Thomas: apôtre du doute et de la certitude / le 30.04.2011
Dans mon Eglise, le dimanche qui vient demain s’appelle «Dimanche de Thomas», et le péricope évangélique en expose la problématique. Mais avant d’en venir sur son contenu selon l’Evangile de St Jean, je dirais d’abord que je trouve chimérique de discourir sur la simplicité d’esprit chez les Apôtres. De telles choses se rencontrent parfois en littérature religieuse générale, en vue d’impliquer que toute connaissance humaine est reçue de Dieu, et que sans lui les hommes ne savent rien.
Disons d’abord qu’il n’existe pas un juif qui n’aurait étudié l’Ecriture sainte à des degrés différents, dont le moindre serait dans les écoles primaires. D’ailleurs, le Nouveau Testament est loin de montrer que les disciples de Jésus étaient des ignorants, seraient-ils des pêcheurs. En déclarant au Seigneur: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant», St Pierre comprenait au moins le sens du mot Christ, qui appartenait à la théologie juive de l’époque, de même que le terme Fils de Dieu. Certes, ses paroles étaient inspirées, mais cette inspiration n’exclut nullement l’élément rationnel.
Par la suite, il y eut une mésentente entre l’Apôtre et son Maître, concernant la mort de ce dernier. Tout au long de l’évangile, les Apôtres ne se montrent point crédules; ils ne font pas signe de croire en la portée spirituelle du message de leur Maître. Même après la Résurrection, ils pensaient toujours qu’il rétablira le royaume d’Israël. Cette confusion entre les Apôtres et le Seigneur sur la nature du message de ce dernier donne à penser qu’ils n’étaient pas des naïfs.
En outre, rien n’indique que les Douze étaient à un niveau égal de culture. D’abord, ils n’étaient pas tous des pêcheurs. Matthieu était chef de collecteurs d’impôts; il était donc initié à la comptabilité. En lisant son Evangile, on le trouve saturé de ses connaissances vétérotestamentaires, qu’il n’a pas nécessairement acquises après la Mort du Seigneur.
C’est dans cette perspective que je voudrais envisager le cas de Thomas, concernant sa relation avec son Maître, avant la Résurrection. L’Evangile de Jean le cite à maintes reprises, et l’on perçoit sa foi dans le récit de la résurrection de Lazare. Mais, qu’est-ce qui s’est passé par la suite?
Le paragraphe qui suit le récit de la résurrection relate qu’ils étaient réunis à cause de la crainte qu’ils avaient des Juifs. En effet, il ne suffisait pas aux criminels d’assassiner le chef de clan. Ils devaient éliminer son nom même en éliminant ses partisans, si possible, ou quelques uns, pour le moins. A ce moment, Jésus vint, se présenta au milieu d’eux, et leur donna la paix de sa Résurrection. Ensuite, il leur montra ses mains et son côté. La foi n’est ni une chose arbitraire, ni une fiction. Il leur était nécessaire de voir le même homme qu’ils avaient vu sur la croix. Les gens ne peuvent croire un être fictif. Il devait leur révéler qu’ils n’étaient pas en proie à une illusion due à la peur collective. Leurs yeux étaient dans la nécessité de voir les parties palpables de son corps. Or, cette vue leur suffit; elle leur affirmait qu’ils avaient vu le Seigneur. Cela confirme cette conviction que je tire des paroles de l’Evangile: que les Douze n’avaient pas l’esprit ingénu. Combien de conversations entre eux et lui démentent qu’ils aient leur candeur!
Dès lors, la grande question serait celle-ci: pourquoi avoir choisi des pêcheurs pour partager sa prédication? La réponse la plus évidente serait qu’ils étaient des gens de son pays. Qui se réfère à une carte du Lac de Tibériade et des bourgades qui l’entouraient saura que Pierre et André, comme Jacques et Jean les fils de Zébédée, provenaient de ces villages.
Par ailleurs, il s’agit d’un message pour les cœurs, plein de tendresse et de compassion, d’un message échangé parmi les pauvres. Tout simplement, Jésus n’alla pas chercher les docteurs de l’Ancien Testament en Galilée. D’ailleurs l’Evangile les taxe d’arrogance et d’hypocrisie, pour la plupart. Leurs cerveaux ne communiquaient pas avec leurs cœurs pour en puiser de l’amour. Or Jésus de Nazareth connaissait sa capacité de faire jaillir l’amour dans les cœurs des gens aux humbles métiers, et de ceux qui savent manger le même pain que les pauvres.
Il fit son apparition dans une salle que je présume appartenir à un ami des disciples, car ceux-ci n’avaient pas de demeure à Jérusalem. Ils le virent lorsqu’il leur apparut, le soir du jour de la Résurrection. Lorsqu’il se présenta à eux, et qu’ils l’eurent reconnu, il souffla et leur dit: «Recevez le Saint-Esprit». Est-ce là la pentecôte mentionnée dans l’Evangile de Jean? La victoire de Jésus sur la mort ne se traduit pas uniquement par ses apparitions à ses amis- desquelles on compte onze. Ce triomphe est également traduit dans le pouvoir des disciples de remettre les péchés des hommes, c’est-à-dire de les transférer, par le repentir, au Nouveau Testament. L’innovation remarquable apportée par le Nouveau Testament est le pouvoir du Christ de remettre les péchés, ce qui était absolument inconnu dans l’Ancien Testament. Jamais un prophète ni un rabbin en Israël ne remit aux gens leurs péchés.
Lors de cette première apparition, Thomas n’était pas avec eux. Lorsqu’il les eut rejoints, les disciples lui dirent: «Nous avons vu le Seigneur». Alors, il leur dit: «Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point». Dans une perspective contemporaine, on admet se trouver devant un esprit critique apprécié par toute mentalité moderniste. L’événement dont il s’agit est la Résurrection, d’où l’exigence d’examiner la vision en question. Celui que vous affirmez être le Seigneur est-il bien l’homme que certains parmi nous ont vu fixé sur la croix, et d’autres, gisant dans la tombe? Je ne voudrais point être en proie à quelque illusion. Il faut bien prouver la Résurrection. Ce Thomas dont la main voulait sonder le Sauveur fut réprimandé par ce dernier, qui lui dit : «Avance ici ton doigt, et regarde mes mains; avance aussi ta main, et mets-la dans mon côté; et ne sois pas incrédule, mais crois».
Rien ne suggère que l’Apôtre toucha et sonda le Maître, comme il en avait exprimé le désir. Il vit la lumière inonder le visage, les mains, les yeux et les vêtements du Seigneur. Avec les yeux du cœur, il contempla l’objet de son aspiration, et confessa sur le champ: «Mon Seigneur et mon Dieu!» Se voyant dans l’impossibilité de pénétrer les attributs du Seigneur et sa divinité, il retrouva son amour initial.
Cependant, serait-il incrédule, aurait-il insisté ainsi à voir le Seigneur? En fait, il n’avait pas cru au témoignage des Apôtres, qui avaient vu les stigmates de la Passion. C’est dire que les paroles de ceux qui vécurent auprès du Seigneur nous suffisent. Les paroles de toute leur génération sont celles du Saint Esprit.
Thomas est surtout important car il n’a pas voulu lâcher prise de sa rationalité. Ensuite, il est important pour avoir reçu la lumière du Christ. Sa perception visuelle était pour lui source de conviction. Or une vision est accordée par son objet même; elle n’a pas besoin de la perception sensorielle.
Traduit par Monastère de Kaftoun
Texte Original: «توما رسول الشك واليقين» – AnNahar-30.04.2011
Continue reading