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Mr Erdogan lit-il? / le 24.09.2011

Dans le discours prononcé par le Premier ministre turc Rajab Tayyeb Erdogan, devant les ministres des affaires étrangères arabes au Caire, deux phrases retiennent mon attention. La première est la suivante: «La Turquie et les Arabes partagent une doctrine, une culture et des valeurs communes». La doctrine, il va sans dire, est l’islam. Ces paroles impliquent que Monsieur le Premier ministre ne remarque pas l’existence de douze millions de chrétiens arabes, pour le moins, qui n’ont nullement besoin d’un étranger pour définir leur identité nationale.

En ce qui concerne la culture, c’est la langue persane qui eut le plus grand impact en Anatolie. Après Mehmed le Conquérant, Constantinople devint une métropole littéraire qui attirait les poètes arabes et perses, pendant que le turc vernaculaire prenait pied. Néanmoins, il faut dire que vers le quinzième et le seizième siècle, il ne restait aucune influence arabe qui ne fut mêlée d’interférence perse. Au XIXème siècle, lors du Tanzimat, la Turquie littéraire se tourna vers l’Occident. Puis, après la guerre d’indépendance et la déclaration de la République turque en 1933, le sentiment national turc gagna en vigueur, jusqu’à l’époque du révolutionnaire Nazem Hikmet (1902-1963). A partir de 1939, les horizons turques s’élargirent avec les diverses traductions, et le développement de la pensée sociale et politique. Ce qui anime la littérature aujourd’hui ne présente aucun rapport avec l’arabité.

Quant aux valeurs que Mr Erdogan qualifie de communes à nous deux, elles comportent de l’ancien et du nouveau. Il est certain que les valeurs anciennes ne nous harcèlent point. Nous tendons toujours vers la modernité, jusqu’à afficher un goût vif pour l’Europe, alors que les Turcs sont fortement attachés aux valeurs anciennes. Leur espoir d’une fusion politique avec l’Europe est seulement dans le but de compléter l’Alliance Atlantique qui les rallie à elle. C’est ce qui donne son ascendant à la Turquie dans le monde arabe, en vue de quelque ottomanisme où les arabes seront plus des alliés mineurs que de puissants partenaires.

Plus effrayante encore est la parole de Mr Erdogan qui suit: «Il fut dans l’Histoire turque un jeune homme qui mit fin à une civilisation noire, pour inaugurer une nouvelle civilisation de noble lignage en soumettant Istanbul: c’est Mehmed le Conquérant». Je me garderai de discuter la noblesse et la grandeur de la civilisation turque. Je commence par cette question à Mr Erdogan, qui ne devrait pas le choquer: a-t-il fait des lecturessur la civilisation byzantine, qu’il taxe d’être «noire»? Il faut dire que les Turcs sont des soldats. En se conspirant avec les vaisseaux de l’Occident implantés là-bas, ils remportèrent leur victoire sur cette civilisation intellectuellement prééminente en 1453. Comment donc Mr Erdogan se propose-t-il de nous convaincre qu’une telle civilisation harmonieuse, ingénieuse, de spiritualité céleste fut «noire»? Comment ne peut-il voir que la Renaissance européenne advint seulement avec l’exode des cerveaux de Byzance vers l’Occident. C’est d’eux que l’Ouest s’inspira la Raison grecque pour élaborer la philosophie moderne.

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La culture est l’élément le plus important de la civilisation byzantine. On y retrouve des œuvres rédigées en grec et en latin, parmi les ouvrages des historiens de l’Antiquité. Elle recèle aussi des lettres concernant l’agriculture, la stratégie militaire, la médecine générale, la médecine vétérinaire, et l’interprétation des rêves. Tout cela constituait une bibliothèque gigantesque. En plus de cela, il y avait la bibliothèque du Patriarcat Œcuménique, qui comportait les actes des conciles et la littérature patrologique. Il faut y ajouter les bibliothèques privées, et quelques livres liturgiques, çà et là. Les livres y étaient rares à cause de leur coût; mais les riches s’en procuraient sans peine.

Quant à l’école primaire, elle était sous la tutelle de l’évêque. Les enfants y apprenaient à lire, à écrire, et à faire des comptes, avec le Psautier comme livre principal. A l’école, on enseignait la syntaxe, et chaque lettre avait une valeur numérique, comme dans le monde arabe. Dans ces écoles, on chantait agréablement.

Tous les enfants rejoignaient le cycle complémentaire. Les gens apprenaient tout sur l’Antiquité: Homère, l’architecture, la rhétorique, et les mathématiques. Le domaine de la philosophie incluait la théologie, les mathématiques, la musique, l’astronomie, et les sciences naturelles. Au treizième siècle, des œuvres latines, perses et arabes parurent via la traduction. On importa du latin la nomenclature administrative, et de l’arabe, les termes de l’industrie textile. L’Eglise manifestait son attachement à la langue archaïque. A Constantinople, il y avait plusieurs universités; en même temps, le Patriarcat fournissait un enseignement universitaire.

L’enseignement supérieur exigeait inévitablement la connaissance de l’Ecriture Sainte. Les actes doctrinaux des conciles donnèrent lieu aux termes de théologie. L’ascétisme et le mysticisme influencèrent l’éducation alors que la doctrine reposait sur les écrits de Jean Damascène. Syméon le Nouveau Théologien, Grégoire Palamas et Nicolas Cabasilas étaient les grands mystiques de l’époque. Là aussi, les vies des saints firent leur parution. Les livres liturgiques, sur lesquels les orthodoxes subsistent jusqu’à nos jours, ont été rédigés entre le quatorzième et le quinzième siècle. Savoir utiliser les livres de prières, notamment ceux des fêtes et des cycles liturgiques, était une constante de la culture byzantine.

Il existait des ouvrages littéraires en langue académique: des livres d’histoire, de géographie, de stratégie militaire, mais aussi des ouvrages sur l’éloquence, l’art du récit, la philosophie, la linguistique, et la grammaire.

L’Histoire commençait par la Création du monde et se terminait au temps de l’auteur du livre. Outre cela, la philosophie grecque révéla les Pères de l’Eglise. Ayant la conviction de parfaire les idées de l’Antiquité par l’inspiration religieuse, on émettait les concepts chrétiens par le truchement du langage philosophique. Ce dernier resta pourtant fixe. Les systèmes théologiques se diversifièrent, mais les vrais philosophes étaient rares, alors que proliféraient les experts en classiques grecs, les critiques littéraires et les linguistes, et qu’émergeaient les dramaturges.

Il me semble que la poésie religieuse fut la meilleure production écrite. Tout ce qu’on appelle dans nos rites kondakion et canon est de la poésie. A Byzance, on connut également la poésie populaire et les contes en langue vernaculaire et soutenue, ainsi que des savants en mathématiques, en physique et en optique. Les byzantins avaient aussi une connaissance pratique de la zoologie, et de la botanique pratique, à savoir l’usage des plantes en médecine et en pharmacie. Les byzantins apprirent la chimie de Strabon et l’appliquèrent en métallurgie, en teinturerie, en pharmacie et en verrerie.

Sur le plan médical, on fonda des hôpitaux, et les médecins jouissaient d’un enseignement institutionnalisé, riche en ressources. C’étaient des ophtalmologues célèbres: Paul d’Egine, qui eut une certaine influence sur la médecine arabe était versé en chirurgie et en obstétrique. Michel Psellos était l’auteur d’un dictionnaire médical. De plus, on promulgua des livres spécialisés en médecine dentaire; les byzantins excellaient aussi en ferrage et en nutrition animale. Chez eux, la pharmacie faisait part de l’enseignement médical, et l’on se mettait parfois à l’école des Arabes et des Perses.

L’art du discours était de grande importance dans la propagande politique et religieuse. L’homélie religieuse en faisait partie; c’était l’époque de Jean Chrysostome, dont la réputation gagna Antioche et Constantinople aux quatrième et cinquième siècles ap. J-C. Nous avons encore ses homélies en grec, traduites dans la plupart des langues européennes, et partiellement en arabe.

De plus, l’icône en tempera sur bois ou en fresque commença à paraître dans l’Empire. Elle visait surtout à enseigner la foi aux illettrés. Le quatrième siècle marqua le début de l’iconographie et les mosaïques; les plus anciennes sont celles de Thessalonique (La Sainte Vierge, St Georges). Quelques icônes, découvertes sous Atatürk, subsistent encore à l’Eglise Sainte-Sophie. Une part minime se trouve à Chypre, alors que la majeure partie est conservée à Ravenne (en Italie). Cependant, les mosaïques s’avérant coûteuses, elles furent remplacées par les fresques. Celles-ci étaient répandues dans la région qu’on désigne aujourd’hui par l’Orient Arabe. A présent, elles émergent de nouveau à travers toute la contrée du Liban et de la Syrie. Citons de même l’illustration des manuscrits, et particulièrement des évangiles. Aussi l’art de la miniature se reliait-il à la joaillerie et à la broderie.

L’Eglise réalisa lors du septième concile que l’icône était indispensable. Elle en adopta la vénération au concile en 787 et ainsi les icônes peuplèrent les maisons et les églises du monde orthodoxe. Ce fut St Jean Damascène, un moine de Palestine, qui en rédigea le premier exposé théologique. L’Eglise adopta son interprétation de l’icône, d’autant plus qu’il en justifie la nécessité par l’Incarnation divine. Le caractère spirituel de toute icône conservée dans les maisons orthodoxes des quatre coins du monde, ainsi que l’inspiration spirituelle qu’elle manifeste dans les églises, sont des facteurs qui préservèrent la foi.

Les historiens affirment que tous les byzantins étaient croyants, si bien que lorsqu’ils rencontraient un moine, ils demandaient sa bénédiction. On peut se figurer, dans une telle ambiance, l’attention qu’on accordait aux infirmes et aux indigents.

Certes, il y eut des empereurs injustes; mais on en trouve aussi qui abandonnèrent le trône pour rejoindre l’ordre monastique. Malgré ses transgressions, cette société désirait inaugurer le royaume de Dieu sur terre, en maintenant une foi juste et une vie honnête. Cela se manifestait par le fait de pleurer ses péchés, de se montrer aimable, clément, paisible, compatissant, de renoncer à l’argent et de vivre dans l’abstinence. Or, tout cela se résume en un seul mot: l’amour du Seigneur.

Il est essentiel que l’homme soit guidé par les choses de l’extérieur à celles de l’intérieur. En d’autres termes, dans cette civilisation, tous les croyants menaient un train de vie mystique. Il s’agit de demeurer dans le mystère de Dieu, alors que les sens extérieurs ne perçoivent nullement ce que l’on reçoit de lui. On répète la prière de Jésus mille fois par jour dans son cœur, jusqu’à ce que s’évanouissent les paroles, et que son cœur en devient parole. Toute personne qui connaît les prières orthodoxes, à l’origine élaborées dans nos pays, y rencontre une richesse inégalable. Chaque prière, du matin au coucher, et jusqu’à minuit, comporte cette certitude exprimée le jour de Pâques: «Christ est ressuscité d’entre les morts»! C’est que lors de la divine liturgie, ayant reçu le Corps et le Sang du Seigneur, on supplie Dieu d’être «parfait dans le royaume des cieux», affranchi du tribunal au Jour du Jugement. Ces prières intensives, profondes, cristallines, le corps à genoux ou en station debout et l’âme limpide, puisent toutes dans l’Ecriture divine, ou la redisent sous une forme poétique, jusqu’à devenir une poésie divine chantée en communauté.

