Honore ton père et ta mère / le 09.07.2011
«Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu» (Ex 20, 13).
C’est l’un des dix commandements donnés à Moïse. Il est également mentionné par St Paul dans son épître aux Ephésiens; l’apôtre commente que c’est le premier commandement accompagné d’une promesse. St Paul ajoute que ceux qui y obéissent auront bonheur et longue vie sur terre (Eph 6, 2-3). Selon le livre d’Exode, il s’agit de la terre promise, le lieu de bénédiction, puisque les Hébreux ne connaissaient pas encore la doctrine de la résurrection. L’homme trouvait donc sa fin ici-bas. Or, en mentionnant la «terre», St Paul ne voulait pas dire la Palestine, mais plutôt le lieu où chacun demeure.
Dans aucun des deux Testaments n’est-il fait mention d’une récompense dans le Royaume. Disons que ce commandement est une particularisation de l’honneur dû, selon la Bible, à tous les hommes (1P 2: 27). Je ne voudrais nullement par là remettre en question l’honneur des parents, moins encore le soin qu’il faut leur octroyer dans leur vieillesse. Il y a là pour nous une instruction morale, quelque soit notre génération. Il s’agit de se conduire selon Dieu. L’obéissance est un devoir quand celui à qui l’on obéit nous enjoint d’aimer Dieu. Si, par contre, ton père en dévie, tu dois te séparer de lui, afin de ne pas désobéir au Seigneur.
Durant ma première jeunesse, je me confessais chez un prêtre aussi bon que naïf. Il me demandait: «Obéis-tu à ton père et à ta mère?» Mais je trouvais ces propos très banals, supposant naturel que tout jeune homme décent entretienne de bonne rapports avec ses parents, voire qu’il se montre aimable envers eux.
Se sentir aimé est élémentaire pour l’existence de l’homme, car il subsiste à travers les autres. Recevoir la maternité et la paternité de leurs enfants mêmes est fondamental pour les parents, afin qu’ils persévèrent dans leur charge d’une façon édifiante, en s’émancipant de l’amour du pouvoir, et en s’armant du don de soi. Rivaliser d’estime réciproque -comme il est dit dans notre Ecriture Sainte- est un aspect de notre rencontre avec les autres; ainsi, chacun connaîtra son importance pour les autres, en toute humilité. Honorer nos parents leur permet d’assumer plus aisément leur responsabilité, et de mieux la découvrir. Lorsque tout dépend du cœur, la naissance prise de nos parents et donnée à eux devient un jaillissement constant des vertus, une façon de les raviver, de les nourrir; celles-ci sont raffermies par l’amour donné et reçu. Il ne fait aucun doute que les sentiments de l’homme se développent à partir du foyer. Costy Bendaly l’a bien démontré dans sa thèse remarquable où il prouve que la foi en Dieu est en rapport à la confiance de chacun en ses parents; en revanche, la haine envers Dieu, voire l’athéisme, est une conséquence de l’animosité envers les parents. D’où l’injonction insistante de Dieu: «Honore ton père et ta mère». Ces derniers te mettent au monde, mais tu les enfante à ton tour, réciproquement. Tant que la vie continue, les voici tes parents et tes fils à la fois.
Peut-être cela contribue-t-il à rétablir sur terre une existence qui aurait pour fondement cette parole de St Paul que «l’amour ne disparaît jamais», et que par conséquent il exerce sur nous un effet biologique en même temps que propice au salut. Les choses du ciel et de la terre sont en rapport direct avec le bon plaisir de Dieu en nous, jusqu’au jour où le ciel viendra ravir la terre.
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Par ailleurs, rivaliser d’amour réciproque a-t-il pour résultat une longue vie? Ensuite, une longue vie est-elle une bénédiction, comme il est dit dans l’Ancien Testament? Les personnes âgées s’approchent-elles nécessairement de Dieu, ou bien certains d’entre eux s’enfoncent davantage dans leurs péchés ? Je n’ai pas de réponse catégorique, car il arrive que le Seigneur se saisisse de jeunes gens excellents, parvenus même à la sainteté. J’ai un ami qui vécut en Arabie, et qui m’interpelle toujours ainsi: «Ô toi qui a la vie longue!». Sans guère montrer de l’enthousiasme pour cette expression, je ne la refuse pas, connaissant l’amour qui l’accompagne; j’ai bien lu chez Al Ma’arri «accablante est la vie». Pourquoi donc en désirer un surplus- sauf si l’on convoite la compassion de Dieu? Quelle louable convoitise, quand on apprécie la parole psalmodique: «Ne pense plus à mes péchés de jeunesse, ni à mes fautes». On dit qu’on devient plus calme avec l’âge; c’est ce qui arrive couramment, mais pas forcément.
