvre accomplie en l’homme par la grâce divine que le fruit de sa vigilance pour conserver des positions sans tâches. Etre un humain qui aspire au divin en tout engagement, en vue de sanctifier ses frères dans la vérité, dans le refus de toute rétribution personnelle et de toute fausse complaisance permet de bien maîtriser la sagesse de ce monde sans s’y soumettre.

Comment donc changer ce monde de péchés? Ni par un cerveau de génie, ni en multipliant ces génies conçus dans l’iniquité, nés et élevés dans le péché. Le monde peut être changé par ceux qui s’exposent au fouet quotidien des Paroles de vérité, pour que les péchés ne s’infiltrent plus dans leur chair. Ils sont alors des témoins de vérité; rien ne les en sépare. C’est par une moindre ingéniosité et une profusion de vérité que le monde est sauvé; par ceux qui mendient la splendeur des saints. Ainsi le Sauveur se manifestera brillamment dans la multitude qui introduira son royaume dans ce monde d’ici-bas.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Original Text: « مملكة المسيح » –An Nahar- 14.05.2011


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