En lisant tout cela, Mr Erdogan pourra-t-il encore désigner telle splendeur, – que nous tentâmes de décrire dans la mesure du possible, comme une «civilisation noire»? Vous n’êtes nullement justifié d’avoir lu et mal compris. Vous n’êtes point justifié de prendre la lumière pour l’obscurité. Vos ancêtres agressèrent la ville qui se reconnaissait être, à l’époque, l’unique foyer de la civilisation au monde. Veuillez donc montrer l’équité souhaitable envers vos prédécesseurs; veuillez lire, car vous êtes un responsable.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « السيد اردوغان هل يقرأ » – 24.09.2011

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La foi / le 17.09.2011

Commençons par l’étymologie. La foi est le fait de croire; c’est la sécurité, par opposition à la peur. C’est aussi la confiance, ainsi que la fidélité. Selon le philosophe arabe Al Ghazali, de même que dans le christianisme, la foi est une lumière projetée par Dieu dans le cœur de l’homme, comme pour dire que Dieu en est la source. Elle est reçue par l’homme, qui y répond par l’obéissance manifestée dans la piété et les bonnes mœurs.

Il ne s’agit donc nullement d’une activité rationnelle, quoique la raison y joue un rôle récepteur. La raison n’est pas l’initiatrice de la foi, quand bien même la philosophie médiévale déployât des efforts pour aboutir à ce qu’elle désigna par les «preuves» de l’existence de Dieu.

Il est certes possible d’admettre rationnellement l’existence d’un Créateur, mais la preuve rationnelle ne saurait déclencher cet élan du cœur vers Dieu, vers la fréquentation de Dieu, dans le sens de ce que certaines philosophies appellent «l’expérience», voire «la dégustation» de Dieu. Si la foi effectue une résurrection ontologique dans l’ensemble de l’existence humaine, elle ne pourrait être le simple  aspect d’un discernement  logique. Un ami qui connut une période d’irréligion, me dit un jour qu’il rejetait tout ce qui n’était pas dicté par sa raison. «Si ta raison faisait toute ton existence,» lui dis-je, «comment aurais-tu donc choisi ton épouse? Ton amour pour elle n’est point commandé par ta raison, y aurait-elle participé de quelque façon. Ou encore est-ce ta raison qui décida que les symphonies de Beethoven sont incontestablement la meilleure musique?» Le comportement humain est tel que personne ne se conduit uniquement selon ce que lui dicte sa raison.

Dans le christianisme, Dieu est le seul objet de la foi. C’est pourquoi il est dit dans le Credo: «Je crois en un seul Dieu»; et d’ajouter: «et en un seul Seigneur Jésus-Christ». En effet, être Seigneur signifie être Dieu. Pour les chrétiens, Marie n’est pas un objet de foi, mais de vénération. Les saints non plus, quoiqu’on sollicite leur intercession. Il en va autant pour les prophètes de l’Ancien Testament. On croit pourtant en leurs livres, comme faisant partie de la Révélation divine.

Par ailleurs, croire en quelque miracle postérieur aux miracles du Christ n’a pas valeur de dogme. Les gens sont libres de croire ou non aux apparitions des saints; libres aussi d’accepter ou non les miracles d’une icône. Tout ce qui tient à la créature n’est pas inclus dans le dogme de la foi. Que telle ou telle femme reçoive des messages du ciel est chose possible; on n’est pourtant pas tenu d’y croire. A chacun de donner crédit ou non au fait d’accourir vers les lieux de miracles. Mais pourquoi avons-nous besoin de miracles pour raffermir notre foi en Dieu? «En ces derniers temps, Dieu nous a parlé par son Fils». Si l’on se trouve en charge de personnes à la foi vacillante, qu’on les renvoie au Livre de Dieu. Celui qui ne s’y fie pas ne sera jamais convaincu par quelque apparition postérieure.

Il existe une religion populaire bourrée de légendes, prompte à l’effusion des émotions et des sentiments, saturée d’hallucinations, dont les adeptes nous harcèlent pour y croire. Or, nous sommes comblés de la résurrection du Seigneur, de sa présence dans l’Evangile et dans l’Eucharistie.

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Rares sont les croyants à la foi vive, qui avouent dans leur for intérieur que Dieu est tout pour eux. Celui qui compte sur son argent ou sur sa santé manque de s’en remettre à Dieu et ne le rencontrera pas sur son parcours d’existence. Il s’accumule dans la mémoire des gens un imaginaire et un langage religieux empruntés à leur milieu, qu’ils prennent pour un souffle de pensée divine dans leur âme, mais qui ne sont rien. Il s’agit d’une religion qu’ils s’inventent eux-mêmes, pensant qu’elle leur servira de fétiche contre la maladie et l’indigence. Parfois, ce n’est qu’une fable qui vient corrompre la dévotion véridique dont elle est originaire. La religion est très dangereuse quand elle n’est pas constamment purifiée par la grâce de Dieu. Faute de s’unir à Dieu, à l’amour de Dieu, on serait envahi par le paganisme sans le savoir. Ce genre de religion teintée de mythes n’est que trop répandu.

Le Clergé n’est pas automatiquement préservé par Dieu de cette religion médiocre. Si celui qui porte l’habit noir n’est pas transformé par le bras du Très-Haut, sa robe n’est rien que du tissu. La charge confiée au prêtre ne garantit pas sa sainteté. Souvent telle charge s’empreint de l’amour du pouvoir ou de la passion de l’argent. Tout supérieur n’est pas forcément libéré de ses passions; ayant les choses sacrées pour métier, il pourrait se figurer les avoir atteint. Alors s’accomplirait l’adage anglais: «le pouvoir corrompt, et le pouvoir absolu corrompt absolument», jusqu’au jour où Dieu nous verra tous dénudés  dans le tombeau. A vrai dire, la foi n’est pas garantie dans tous les rangs du clergé. C’est pourquoi les anciens moines se dérobaient du sacerdoce en  s’enfonçant dans le désert.  La hiérarchie ecclésiastique est -ou pourrait être- l’école de la haine. Les Arabes avaient raison en déclarant: «La souveraineté n’est pas donnée à celui qui la convoite». Le problème est que les gens innocents ne reconnaissent pas les hommes malveillants et perfides, comme si Dieu ne sauvegardait les bons que par la mort des méchants. Mais l’autre problème est qu’on n’a pas le droit d’attendre cette mort; c’est la prescience divine qui en décide sans nous le révéler.

On n’aura d’autre consolation que de contempler la Face de Dieu, sachant qu’il dirige son Eglise par son Esprit  Saint et que patienter est notre lot, jusqu’à ce que le Seigneur nous emmène auprès de lui pour rejoindre le rang des justes.

Que l’on veille donc pour ne pas contracter la malveillance et la perfidie, car le jour viendra peut-être où les hommes purs seront rares. C’est la vision de Jésus concernant la fin des temps. Face à la décadence générale, on n’a qu’à se tenir sur sa croix jusqu’à la dernière goutte de sang.

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Les personnes intelligentes me questionnent d’habitude sur la relation entre la foi et la connaissance. Ceux-ci suivent le principe de la raison, alors que les gens de foi suivent le principe de la certitude, comme si les deux se rencontraient difficilement. Mais prétendrions-nous, les adeptes de la foi, veiller sur Dieu, alors qu’il est le Protecteur?  St Cyrille d’Alexandrie dit: «Il est indispensable que tu croies pour que tu puisses comprendre… la connaissance vient après la foi». Vint ensuite St Augustin pour dire: «Nous croyons pour raisonner; nous ne raisonnons pas pour croire». C’est en montrant l’excellence de la foi qu’on avance dans la connaissance. Pour plus de précision, citons St Jean Chrysostome: «Par la foi, nous parvenons à la connaissance des choses divines. La foi est la première condition de la connaissance; c’est elle qui y conduit la raison».

La foi n’est pas une question de preuves logiques. Elle provient de la confiance en Dieu. Saint Cassien dit: «Afin de croire, je dois avoir la certitude de connaître celui qui a parlé». Mettons les preuves de côté: en effet, il faut se servir de la raison en proportion à la foi donnée par Dieu.

Regardant tous les gens échoir comme des moustiques en s’affairant pour chercher leur propre ruine et celle des autres, je réalise que ce sont des sans-dieu qui cherchent à masquer leur irréligion. «Mon âme est triste jusqu’à la mort» parce que les croyants deviennent rarissimes. Pourtant, nous savons bien que l’humanité est sauvée en puissance, et que nous sommes appelés à renouveler notre fraternité par le Saint Esprit, jusqu’à ce que le Seigneur mette fin aux temps mauvais par des Pâques éternelles.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « الإيمان » – 17.09.2011

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2011, An-Nahar, Articles

La femme / le 27.08.2011

Ce sujet est inclus dans les questions théologiques relevées par cette rubrique, bien qu’il présente plusieurs aspects anthropologiques. Pourtant, je me suis proposé de l’aborder à cause des méprises et des erreurs multiples commises par les penseurs qui le discutent. Le problème réside en ce que les hommes parlent pour les femmes, desquelles ils se trouvent responsables pour des raisons religieuses, ou par l’effet des relations mixtes. Je me lance quand même à l’aventure, espérant apporter quelque rectification.

St Grégoire le Théologien, qui fit ses études à notre école de Droit de Beyrouth, au quatrième siècle, dit un jour: « Les hommes sont injustes envers les femmes, puisque ce sont eux qui érigent les lois. » Ces propos laissent entendre que la concurrence entre les deux genres est inévitable. Mais ce conflit entre les deux natures est-il inné, de sorte qu’il s’aggrave au sein de la vie conjugale, si bien que l’un des conjoints manifeste de la violence domestique? Ou est-ce le péché qui emploie la puissance physique ou celle de la séduction pour mieux dominer? Ces questions supposent l’impossibilité d’entamer un débat sur la femme sinon par rapport à l’homme. S’il en est ainsi, le titre de cet article est injustifié.

Si, par contre, en vue de mieux comprendre, on voudrait bien revenir au commencement, on lira ce qui suit: « Dieu créa Adam[1] à son image, à l’image de Dieu il le créa; mâle et femelle il les créa« (Gn1, 27). Il est dit Adam (l’être humain), non l’homme mâle. Par conséquent, il me semble que l’image divine n’est pas dans l’homme et la femme unis, dans ce que les français appellent « le couple ». Voici la seconde version du récit de la création:  » ‘L’homme s’écria: voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise.’ Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair » (Gn2, 23-24). Dès lors, il devient évident qu’elle est un autre être humain, malgré sa provenance de lui. Les deux ne deviennent un que par la volonté conjugale, ce que l’on désigne unanimement, d’une façon ou d’une autre, par le terme « contrat ». Chez les chrétiens -surtout les Orthodoxes- on l’appelle « alliance ». L’union est une disposition spirituelle, un prolongement spirituel entre deux êtres indépendants. L’ardeur ne fait pas sortir l’homme de sa solitude. L’intimité est un engagement, une progression, un même désir. Qu’elle prenne la forme d’une fusion touchant à la dissolution, aucun des deux ne serait à l’image de Dieu; le lien d’amour implique une personne qui aime et une autre qui est aimée.

Au fond, l’indépendance de la femme est exprimée par l’Apôtre Paul dans son Epître aux Galates: « Il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus l’homme et la femme » (Ga3, 28). Ce « il n’y a plus l’homme et la femme » signifie qu’aucun des deux n’est combiné à l’autre, de manière à être défini par l’autre, ou par la relation entre les deux. L’homme et la femme trouvent respectivement leur plénitude en Jésus Christ ; les célibataires ne sont en rien inférieurs aux mariés, car tous sont faits à l’image de Dieu. La relation établie par le mariage ne change en rien l’image de Dieu en chacun des époux. Mais voici l’Apôtre qui vient nous éclairer sur la nature de cette relation dans l’Epître aux Ephésiens.

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L’Apôtre commence par la soumission mutuelle entre les être humains, avant de développer la question du mariage. C’est donc à la lumière du verset 21 qu’il faudrait comprendre la suite du passage. Beaucoup ne lisent que la moitié du verset qui leur sied: « Femmes, soyez soumises à vos maris« , suivie par « car l’homme est le chef de la femme« , puis « tout comme le Christ est le chef de l’Eglise, lui, le Sauveur de son corps« . Le Christ est mort pour l’Eglise, et ainsi le mari meurt pour sa femme. Or chacun obéit à celui qui meurt pour lui. Cela est confirmé par la parole suivante: « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle ». Et l’Apôtre d’ajouter: « Celui qui aime sa femme s’aime lui-même. » C’est pourquoi, désormais, il constitue avec elle un seul être, comme le Christ et l’Eglise forment un seul être. Le mariage chrétien ne saurait exister hors du mystère de la mort et de la Résurrection.

Tout cela est basé sur la différence entre la passion d’amour –eros– et la charité. La passion d’amour est une chose naturelle que l’Eglise consacre lors de la célébration matrimoniale. Quant à la charité, elle descend de chez Dieu sur les deux époux, les appelant à mourir chacun pour l’autre. Si cette descente n’a pas lieu, ou si elle est refusée, la passion d’amour est menacée de disparaître, laissant place à la haine; l’union conjugale est alors détruite. C’est pourquoi les non-croyants se trouvent en danger de se séparer suite à un mariage déclenché par la fougue, au lieu de la foi.

Le Nouveau Testament ne fait pas mention de la femme en soi, mais de sa relation avec l’homme dans le cadre du mariage, du moment qu’elle est sanctifiée par lui et lui par elle. Or, dans la vie sociale, l’homme s’attribue une importance supérieure à la femme, pour la simple raison qu’il est un mâle. C’est la règle qui sévit dans notre existence orientale -peut-être même dans le monde entier-, car l’homme considère la femme comme la source de la séduction. La vérité est qu’aucun des deux genres n’est exclusivement séducteur. D’ailleurs, que l’homme opprime la femme est chose certaine, et cela pour la double raison qu’il se voit formidable et qu’il cherche à confirmer sa grandeur sans occasion. Aussi se met-il à la battre parce qu’il se confie la charge de la corriger. Tant que les choses vont ainsi, il y aura une brèche dans la vie conjugale.

Or, en réalité, elle est dotée d’une santé plus solide que lui, le dépassant de sept ans en longévité. Cependant, elle dépend sur lui et réclame son soutien, peut-être par ce qu’il est producteur. Qu’elle travaille, par contre, elle aura recours à ses propres moyens, et se considérera comme autonome, grâce à l’argent qu’elle se procure. Suite à cette égalité dont elle jouit désormais, la voilà qui s’émancipe du joug mâle. Sans doute, cette nouvelle situation complique énormément les choses. Mais elle et lui n’accéderont à une dignité égale qu’en cultivant la vie spirituelle. Jusqu’à ce que la femme devienne indépendante grâce à leur production financière commune, chacun des deux continuera à asservir l’autre, avant de réaliser qu’ils sont des êtres humains, et que la bienveillance des hommes n’a rien à faire avec l’argent.

Quand donc se libérera-t-elle de l’esclavage qu’elle lui impose? Elle devra d’abord comprendre qu’elle n’est pas simplement un corps, et que la beauté dont elle jouit n’est rien en soi; c’est juste un don de Dieu pour le genre humain. Cela dit, la vie conjugale est une situation des plus difficiles. L’issue serait que les conjoints réalisent de concert que le mariage ne ce confine pas à la rencontre de deux corps, et que l’âme de chacun devrait s’élever jusqu’à la communion spirituelle. Telle communion n’aura lieu que lorsqu’ils réalisent tous deux que le mariage est de s’offrir à l’autre.

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Cela suppose que toute jeune fille parvienne à une pleine conscience de soi avant de s’engager dans la vie conjugale, indépendamment de cette dernière –nonobstant la complémentarité qui caractérise le mariage. En effet, elle a des charismes propres, tout comme son mari a les siens. Suite à un veuvage éventuel, chacun conserverait sa plénitude, malgré le calvaire. Pour elle, la maternité est un métier, comme pour lui, la paternité.

En disant que cela est un grand mystère, Paul entendait que la vie conjugale à vie est un mystère, parallèlement au mystère de la relation entre le Christ et son Eglise. Le malheur pour l’homme est de sentir que sa femme cherche à le dominer par l’attrait que lui accorde la nature. Assez souvent, cela est vrai. En réalité, la femme emploie sa beauté pour se protéger et se garantir le respect total de son mari. Ce dernier devrait donc y saisir un moyen d’auto-défense, et le devoir de se mettre au service de sa femme, en retour de son service pour lui. La vie matrimoniale est un échange entre égaux, un accroissement commun vers Dieu, d’une part, et vers l’éducation des enfants de l’autre. Qu’ils fixent tout deux le regard vers leurs enfants comme objectif commun, et ils renonceront à leurs chamailles. Ils deviendront plus religieux pour l’amour de leur descendance, qui n’est pas leur possession, mais celle de Dieu.

Purs comme ils sont, les enfants appartiennent à Dieu, leur cœur étant ouvert à la connaissance, au progrès, et à une vie vertueuse. L’homme ne parviendra jamais à la sainteté s’il ne comprend pas que la femme ne lui est inférieure ni en dignité, ni en moralité, ni en charité. Leur vie durant, et jusqu’à l’honorable vieillesse, c’est Dieu qui les réunit, non l’ardeur d’amour. C’est lui qui les a faits un seul et un seul cœur, à l’image de son propre cœur.


[1] L’emploi du mot hébreu Adam réfère au genre humain, par distinction avec l’hébreu îsh désignantl’homme mâle.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Original Text: « المرأة » –An Nahar- 27.08.2011

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La fête de la Dormition de la Sainte Vierge / le 13.08.2011

L’appellation proprement chrétienne est «Dormition de la Mère de Dieu (la Théotokos)», ceterme étant une façon propre à l’Orient de désigner la mort. Dans le langage liturgique, les morts sont dits endormis, pour indiquer de la victoire du Christ sur sa propre mort et la leur. Aussi Dieu les embrasse-il- dans son sein avant la résurrection du Jour Dernier.

La fête est d’origine orientale. Elle fut instituée au VIème siècle à Jérusalem, dans l’église qui se trouvait à Gethsémani. Par la suite, l’empereur Maurice popularisa cette célébration dans toutes les contrées de son empire, et le pape Serge Ier, décédé au début du VIIème siècle, l’adopta. Plus tard, Pie XII proclama comme doctrine l’Assomption de la Sainte Vierge aux cieux dans le corps et dans l’âme.

Quant à l’Eglise Orthodoxe, elle ne promulgua aucun un acte qui déclare le transport de Marie au ciel comme doctrine. Les théologiens orthodoxes se divisent en deux partis, les uns croyant en sa résurrection corporelle, et les autres rejetant cette opinion. En effet, l’absence d’un acte dogmatique émanant d’un concile d’évêques laisse place aux interprétations théologiques libres. Toutefois, les textes liturgiques se prononcent clairement pour un transport au ciel: ‘car tu fus transportée vers la vie, étant toi-même la Mère de la Vie’. De même il est dit dans les prières pour cette fête: ‘Tu ressuscitas après ta mort pour demeurer éternellement auprès de ton Fils’. Et encore, plus expressément: «Dieu… garda ton corps enseveli, et te glorifias avec lui lors de ton divin transport au ciel». Pour les chrétiens d’Orient, la question qui se pose d’emblée est la suivante: les textes liturgiques de la fête sont-elles de même autorité que les dogmes? En principe, la réponse la plus commune serait que si les textes cultuels révèlent en général certaines positions doctrinales, il n’est pas possible pour autant d’en déduire des positions dogmatiques d’autorité. Tant qu’un acte du concile œcuménique rejoignant toutes les Eglises Orthodoxes ne vient déclarer clairement la doctrine, on se confine aux spéculations critiques.

Dans une tentative de réconcilier les positions respectives des Eglises Orthodoxe et Catholique, on pourrait dire que Marie a anticipé la Résurrection. Elle est donc exempte du Tribunal et du Jugement, résidant déjà dans la gloire, celle qui nous attend tous après la Résurrection finale. Percevant tout cela, Saint Jean Damascène, au VIIIème siècle, l’adressa dans l’une de ses deux homélies sur la Dormition de la Vierge de la manière suivante: «Je ne désignerai point ton saint départ par le terme ‘ mort’, mais par celui de ‘dormition’, ou de ‘voyage’. Il vaudrait mieux encore l’appeler ‘résurrection’, car en quittant la sphère du corps, tu accédas à une autre bien meilleure». Je l’ai déjà dit, elle est réside dans la gloire de Dieu, et ne subira pas comme nous le Jugement du Jour Dernier. C’est pourquoi nous l’exaltons infiniment; c’est notre déléguée au ciel.

Elle est «pleine de grâce», comme s’exclame Gabriel lors de l’Annonciation. Il voulait dire qu’elle était libre du moindre péché, abandonnée à la seule volonté du Seigneur, toute prête à accepter chacune de ses paroles. C’était là le sens des propos de l’ange: ‘le Seigneur est avec toi. Tu es bénie entre les femmes’. Ces paroles inauguraient son parcours de gloire. Ainsi débute ce parcours: c’est de la Sainte Vierge et du Saint-Esprit que s’incarna le Verbe de Dieu, qui était au commencement. Par son ave à Marie, l’ange s’explique: «le Saint -Esprit viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre». Il ne fait aucun doute que l’expression «couvrir de son ombre» employée par l’ange réfère à la nuée qui guida le peuple de Dieu jadis, et qui, plus tard prit forme dans temple de Jérusalem. Marie est donc conçue comme le nouveau temple de Dieu, la première Eglise du Christ; il n’existe donc pas d’Eglise sans elle. Aussi, dans la première Eglise rassemblée à Jérusalem dans la chambre haute, les disciples du Seigneur «tous, unanimes, étaient assidus à la prière, avec quelques femmes dont Marie la mère de Jésus» (Actes 1: 14). Le Saint-Esprit vint donc sur Marie en même temps qu’eux, lui qui était descendu sur elle au moment de l’Annonciation, pour que le Verbe devienne chair. Ce même Esprit Saint demeura auprès d’elle jusqu’à la fin de son séjour terrestre. Telle est sa vie de gloire dès avant son transport vers les demeures célestes.

Dans la suite, il n’est plus fait mention de Marie dans l’Evangile. Désormais, il s’agit de l’Esprit Saint qui conçoit l’Eglise. La Sainte Vierge était étroitement liée à l’Eglise, selon ses propres paroles: «Oui, désormais toutes les générations me proclameront bienheureuse» (Luc 1: 48). Cette parole de l’Evangile laisse entendre que toute la part de l’humanité qui se revendique de l’Evangile en tant qu’Ecriture Sainte se tourne vers la Sainte Vierge, vers celle à «qui le Tout-Puissant a fait de grandes choses» (Luc 1: 49). Ceux donc qui connaissent l’état de gloire où réside Marie invoquent son intercession.

D’ailleurs, l’auteur de L’Apocalypse perçoit en Marie une figure de l’Eglise. «Un grand signe apparut dans le ciel», dit-il, «une femme vêtue du soleil, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles» (Apocalypse 12: 1). A l’exception d’un seul modèle iconographique, Marie est représentée dans l’art byzantin avec l’Enfant dans ses bras. De lui elle détient sa sublime splendeur. Elle ne dispose d’aucun pouvoir propre, mais elle octroie ce qu’elle a reçu du Seigneur. Or celui qui aime le Seigneur le recherche dans toutes ses radiations luminescentes, car sa grandeur se révèle dans ses saints, parmi lesquels Marie occupe la place première. Connaître Marie constitue une partie de la connaissance du Christ.

A l’occasion de la fête, il serait bien à propos de dire que ce qu’on désigne par patronage, intercession ou médiation des saints ne pourrait éliminer l’unique médiation du Christ. De fait, la rédemption fut opérée une seule fois dans la personne du Sauveur. Nul ne peut y faire des additions, puisque tout pouvoir extérieur au salut reste ineffectif. En tant qu’Orthodoxes, nous nous gardons de considérer Marie comme une Co-rédemptrice, car l’homme ne peut sauver son semblable. Cependant, nous croyons que les habitants du ciel sont des orants, à l’instar des habitants de la terre, parce que la Résurrection du Christ porte déjà ses effets, le Christ piétinant la mort de tous ceux qui y goûtent. Loin d’être des débris d’ossements, ceux qui furent transportés vers la gloire vivent une constante prière. Ils vivent en Dieu: ils conversent avec lui, et nous avec eux. Nous leur tenons compagnie et ils nous escortent dans ce val des pleurs où nous nous trouvons. L’Eglise du ciel et celle de la terre ne font qu’une. Le ciel est un hymne quand Dieu a comblé les saints de sa mansuétude. A-t-on alors le droit de dire que les résidents du ciel gardent le silence, et que Marie reste exclue de la gloire de son propre Fils, et de ses frères et sœurs dans la justice? Depuis que le Verbe fit en elle sa demeure, depuis qu’en sa présence il livra du vin aux convives lors des noces de Cana pour qu’ils se réjouissent, Marie devient verbe.

Que ne semble superflue cette question que certains viennent poser: le Seigneur ne peut-il donc pas nous exaucer sans intermédiaire? Si l’on obtient de Marie l’épanchement d’une grâce que l’on avait soi-même sollicitée, et dont elle est la dépositaire, n’y-a-t-il plus de relation directe avec le Sauveur? Mais qu’est-ce que le direct et l’indirect là-haut, au royaume de l’amour? Ne formons-nous pas avec les grandes figures qui nous précédèrent auprès de la Miséricorde un unique corps du Christ, où nous coexistons dans le Saint Esprit?

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « عيد رقاد السيدة » – 13.08.2011

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2011, An-Nahar, Articles

Honore ton père et ta mère / le 09.07.2011

«Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu» (Ex 20, 13).

C’est l’un des dix commandements donnés à Moïse. Il est également mentionné par St Paul dans son épître aux Ephésiens; l’apôtre commente que c’est le premier commandement accompagné d’une promesse. St Paul ajoute que ceux qui y obéissent auront bonheur et longue vie sur terre (Eph 6, 2-3). Selon le livre d’Exode, il s’agit de la terre promise, le lieu de bénédiction, puisque les Hébreux ne connaissaient pas encore la doctrine de la résurrection. L’homme trouvait donc sa fin ici-bas. Or, en mentionnant la «terre», St Paul ne voulait pas dire la Palestine, mais plutôt le lieu où chacun demeure.

Dans aucun des deux Testaments n’est-il fait mention d’une récompense dans le Royaume. Disons que ce commandement est une particularisation de l’honneur dû, selon la Bible, à tous les hommes (1P 2: 27). Je ne voudrais nullement par là remettre en question l’honneur des parents, moins encore le soin qu’il faut leur octroyer dans leur vieillesse. Il y a là pour nous une instruction morale, quelque soit notre génération. Il s’agit de se conduire selon Dieu. L’obéissance est un devoir quand celui à qui l’on obéit nous enjoint d’aimer Dieu. Si, par contre, ton père en dévie, tu dois te séparer de lui, afin de ne pas désobéir au Seigneur.

Durant ma première jeunesse, je me confessais chez un prêtre aussi bon que naïf. Il me demandait: «Obéis-tu à ton père et à ta mère?» Mais je trouvais ces propos très banals, supposant naturel que tout jeune homme décent entretienne de bonne rapports avec ses parents, voire qu’il se montre aimable envers eux.

Se sentir aimé est élémentaire pour l’existence de l’homme, car il subsiste à travers les autres. Recevoir la maternité et la paternité de leurs enfants mêmes est fondamental pour les parents, afin qu’ils persévèrent dans leur charge d’une façon édifiante, en s’émancipant de l’amour du pouvoir, et en s’armant du don de soi. Rivaliser d’estime réciproque -comme il est dit dans notre Ecriture Sainte- est un aspect de notre rencontre avec les autres; ainsi, chacun connaîtra son importance pour les autres, en toute humilité. Honorer nos parents leur permet d’assumer plus aisément leur responsabilité, et de mieux la découvrir. Lorsque tout dépend du cœur, la naissance prise de nos parents et donnée à eux devient un jaillissement constant des vertus, une façon de les raviver, de les nourrir; celles-ci sont raffermies par l’amour donné et reçu. Il ne fait aucun doute que les sentiments de l’homme se développent à partir du foyer. Costy Bendaly l’a bien démontré dans sa thèse remarquable où il prouve que la foi en Dieu est en rapport à la confiance de chacun en ses parents; en revanche, la haine envers Dieu, voire l’athéisme, est une conséquence de l’animosité envers les parents. D’où l’injonction insistante de Dieu: «Honore ton père et ta mère». Ces derniers te mettent au monde, mais tu les enfante à ton tour, réciproquement. Tant que la vie continue, les voici tes parents et tes fils à la fois.

Peut-être cela contribue-t-il à rétablir sur terre une existence qui aurait pour fondement cette parole de St Paul que «l’amour ne disparaît jamais», et que par conséquent il exerce sur nous un effet biologique en même temps que propice au salut. Les choses du ciel et de la terre sont en rapport direct avec le bon plaisir de Dieu en nous, jusqu’au jour où le ciel viendra ravir la terre.

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Par ailleurs, rivaliser d’amour réciproque a-t-il pour résultat une longue vie? Ensuite, une longue vie est-elle une bénédiction, comme il est dit dans l’Ancien Testament? Les personnes âgées s’approchent-elles nécessairement de Dieu, ou bien certains d’entre eux s’enfoncent davantage dans leurs péchés ? Je n’ai pas de réponse catégorique, car il arrive que le Seigneur se saisisse de jeunes gens excellents, parvenus même à la sainteté. J’ai un ami qui vécut en Arabie, et qui m’interpelle toujours ainsi: «Ô toi qui a la vie longue!». Sans guère montrer de l’enthousiasme pour cette expression, je ne la refuse pas, connaissant l’amour qui l’accompagne; j’ai bien lu chez Al Ma’arri «accablante est la vie». Pourquoi donc en désirer un surplus- sauf si l’on convoite la compassion de Dieu? Quelle louable convoitise, quand on apprécie la parole psalmodique: «Ne pense plus à mes péchés de jeunesse, ni à mes fautes». On dit qu’on devient plus calme avec l’âge; c’est ce qui arrive couramment, mais pas forcément.

Je pense que celui qui nous souhaite de vivre longuement s’attache à des qualités qu’il perçoit en nous, dont il désirerait jouir. Il souhaite donc des largesses de notre part et que nous n’e quittions pas ce monde avant qu’il n’eût atteint à travers nous sa plénitude. C’est peut-être la raison pour laquelle nous souhaitons à l’évêque des années nombreuses. Nous craignons qu’un frêle successeur n’accède à cette responsabilité de première importance. Peut-être souhaitons-nous à nos proches une grande vieillesse par peur de ne pouvoir pleinement mûrir sans eux. Mais nous oublions que Dieu ne manque pas de moyens pour nous accomplir.

«Car la vieillesse estimée n’est pas celle du grand âge, elle ne se mesure pas au nombre des années. La sagesse tient lieu de cheveux blancs pour l’homme, l’âge de la vieillesse, c’est une vie sans tache. Devenu agréable à Dieu, il a été aimé, et, comme il vivait parmi les pécheurs, il a été emporté ailleurs» (Sa 4: 8-10) Il existe donc des jeunes rayonnant de grâce divine; l’effort spirituel n’a aucun rapport avec l’âge. Dans notre jeunesse, nous étions souvent plus purs que dans les périodes ultérieures. Par conséquent, ceux qui se lamentent d’avoir perdu une personne bien-aimée dans la fleur de l’âge déplorent la séparation, tout en manquant de percevoir en cet éloignement l’occasion d’une jouissance spirituelle immense. «Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.» Ainsi, à notre mort, Dieu nous récupère et se délecte lui-même de nous, indifféremment de notre âge. Il vaut mieux entrer dans son intimité selon le plaisir qu’il trouve en nous, que demeurer ici-bas en ce monde corruptible et corrupteur. Ô Seigneur, que nous ayons accès à ton intimité, hors de laquelle tout est vanité.

Dans peu d’années, l’occident devra faire face au problème du vieillissement de la population, de laquelle surgira une tranche improductive. Il incombera à la tranche moins âgée de la nourrir et de la soigner. Cela veut dire un déficit monétaire dans le pays aux conséquences funestes. Jusqu’à présent, aucune mesure n’a été prise, ce que l’Occident considère comme un désastre. Cependant, l’idée qui tient devant cette terreur est que ces personnes de grand âge offriraient à leurs sociétés une généreuse contribution intellectuelle et spirituelle. Il est inadmissible de manquer à les soigner jusqu’à leur mort. Ce serait une liquidation de masse délibérée. Trouver une solution à ce phénomène serait donc le problème qui s’impose et qu’il est nécessaire de confronter dès l’instant. Car alors, la parole «afin que tu aies longue vie sur terre» cessera d’être la suite du vœu. Outre dans les sociétés qui manqueront de longévité, ce dernier sera inutile – s’il est considéré comme une bénédiction, bien sûr. Sur ce, le vœu à faire devrait uniquement concerner ce que l’on désigne par la «qualité de vie», et non la quantité. Comment, dans toutes les générations, rehausser les valeurs? Quels programmes pour les jeunes et les enfants? Quels soins aux souffrants, aux miséreux? Où en sommes-nous par rapport à la pensée internationale? Selon quelles pensées bâtissons-nous le Liban? Quelles sont les questions actuelles de santé? Quelles sont les mœurs de nos politiciens? Comment lutter contre le confessionnalisme, voire comment inculquer à nos fils le sens d’une citoyyeneté libanaise commune? Que faisons-nous pour que le Liban devienne capable de survivre sans être soumis à l’extérieur? Comment instituer un Etat moderne? Comment contribuer à la science, et à toutes les composantes de la civilisation moderne, tout en participant autant à l’actualité qu’à la culture arabe? Autant de questions qui devraient nous mener à une manière de vivre renouvelée.

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Dans cette perspective, peu importe une vie longue ou courte. Il s’agit plutôt d’œuvrer pour que ceux qui vivent longtemps deviennent des âmes juvéniles et des géants de la pensée, mais une pensée mue par des cœurs purs. Comment garder une vie politique sans tâche dans la mesure du possible, et empêcher qu’elle devienne le terrain des intérêts personnels ou claniques? Il se peut que nous soyons sanctifiés par des vieillards vivant dans le repentir, affranchis de la corruption qui imprègne l’existence de la multitude. Assurément, nous demeurerons sur cette terre du Liban que le Bon Dieu nous a gratifié par sa Clémence. Elle sera le lieu qui nous reliera au sacré, le repère de notre élan vers un futur prestigieux. Nous ne vivrons plus pour attendre la mort, mais mais pour recréer ingénieusement la vie dans toutes ces dimensions et ses profondeurs.

Dans ce sens l’idéal du grand Dostoïevski, -que l’Etat devienne Eglise, à savoir une assemblée d’hommes purs- ne surprend plus. Cela dit, élevons-nous les générations qui viennent à s’unir à Dieu, ou à procéder de lui pour bâtir le monde, dans l’idée de devenir une patrie de Dieu? Le Ciel ne commence-t-il pas ici-bas, de sorte que la différence est abolie, sinon entre les confessions, au moins entre ceux qui aspirent à une âme purifiée et ceux qui penchent vers l’impureté? Alors ce ne sont pas seulement père et mère que nous honorerons, mais aussi tout homme noble et avisé.

Munis de cette conviction que le changement des situations corrompues est à notre portée, rien ne sera plus impossible, car ce sera désormais la portée du bras de Dieu.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « أكرم أباك وأمك » – 09.07.2011

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2011, An-Nahar, Articles

La Violence Domestique / le 02.07.2011

Nous envisageons, il paraît, une polémique qui gagne en constance entre les docteurs de religion musulmans – les «Dai’as»- et l’Etat, concernant la violence domestique, une des multiples facettes de la violence.

Se fondant sur le principe de l’obéissance due par la femme envers l’homme, nos frères musulmans considèrent que le projet proposé par l’Etat s’oppose à la loi islamique. Autant j’ai pu m’informer des quelques articles de presse que j’ai lus. Or, en l’absence d’un document écrit complet de la part de l’opposition, il est peu possible de prendre une position claire, surtout lorsqu’on n’est pas musulman. Cela dit, je m’attends à une grave discorde qui divisera non seulement les confessions du pays, mais aussi les différentes classes au sein de la même religion.

Indubitablement, c’est le plus fort qui exerce la violence, cherchant à s’affirmer par les moyens disponibles, ses muscles, par exemple. Face à la brutalité, la société moderne propose le dialogue. Or les protagonistes du dialogue ne sont pas toujours sur le même piédestal, sauf en apparence ; le plus fort fait souvent mine de bienveillance pour mieux s’imposer. Quel qu’en soit le degré, la violence est incrustée profondément dans la nature humaine, mais il est besoin que la justice et l’égalité désirées par Dieu pour nous réunir vienne la renverser.

Par ailleurs, la violence peut être soutenue par la loi, ou par le cadre social, dont profite le détenteur de la force pour se trouver un alibi. Dans maintes religions, la violence du mari envers sa femme se sert d’une couverture de paroles divines. Cela dure tant qu’on n’a pas réalisé la profonde égalité entre les deux sexes, tant qu’on n’a pas compris, par expérience, que la miséricorde mutuelle est plus puissante que la force physique ou le pouvoir juridique. Là aussi, il est question de l’ego. L’ego qu’exhibe le policier provient-il de Dieu, ou bien est-ce le policier qui peut se montrer assez brutal dans l’exercice de son pouvoir contre un citoyen pris en faute, sous le prétexte de son interprétation littérale de la loi, Le détenteur du pouvoir est tenté par le fait même de sa position, alors qu’en réalité le pouvoir lui a été accordé pour qu’il mette en pratique l’autorité de Dieu, voire l’autorité de la Vérité.

Pour retourner à notre discours sur la famille, certes, le christianisme enseigne l’obéissance de la femme à son mari. Mais il en atténue l’accent en disant que le mari doit aimer sa femme, comme le Christ aima l’Eglise, c’est-à-dire jusqu’à mourir pour elle. Cependant, je n’ai guère trouvé un mari qui lise cette partie de l’Ecriture Sainte, et qui se contente d’exiger une simple obéissance de sa femme envers lui. Evidemment, les hommes lisent les Ecritures et, y trouvant ce qui ne se conforme pas à leur goût, les tronquent au gré de leurs intérêts.

Qu’en est-il de l’Islam? On peut voir clairement d’après le verset 34 sur Les Femmes: «Quant à celles dont vous craignez l’égarement, grondez-lez, abandonnez-les aux lits et battez-les». Je m’étais enquis auprès du Cheikh Soubhi SALEH Sur le fait d’adresser des coups. Mon problème est qu’après sa disparition, je n’ai d’autre témoin. Il avait dit qu’il ne fallait pas adresser des coups violents, -point de vue confirmé par l’exégèse des «Jalaleyn»[1]. Les coups seraient donc une sorte d’avertissement, d’où il ne s’agit pas de véritable violence. Quant à Sayyed Mohammad Hussein El-TABATABA’I, il ne s’arrête guère sur le fait de battre les femmes, le considérant comme un moyen de répression. Ainsi, rien dans la sourate sur les femmes ne suggère l’usage de la violence. Personnellement, je vois dans le verset coranique suivant une atténuation du recours aux coups: «Je vous permets d’avoir des rapports avec vos femmes pendant les nuits du Jeûne; chacun de vous sera l’habit de l’autre». Dans le langage philosophique, il s’agit d’une homologie, un face-à-face dans l’amour qui bannit totalement l’usage des coups violents.

Je ne vois absolument rien qui permette la violence domestique dans le texte coranique. Comment envisager tous ces versets -des dizaines-, tel qu’on pourrait facilement dire que l’islam est la religion de la miséricorde. Cette dernière est due partout, non seulement au foyer.

La grande question est la suivante: quelle place le sentiment de l’homme moderne tient-il face à la parole de Dieu? Comment juger la culture moderne dans son opposition à la violence? Peut-on la désigner comme impie pour avoir instauré la paix partout? Peut-on trouver une exégèse qui s’insère dans le temps, pour toutes les époques? La sensibilité de la société présente aux bonnes conditions de la vie au foyer déplairait-elle à Dieu?

Le pays se divisera-t-il vraiment? Cette fois, la querelle ne sera pas entre les confessions. A mon avis, on verra paraître un parti qui considère la loi civique comme opposée à la Chari’a islamique, et un autre parti libanais composé de tous les chrétiens et des musulmans libéraux qui, tout en s’attachant à leur foi, ne se soucient guère d’être taxés de transgresser la doctrine en affirmant leur opposition à la violence domestique. Ces derniers tendent à l’égalité entre l’homme et la femme dans la gestion des affaires familiales. Dans la pensée musulmane qui se rapproche de la culture moderne, la tradition côtoie la modernisation, voire la rénovation. Ce courant rénovateur trouve des racines dans l’islam en Syrie, au Liban, en Egypte, en Tunisie et ailleurs.

La progression de la femme vers un pied d’égalité avec l’homme est un phénomène dans l’islam moderne, phénomène qui ne s’arrêtera pas si tôt, et qui lève la bannière d’un islam autant fidèle à ses principes que développé au vent de la civilisation universelle de notre époque. Au sein de cette civilisation, personne ne comprend ni la violence de l’homme, ni celle de la femme. La violence domestique les atteint tout deux. Je suis bien informé sur la violence que pourrait exercer une femme contre son mari, manifestant un comportement assez brutal. L’idée d’une loi protectrice viendrait contrer toute persécution éventuelle d’un conjoint par l’autre. Quant à l’obéissance au mari enseignée par le catéchisme, elle ne lui confère nullement le droit de corriger sa femme, car il ne peut en même temps être plaideur et juge. En tout cas cela est contraire à la miséricorde mutuelle. Aucun des deux époux ne joint l’autre à lui d’un mouvement unilatéral. Se joindre n’est pas joindre. Se joindre est un mouvement réciproque, un amour des deux côtés, puisque la femme ne reçoit pas simplement l’amour de son conjoint, mais le donne aussi. Elle s’attend à ce que son compagnon y réponde, jusqu’à ce que les deux deviennent un seul être. Personne ne se perd dans l’autre; les deux se forment ensemble, dans l’unité de la famille. Ainsi, les enfants ne croissent que lorsqu’ils discernent dans la conduite de leurs parents un respect mutuel parfait; aussi l’affection des enfants envers leurs parents se raffermit-elle, en constatant qu’ils vivent dans la complémentarité. D’où on se montre favorable à la force et à l’intelligence de sa femme, la perfectionnant par sa propre intelligence. Ce n’est pas se dissoudre dans l’autre mais l’envisager. Dans le sens linguistique, cette expression signifie tourner son visage vers le sien, et diriger le fond de son être vers le sien.

J’ai un rêve: que celui qui détient la force musculaire et le gagne-pain comprenne que l’autre pourrait le dépasser en spiritualité et en culture, et qu’il prend autant qu’il donne.

J’en déduis que nous ne saurions cohabiter si nous demeurons partagés par notre attachement soit à la tradition soit au renouveau. Certes, je sais que c’est un sujet de division dans toutes les sociétés, mais si la séparation se perpétue entre ceux qui tiennent à la lettre du texte et ceux qui tiennent à son esprit, ce pays devra longtemps attendre sa renaissance. Or, je me réjouis que le conflit n’est pas entre chrétiens et musulmans, mais entre les conservateurs et ceux qui prônent le développement, la croissance et la prospective. Il se trouve des personnes de chaque parti dans les deux religions. Il se formera –mais lentement- une société civilisée assez développée et une société archaïque, surannée, jusqu’à ce que l’emporte la société en marche vers les vérités de demain, ou peut-être du surlendemain. Il va sans dire que la vérité salvatrice dans l’être humain est d’ordre spirituel, mais elle contient aussi des réalités de la vie quotidienne qui repoussent loin de l’homme l’engourdissement et l’illusion.

C’est à la lumière d’un profond renouveau de l’homme qu’il faudrait considérer la violence -domestique ou autre. Tant que ne s’établit pas une certaine union basée sur la compréhension, on reste sur le plan de la complaisance, d’une paix fictive bâtie de compliments. Sans la base consistante de la tradition, sans un réveil de toute l’existence fondé sur la vérité, sur l’amour, sur l’absence de la peur et sur la confiance en la possibilité du progrès chez les autres, il n’y a pas de vie.


[1] «Al-Jalaleyn» en arabe (ou «les deux Jalals»): Fameuse exégèse coranique de Jalaleddine Al-MAHALLI et Jalaleddine ASSOUYOUTI (N.d.T)

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « العنف المنزليّ » – Nahar- 02.07.2011

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2011, An-Nahar, Articles

Le moi / le 11.06.2011

Je me vis contraint d’ajouter à ce mot l’article défini. Cela me permit d’abattre la concentration sur le moi et l’autosuffisance. En effet, l’attachement extrême à soi est la mort en soi, puisque la mort est l’isolement extrême.

Discernant ce péril de l’amour de soi, le grand Pascal dit: «Le moi est haïssable». C’est la passion du pouvoir au paroxysme, mais plus grave encore, du moment qu’une recherche modérée du pouvoir cèderait quand-même quelque place à l’existence d’autrui. Quant au péché qui constitue aujourd’hui l’objet de notre étude, il va jusqu’au bannissement total des autres. Le minimum de communication est aboli, mais en toute lucidité d’esprit, avec la connivence d’un cœur pourri qui s’y soumet. L’autre est complètement exclu, on le met à mort, sans l’exécuter physiquement.

Pourquoi donc un tel acharnement de ma part contre le moi? C’est que, selon notre définition philosophique, voire théologique de l’homme, ce dernier est par nature un être de communication. Il n’est pas exclusivement centré sur sa personne; il n’est pas son unique pôle d’aimant. L’existence des hommes n’est pas une accumulation d’individus séparés, vivant chacun dans le repliement de son autonomie. Dans l’existentialisme religieux, ils sont désignés comme des «personnes». La personne, bien qu’autonome, est par définition un caractère ouvert. Ainsi, elle tolère l’autre pour s’affranchir de son enfermement sur elle-même, pour diriger son existence vers la formation de sa personnalité dans la communion de l’autre. Dans l’amour, chacun s’épanche en l’autre, sans y fondre. Il ne s’agit ni d’une accumulation, ni d’un attachement, mais d’une union où chacun garde son existence intérieure.

Ces deux existences forment chacune un langage propre. Personne ne rumine l’autre, car autant on le ressasse, autant sa personnalité fond, perdant de sa vitalité, de sa particularité, de sa splendeur. Au contraire, celles-ci devraient redoubler de vigueur, afin que l’autre prenne assez de forces pour soutenir sa propre existence et la mienne, dans le mystère d’une union où la dualité puise dans l’unité. Chacun se déverse dans l’autre de tout son être, totalement. Alors, par la perfection même de cet épanchement, on se voit s’affermir dans son «moi» – un «moi» beau et noble, qui ne se laisse pas entraîner à l’arrogance, ni à la vanité, ni à l’élimination de l’autre. Certes, l’humilité exige l’effacement, mais c’est par ce même effacement que l’homme se retrouve et trouve l’autre au-dedans de lui-même. Ainsi, chacun se perfectionne en se donnant. Comment exister en s’effaçant: là réside tout le mystère de la rencontre d’amour avec l’autre, qui seul permet à la personnalité de s’affirmer.

Sans cette rencontre propice à l’échange vécue sur un plan ontologique et dans le cadre du travail, chacun demeure prisonnier de son ego, à l’instar des damnés de l’enfer décrits dans la tradition des Pères de l’Eglise. Selon ces derniers, les condamnés au feu se tournent le dos; personne ne voit le visage de l’autre.

Voilà donc une manière d’exprimer la Trinité du Christianisme, suivant les paroles du Christ: «Je suis dans le Père, et le Père est en moi». Le Père garde son identité par la Paternité même qui communique au Fils son identité filiale. En recevant du Père, le Fils reste son Bien-aimé; leur union est amour. En Dieu Seul l’Unité ne contredit pas la dyade ou la triade. Dieu n’est pas Un en nombre. «Le compter, c’est le limiter», dit l’Imam Ali. Dieu est Unique. «Dieu est Amour» (1Jean 4: 8), l’amour n’étant pas son attribut. Il est son nom, son Etre même. Dire que Dieu est trois hypostases ne veut donc pas désigner une valeur numérique; il ne s’agit pas d’arithmétique. Dieu ne saurait être compté.

Quant à l’homme, s’il est possible de lui attribuer la valeur numérique «un». Pourtant, ce «un» n’est pas enfermé su soi. Il est «un» à cause des sentiments réciproques de charité qui le lient aux autres. Faute de savoir cela, l’individu serait passionné de son ego. Obstruant toutes les portes de son cœur, et se fixant une image pétrifiée, il voudrait s’ériger comme sa propre idole, et celle des autres. L’amour de son ego le porte à s’idolâtrer, et à rechercher son culte chez les autres, comme pour les inviter  eux-mêmes à s’attribuer un culte. En résultat, ils se trouvent tous aux prises de la servitude.

Rassembler un certain nombre de gens au sein d’une famille, d’une cité, d’un pays, d’une école, d’une université, ou d’une usine ne suffit pas pour en faire des hommes aux cœurs solidaires. Une telle société est unifiée seulement en usant la force et l’oppression. C’est une société à caractère politique, basée sur la force, et une collaboration coercitive. Par contre, la réalité humaine ne se trouve pas dans le rassemblement des masses, mais dans la rencontre des cœurs. Il va sans dire que les lois et les règlements sont indispensables pour le bon ordre des sociétés, pour la bonne organisation des diverses fonctions; mais ce sont des liens purement sociaux auxquels on défaillit rarement.

La société à fondement politique offre à l’homme une certaine sécurité grâce au minimum de garde publique assuré par l’Etat à travers ses différents organes. Une telle société est plutôt vouée à la productivité intellectuelle et économique. Dans les cercles de l’élite cultivée les esprits s’effleurent, et s’apparentent de plus en plus à l’archétype d’une confrontation ontologique où le «moi» s’ouvre sur l’autre «moi». Il faut dire qu’en principe, tout «moi» recherche la vérité. Aussi bien, la personne vraiment ingénieuse recherche-t-elle le Beau et le Bien, et ne jalouse pas les autres ingénieux. Il advient cependant que le péché s’introduise dans la société des élites intellectuelles et artistiques, et en refroidisse les élans intérieurs.

Seul le renoncement peut vaincre l’ego refermé sur lui-même. Il est vrai que la passion de l’argent est le pire désastre, car l’argent, une fois chéri, endurcit l’homme et lui donne un cœur de pierre. Il perd toute sensibilité et se mure dans son ego. Or le «moi» ne s’ouvre qu’en donnant, et passe dans le monde du «nous». Que l’on s’adonne à un acte volontaire d’appauvrissement, et voici l’autre se présenter à nos yeux comme un bien-aimé. De plus, obliger l’autre d’un accueil généreux nécessite que l’on dispose d’une part de ses petits biens. D’où l’importance de la générosité, à cause du sentiment de privation qu’elle laisse, comme si l’autre nous complétait.

En outre, cet argent qu’on possède et pour lequel on s’engoue se dresse aux yeux de l’homme pour l’empêcher de voir les pauvres, ceux-là même que Jésus appelle ses petits frères. Que l’on rejette donc tout ce qui entrave leur vision, tout en sachant que l’argent sert à imposer son pouvoir. L’homme puissant s’imagine être seul dans l’existence, la multitude existant seulement par lui. C’est le type de l’ego refermé sur soi par excellence. Telle est la figure du despote absolu, qui a pour seul souci de se maintenir au pouvoir. Que les gens vivent ou meurent, peu importe. Le despotisme réside dans le fait même que le puissant se convainc d’y trouver la recette de son pouvoir, alors qu’en vérité il ne fait que s’idolâtrer. Le pays aurait beau réussi dans tel ou tel domaine, sur le plan intellectuel, il essuie un échec. D’ailleurs, que règne la peur du régime, et l’appréhension mutuelle dominera les citoyens,  car chacun suspectant l’autre de supporter le régime totalitariste.

Théoriquement, l’Etat serait en mesure d’aider l’homme à devenir une source de vie spirituelle. Il pourrait s’humaniser, dans le sens où la personne ressent que l’Etat n’est pas une institution de l’oppression, et qu’il soutient les démunis. La politique devrait faire fi à l’oppression, et maintenir la justice.

Il faudra diriger les efforts vers la métamorphose de la société urbaine en une société de cœurs reliés par une compassion et une tolérance idylliques, dans un esprit de loyauté et de confiance.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « الأنا » – 11.06.2011

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2011, An-Nahar, Articles

Le leader / le 04.06.2011

On est leader de naissance, même avant d’atteindre les dix ans, ou on ne l’est pas. On se connaît porteur d’une cause à défendre, voire capable d’effectuer un changement. En effet, le changement prend source dans une certaine vision de l’état souhaitable des choses, lorsqu’on est insatisfait du présent. On est hanté par l’idée de créer quelque  chose de nouveau, un monde nouveau. Pour matière première, on dispose d’hommes et de femmes, dont des personnes éclairées, mais qui n’on pas assumé la cause. Chez d’autres, elle sombre dans les tréfonds de l’âme, attendant qu’on vienne l’éveiller.
On se sent donc chargé par le bon sens et par le Bon Dieu de stimuler cet éveil. On reconnaît sa responsabilité, d’abord parce que ce mouvement de l’âme est un message qu’il faut donner, ensuite parce qu’on ne peut plus souffrir le monde tel qu’il se présente. On œuvre alors pour un monde nouveau, qu’on croit fermement  réaliser soi-même, non sans ceux qui viennent s’enrôler. Ainsi, on formera des adhérents à la cause, qui ne seront pas nécessairement subordonnés, mais qui auront les mêmes convictions. Ceux-là seront l’embryon de ce monde nouveau, reçu ‘du ciel’ on ne sait comment. Dès lors, on demeure impatient de percevoir les prémices du renouvellement chez les compagnons, lorsque la vie pourra jaillir abondamment d’une source commune de fidélité et de savoir.
Or la clarté du  nouveau message pose certaines conditions. Avant tout, il faudra renoncer à soi-même, et ne jamais céder aux attraits de la position du chef, car telle position est une convoitise. Or, l’homme dominé par ses convoitises se trouve dirigé par elle, au lieu de les diriger lui-même à la vérité. D’où les riches ne sauraient devenir des leaders, car ils se confient eux-mêmes une cause. Cependant, n’ayant d’autre intérêt que pour eux-mêmes, il leur est impossible de recevoir un message supérieur.
C’est en renonçant à ce monde qu’on en tient le gouvernail. Par contre, celui qui le convoite est soumis, et ce désir le fait mourir en languissant pour la cause. Par le détachement, on ressent le poids de la charge assignée. On accepte le fardeau quand même, convaincu de la priorité du message, et déterminé à en mourir, n’importe la forme de cette mort. Alors, cette mort est conçue comme un chemin à la vie, qui resplendit sur la face de chaque membre de la communauté à laquelle le don incombe. Ainsi, par la charité, par les sacrifices, par une attitude désintéressée, par le service constant dans le but d’éclairer soi-même et les autres, et d’anéantir le «moi» par le «nous», cette communauté se voit raffermie. Or ce «nous» n’est point un entassement d’individus. C’est plutôt une condensation de la conviction commune que le monde est voué au renouvellement, ce dernier s’effectuant  par un effort quotidien pour se purifier et se donner. Sinon on risque de contracter quelque familiarité avec la paresse.
Il n’importe guère d’organiser ce mouvement qui excite les âmes en tenant des conférences et des tables rondes, ou en publiant des livres… L’important est la flamme, je veux dire ce feu qui consume à l’intérieur et devient une lumière pour soi-même et pour ceux que l’on inspire. Ce feu n’est autre que la foi par laquelle le futur se présente sous un jour réel, puisque le croyant rejette le présent tout fait, tout donné, et avance plutôt vers l’invisible qu’il espère se réaliser, dans l’attente de voir le monde changer.
L’univers est livré à nous, ainsi que les hommes. Chacun de nous est le pasteur de son frère, jusqu’à ce que ce membre du troupeau devienne un pasteur à son tour. Alors chaque cœur émanera des éclats de lumière.
Dans le monde, le mal n’a jamais cessé d’exister; on le sait bien pour avoir reçu l’illumination. Et pourtant, on espère toujours changer ce monde que l’on a déjà assumé, également porté par l’enthousiasme et tenu par l’obligation de la tâche confiée. On éveille donc les hommes à leur propre tâche, et les voilà qui perçoivent leur vocation de servir la vérité. Ils conçoivent que leur salut réside dans un éveil collectif au devoir de charité et de service envers autrui.
Ce monde ici-bas est tout péché. «Le monde entier est sous l’empire du mal». On rejette, cependant, cet état de chute, mu par la foi que la parole personnellement reçue de Dieu est capable de purifier le monde, car elle est «lumière et vie». Assez souvent, on voit le péché dominer ce monde, et son règne s’étendre aux quatre coins de la terre, et parmi un grand nombre de gens. Voici donc ce que l’on entend Satan chuchoter à son oreille: «Que sert-il de relever ceux qui ont chuté? Ils rechuteront encore, et de même ceux qui les suivront! Ce sera toujours ainsi jusqu’à ce que sonne l’heure».
Le plus important est de ne pas s’en remettre au statu quo, de ne pas désespérer de changer les hommes et les cœurs. Lorsque David dit «Lève-toi Ô Dieu, règne par la terre», il savait bien que les méchants sont nombreux, et que c’était le règne du péché. Nonobstant, il avait compris que le Seigneur à le pouvoir de changer l’univers entier. Il savait que Dieu pénètre les cœurs, pourvu qu’ils le désirent, voire qu’ils deviennent sensibles à ses paroles.
Les personnes qui ont une vocation spirituelle sont précisément celles qui croient que le monde n’est pas livré à la fatalité des transgressions, qu’il est toujours possible de mener une vie pure, et que Dieu ne se plaît pas à opprimer les hommes. Dieu n’a pas dit que l’ensemble des hommes feront de la terre un paradis avant la gloire collective qui nous attend au Jour de la Résurrection. Jamais ne fut-il enseigné, ni dans notre religion ni ailleurs, que la foi atteindra une échelle universelle. «Trouverai-je la foi sur la terre?» Néanmoins, nous sommes appelés à mener le combat, comme des personnes animées par l’espoir que tout homme et tout le monde connaissent un jour la métamorphose. Déclarer que nous menons notre combat à la lumière d’une telle espérance, signifie que nous recevons cette espérance de Dieu, non que les hommes désirent tous le repentir. Or, désirant le bien qu’il a semé par sa parole, le Seigneur inspire de sa grâce des âmes vaillantes dans la lutte spirituelle et persévérantes à donner. Ces dernières invitent les adeptes de la charité et du don à la collaboration spirituelle, pour léguer cet esprit du don chaque jour à l’humanité, créant ainsi des paradis-oasis au sein de la sécheresse universelle.
On dirait que les êtres humains tendent toujours vers le bien, malgré leurs péchés. C’est un peu comme le meurtrier nostalgique de la phase d’avant le crime. C’est comme si les saints venaient raviver l’espoir de l’humanité. Certes, la sainteté est le rêve commun des mortels, mais le péché est attrayant. Parsuite, la justice demeure une utopie que peu de gens osent tenter. Il semble que la majorité penche vers la faiblesse et la lâcheté. Dans les milieux chrétiens, lorsque l’Eglise canonise un juste pour sa vertu exemplaire, nombre de personne se réjouissent, mais la plupart disent: «C’était un être prodige, une créature exceptionnelle. Mais tant de grandeur n’est pas pour moi; il m’est difficile de renoncer à mes plaisirs». Il paraît que la population chrétienne présente deux voies parallèles qui ne se rencontre que dans le pays des rêves: la sainteté sublime, et la négligence ultime du moindre effort pour mener la vie dite «normale». Ainsi, qu’un prédicateur appelle à un summum de sainteté, et voici un chrétien assez vertueux intervenir: «voulez-vous donc que je devienne un autre Christ?» Mais le Christ serait-il venu entonner l’hymne de la justice pour soi-même? N’était-ce pas pour l’apprendre aux hommes?
Selon une telle conception, le christianisme n’aurait existé que pour prendre fin en Jésus Christ. Que voudrait donc dire la parole: «Et moi je suis avec vous tous les jours, et jusqu’à la fin des temps?» (Mt 28: 20), sinon que «Je voudrais que chacun de vous devienne comme moi». «Celui qui croira en moi fera lui aussi les œuvres que je fais : il en fera même de plus grandes parce que je vais au Père» (Jn 14: 12). La religion chrétienne est un ensemble de christs ou n’est rien du tout. Elle est Jésus en personne, lui qui veut que tout croyant devienne à son image. Elle est avant tout le fait de croire que c’est possible, parce que le Christ est véridique, parce qu’il exerce son action puissante via son Esprit Saint. Or cette action exige de nous un service volontaire.
J’estime que si un grand nombre de chrétien se montrent défaillants et indignes du Christ, c’est qu’ils ont peu de foi en ce pouvoir que le Sauveur tient sur leurs âmes. Ils se montrent lâches quand il faut témoigner, quand il faut préserver une âme évangélique. «Lève-toi Ô Dieu, et règne sur chacune de nos âmes, et que le monde contemple ton éblouissante lumière».

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « القائد » – 04.06.2011

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2011, An-Nahar, Articles

Les chrétiens sont-ils des Croisés? / le 28.05.2011

Oussama Ben Laden et Ayman Zawahiry toux deux nommaient les chrétiens des Croisés, bien que ce terme était inconnu chez les Arabes. L’appellation d’usage était celle de «Francs». Quant aux chrétiens autochtones, ils étaient désignés comme «Nazaréens». Par conséquent, toute assimilation des tendances nationalistes des chrétiens à leur religion était impensable. Le christianisme et les Croisades sont quand même restés synonymes dans la conception des partisans de la Qaïda. Pourtant, Mr Ben Laden, qui vécut à Beyrouth pendant au moins cinq ans savait bien, le long de son séjour chez nous, que nos Eglises étaient dépourvues d’armes. De sa part, Dr Zawahiry, qui connut les coptes en Egypte, connaissait autant que ceux-ci ne tuaient personne. D’ailleurs, les Croisés n’envahirent jamais l’Egypte, mais plutôt le pays de Syrie et l’Empire byzantin. Du reste, les dirigeants des mouvements intégristes et traditionnalistes ont-ils jamais craint un seul chrétien dans les pays arabes?

Je sais bien que l’Histoire garde une mémoire cruelle, et même poignante; elle contient pourtant une part de vérité. Or, dans le cas présent, rien de tel. Déjà Amin Maalouf avait montré dans son livre sur les Croisades l’inconcevable bestialité de ceux qui les ont menées. Mais quel rapport entre eux, et nous, chrétiens de l’Orient, qui avions secondé les musulmans durant ces guerres-ci? Nous avions massacré les Francs et eux nous soumirent en Antioche.

Tant que la distinction ne s’effectuera en l’esprit du musulman entre le chrétien et l’Occident, il imputera toujours à tout chrétien du Levant – ou arabo-chrétien- tous les péchés commis par l’Occident depuis l’aube du christianisme jusqu’à nos jours. D’un ton variablement outré et jusqu’à la fin des siècles, ce chrétien sera chargé de connivence, d’alliance, voire de complicité avec l’Occident. Nul n’ignore donc que c’est en vue de parachever notre cohésion sociale avec les musulmans que nous créâmes le concept d’arabité. Il m’arriva un jour d’être interrogé par un musulman de culture raffinée: «Pourquoi ne vous confinez- vous pas en terre chrétienne, et nous en terre musulmane?» Alors nous élaborâmes un concept commun: l’arabisme. En effet, les gens ont besoin d’un espace commun de dialogue. Comment entamer un dialogue de rencontre islamo-chrétienne, alors que je ne conçois d’autre espace sur terre chez le musulman que le Coran? Je n’entends point par là qu’il est dépourvu de l’amour de la patrie, mais que, pour lui, islam et patriotisme vont de pair. D’où la nécessité de créer un espace neutre que l’on baptisera «la patrie» et qui se distingue de la religion, afin que notre entente se base sur des données communes que la religion ne saurait fournir.

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La patrie provient du monde terrestre; c’est selon ce monde qu’on la gouverne. Quant à la religion, elle est inspirée du Ciel; or, il est impossible de faire le monde terrestre à partir de l’outre-tombe. Il est encore moins possible d’instituer notre pays selon les préceptes des deux religions chrétienne et musulmane en même temps, à cause de leur disparité. Sur ce, à la question pertinente posée par mon ami musulman, je ferai la réponse suivante: nous n’avons d’autre recours que l’arabité. Disons plutôt qu’il en était ainsi au début du XXème siècle, surtout que nous fûmes tentés par le rêve de voir les Ottomans se retirer du pays. Ces derniers avaient réussi à rattraper l’ère moderne, en promulguant le Tanzimat vers la moitié du XIXème siècle. L’état Ottoman eût-il conservé cette configuration moderniste, lors de la Première Guerre mondiale, nous n’aurions eu aucun besoin de recourir au concept d’arabité.

Ce sujet présente une confusion entre chrétiens et musulmans, qui résulte de l’Histoire. De fait, dès son apparition en Arabie, l’Islam fit la découverte de l’arabité. Le lien entre les deux est assez étroit; comme le Coran même le dit, c’est un livre arabe. En adhérant donc à l’Islam, les Arabes s’unifièrent en ce monde pour faire face aux Perses d’une part, et aux byzantins de l’autre. Outrepassant leur tribalisme ils formèrent ainsi «la nation d’Abraham», la Oumma instituée et gardée par Dieu «qui fut la meilleure jamais octroyée aux hommes». Par conséquent, il est impensable d’exiger que les musulmans distinguent entre leur arabité et leur religion. L’arabité disparaîtra seulement à la fin des temps.

Par contre, les chrétiens, depuis leur apparition, ne combinèrent point la religion et le monde, selon la parole de leur Maître: «Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu»[1].Ils se mirent donc immédiatement à se considérer comme des Romains, ne faisant nullement le rapport avec leur foi, et estimant la divergence entre les deux plans d’existence. C’est pourquoi il serait ridicule et ignare que d’appeler les chrétiens des «Croisés», surtout que je n’ai nulle recette pour apprendre aux gens l’art de se rencontrer. Il n’y a pas lieu, à présent, de discuter les systèmes d’état laïcs dans ce domaine. Cela dit, il est indispensable de rappeler les gens que les états occidentaux manifestent divers modes de laïcité; ce ne sont point des états chrétiens. Aussi, une grande partie de leur population ne pratique-t-elle pas la religion chrétienne. Que ces pays entrent en conflit avec des populations musulmanes n’implique donc pas, que c’est le christianisme qui affronte ces populations. Croire que les états occidentaux soutiendraient un seul chrétien contre un musulman dans notre région relèverait de l’ignorance. C’est plutôt au musulman qu’ils s’allient, pour son argent. D’ailleurs, la propagande islamophobe qui gagna vite l’Occident est loin d’affecter la politique de ces états tombés amoureux du pétrole et de ses dérivés. Pour l’Occident, soutenir les régimes politiques au pouvoir ou supporter les manifestants et les insurgés contre ces régimes-ci fait part égale de ses intérêts. Dans d’autres cas, ce serait une composante de l’animosité entre le parti russo-chinois d’’un côté, et celui des états occidentaux de l’autre. Quel rapport y a-t-il là avec les Croisés?

Par ailleurs, comment expliquer le massacre des chrétiens Iraquiens et Egyptiens au patriotisme irréprochable? Nul ne me convaincra que dans leur cas et le nôtre, il s’agit d’une question politique: les deux groupes des chrétiens de l’Iraq et d’Egypte ne présentent aucun rapport avec la politique. Les Arabes reçoivent-ils quelque éducation qui les empêche de tuer tout homme qui appartient à une autre religion? Admettent-ils l’autre dans sa plénitude, dans son altérité, dans sa différence, dans l’opposition intellectuelle qu’il manifeste? L’arabité demeure-t-elle encore cet espace commun de notre rencontre dans l’amour? Jai du mal à tolérer l’adage que «ce comportement est complètement étranger à l’islam». La catéchèse importe peu au citoyen. L’important pour lui est qu’un autre ne vienne pas lui ôter la vie, qu’il ne devienne pas la victime de ceux qui combinent la religion et le monde, et que les pays ne soient pas régis par les partisans de l’uniformité religieuse, quelque soit la religion de la majorité.

Nous désirons la paix. Dieu est la paix. Ce qui importe le plus est que notre comportement quotidien en soit inspiré. Alors chacun de nous deviendra une effusion d’amour sans limite.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Texte Original: « هل المسيحيون صليبيون؟ » – 28.05.2011


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2011, An-Nahar, Articles

Le Royaume du Christ / le 14.05.2011

Le dialogue entre le Seigneur et Pilate est d’un dramatisme prononcé. Considérant les accusations des Juifs, le procureur interroge Jésus de Nazareth: « Es-tu le roi des Juifs? » Pour le gouverneur, cette accusation qui ne portait aucune atteinte au trône de César importait peu; elle ne valait pas au Sauveur d’être exécuté. En tant que juge, le gouverneur finit par lui demander: « Qu’as-tu fait? » Et Jésus de répondre: « Mon royaume n’est pas de ce monde ». Il ne provient pas de la terre. Pourtant, j’affirme bien être roi. Ma fonction est strictement celle-ci: « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix.« 

En chaque nation, et dans l’ensemble de l’humanité, il est un homme, ou certains hommes, à qui il n’incombe pas de gouverner- voire de faire de la politique-, mais de témoigner pour la vérité. Le Maître de Nazareth dit un jour: « Pour eux –les disciples- je me sanctifie. »Dans la langue d’origine, ce mot signifie « je suis consacré à Dieu », ou encore « je me consacre aux choses de Dieu ». « Je suis à son image « , énoncerait un fidèle chrétien, pour dire « j’use du même langage que le sien, parce qu’il descendit jusqu’ à moi et qu’il cohabita avec moi, après que je me suis humilié devant lui ». Si, par contre, je me construisais une tour comme à Babel jadis, pour monter vers Dieu de mes propres forces, en compagnie de quelques orgueilleux, le voilà qui détruirait la tour et brouillerait nos langues. A savoir, il susciterait en chaque homme des concepts différents des autres, formant ainsi des langues où Dieu n’a pas sa place. N’étant plus le Souverain de toutes les langues, Dieu cesserait de régner parmi nous: il ne serait plus seul à occuper le cœur de l’homme. Chaque homme aurait désormais un cœur propre, ce cœur devenant un nœud de vipères. Ces vipères se déchireraient dans une lutte sanglante, et accapareraient des royaumes terrestres – des fermes, comme on dit en libanais- si bien que le « moi » cesserait d’être un « nous ».

La terre ne peut produire un Royaume à Dieu. Sur ce, Jésus, descendu avec ses paroles du ciel, déclare au représentant de la Rome terrestre: « Mon royaume n’est pas de ce monde ». Moi et le monde ne parlons pas le même langage, à moins que ce monde-ci perçoive sa vocation de devenir –de toute son étendue- un règne du ciel, même plus, un ciel.

Sans doute une mince minorité seulement réalise-t-elle devoir tenir exclusivement le langage de la vérité, étant venue au monde afin de témoigner pour la vérité. Mais peut-être ne réalise-t-elle pas qu’elle n’a d’autres instruments de discours que des messages de vérité, dans le sens où elle serait venue au monde pour « se sanctifier », jusqu’à ce que son langage s’identifie à celui de Dieu. Par conséquent, elle est basée sur la sainteté de la vérité.

Pour moi, les paroles du Christ à Pilate « mon royaume n’est pas de ce monde » signifient que le Christ est venu instaurer un langage nouveau. C’est la Parole, qu’on devrait suivre et adopter, sous peine d’être privé du changement complet des composantes de l’être humain. Dans ce dernier cas, on se borne à emprunter la terminologie de Jésus de Nazareth, sans vraiment en extraire des convictions propres. Pourtant, on croit le faire, en raison d’une fonction sociale, d’un cadre ou d’un pouvoir, qui permettent d’établir un royaume de ce monde, constitué d’éléments du monde. On en tire sagesse et perspicacité, on se délecte même de cette perspicacité profane que l’on croit provenir de Dieu, Lui étant la source de tout entendement.

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Avant de déclarer « mon royaume n’est pas de ce monde », Jésus avait à l’esprit l’appartenance de ses disciples à son royaume: « ils ne sont pas du monde; sanctifie-les par la vérité. » Leur charge consiste à témoigner pour la vérité, non à s’engager en politique, tel un Hérode, les grands prêtres ou un Pilate. Or témoigner pour la vérité veut dire abonder en sainteté, ne plus avoir au-dedans que le caractère divin, ne plus avoir sur les lèvres que les paroles provenant du Verbe qui fut au commencement, avant l’univers, avant la politique.

« Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde. » Comme je ne dis rien de moi-même, ayant tout pris de toi, ils ne proféreront pas une parole d’eux-mêmes. Je suis l’idéal suprême pour lequel ils œuvreront, comme s’ils étaient prééternels à mon instar, de même que toi et moi sommes ensemble bien avant l’éternité.

Cela dit, l’apôtre Paul avoue que ce monde dispose d’une certaine sagesse, dont « la sagesse du discours ».[1] Or il est évident que le monde ne connut pas Dieu par une sagesse humaine, car « le Christ est la sagesse de Dieu et la puissance de Dieu ». Mais cela implique-t-il qu’entre ces deux sagesses tout échange est impossible, que la disparité demeurera à jamais entre le langage de l’homme déchu et celui de Dieu, et qu’un abîme sépare les saints des pécheurs? Question assez difficile! Mais si l’on perçoit que la Parole de Dieu exprime son autorité dans le monde et que la vérité de Dieu est la Vérité propre, il n’y a aucun lieu de compromis entre la position de Dieu et celle de l’homme, dans toutes circonstances.

Il est quand même très séduisant de substituer la parole des hommes à celle de Dieu: or, en cela même réside le compromis, la déchéance vers un niveau inférieur, où l’on se sert de la logique humaine pour couvrir la logique divine, pour la celer. Alors on se persuade d’agir en personne sage et charitable qui ne fait que veiller aux intérêts des hommes. Dès lors, la logique de ceux qui ont acquis la sagesse profane raisonne comme il suit: tels sont les hommes, et telle leur conception des choses. Que l’on se montre condescendant. En réalité, les choses prennent la tournure suivante: on adopte la sagesse de ce monde tout en se prenant pour des serviteurs de la vérité. Mais quelle illusion! Car la tour de Babel s’est effondrée et les langues furent brouillées; on est désormais un homme de cette terre dont la boue recouvre le peu de lumière qui lui restait.

Par contre, savoir user des formules, des manières, et des biais de ce monde comme truchements de la Parole de Dieu est autant l’œuvre accomplie en l’homme par la grâce divine que le fruit de sa vigilance pour conserver des positions sans tâches. Etre un humain qui aspire au divin en tout engagement, en vue de sanctifier ses frères dans la vérité, dans le refus de toute rétribution personnelle et de toute fausse complaisance permet de bien maîtriser la sagesse de ce monde sans s’y soumettre.

Comment donc changer ce monde de péchés? Ni par un cerveau de génie, ni en multipliant ces génies conçus dans l’iniquité, nés et élevés dans le péché. Le monde peut être changé par ceux qui s’exposent au fouet quotidien des Paroles de vérité, pour que les péchés ne s’infiltrent plus dans leur chair. Ils sont alors des témoins de vérité; rien ne les en sépare. C’est par une moindre ingéniosité et une profusion de vérité que le monde est sauvé; par ceux qui mendient la splendeur des saints. Ainsi le Sauveur se manifestera brillamment dans la multitude qui introduira son royaume dans ce monde d’ici-bas.

Traduit par Monastère de Kaftoun

Original Text: « مملكة المسيح » –An Nahar- 14.05.2011


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