Je pense que celui qui nous souhaite de vivre longuement s’attache à des qualités qu’il perçoit en nous, dont il désirerait jouir. Il souhaite donc des largesses de notre part et que nous n’e quittions pas ce monde avant qu’il n’eût atteint à travers nous sa plénitude. C’est peut-être la raison pour laquelle nous souhaitons à l’évêque des années nombreuses. Nous craignons qu’un frêle successeur n’accède à cette responsabilité de première importance. Peut-être souhaitons-nous à nos proches une grande vieillesse par peur de ne pouvoir pleinement mûrir sans eux. Mais nous oublions que Dieu ne manque pas de moyens pour nous accomplir.
«Car la vieillesse estimée n’est pas celle du grand âge, elle ne se mesure pas au nombre des années. La sagesse tient lieu de cheveux blancs pour l’homme, l’âge de la vieillesse, c’est une vie sans tache. Devenu agréable à Dieu, il a été aimé, et, comme il vivait parmi les pécheurs, il a été emporté ailleurs» (Sa 4: 8-10) Il existe donc des jeunes rayonnant de grâce divine; l’effort spirituel n’a aucun rapport avec l’âge. Dans notre jeunesse, nous étions souvent plus purs que dans les périodes ultérieures. Par conséquent, ceux qui se lamentent d’avoir perdu une personne bien-aimée dans la fleur de l’âge déplorent la séparation, tout en manquant de percevoir en cet éloignement l’occasion d’une jouissance spirituelle immense. «Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants.» Ainsi, à notre mort, Dieu nous récupère et se délecte lui-même de nous, indifféremment de notre âge. Il vaut mieux entrer dans son intimité selon le plaisir qu’il trouve en nous, que demeurer ici-bas en ce monde corruptible et corrupteur. Ô Seigneur, que nous ayons accès à ton intimité, hors de laquelle tout est vanité.
Dans peu d’années, l’occident devra faire face au problème du vieillissement de la population, de laquelle surgira une tranche improductive. Il incombera à la tranche moins âgée de la nourrir et de la soigner. Cela veut dire un déficit monétaire dans le pays aux conséquences funestes. Jusqu’à présent, aucune mesure n’a été prise, ce que l’Occident considère comme un désastre. Cependant, l’idée qui tient devant cette terreur est que ces personnes de grand âge offriraient à leurs sociétés une généreuse contribution intellectuelle et spirituelle. Il est inadmissible de manquer à les soigner jusqu’à leur mort. Ce serait une liquidation de masse délibérée. Trouver une solution à ce phénomène serait donc le problème qui s’impose et qu’il est nécessaire de confronter dès l’instant. Car alors, la parole «afin que tu aies longue vie sur terre» cessera d’être la suite du vœu. Outre dans les sociétés qui manqueront de longévité, ce dernier sera inutile – s’il est considéré comme une bénédiction, bien sûr. Sur ce, le vœu à faire devrait uniquement concerner ce que l’on désigne par la «qualité de vie», et non la quantité. Comment, dans toutes les générations, rehausser les valeurs? Quels programmes pour les jeunes et les enfants? Quels soins aux souffrants, aux miséreux? Où en sommes-nous par rapport à la pensée internationale? Selon quelles pensées bâtissons-nous le Liban? Quelles sont les questions actuelles de santé? Quelles sont les mœurs de nos politiciens? Comment lutter contre le confessionnalisme, voire comment inculquer à nos fils le sens d’une citoyyeneté libanaise commune? Que faisons-nous pour que le Liban devienne capable de survivre sans être soumis à l’extérieur? Comment instituer un Etat moderne? Comment contribuer à la science, et à toutes les composantes de la civilisation moderne, tout en participant autant à l’actualité qu’à la culture arabe? Autant de questions qui devraient nous mener à une manière de vivre renouvelée.
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Dans cette perspective, peu importe une vie longue ou courte. Il s’agit plutôt d’œuvrer pour que ceux qui vivent longtemps deviennent des âmes juvéniles et des géants de la pensée, mais une pensée mue par des cœurs purs. Comment garder une vie politique sans tâche dans la mesure du possible, et empêcher qu’elle devienne le terrain des intérêts personnels ou claniques? Il se peut que nous soyons sanctifiés par des vieillards vivant dans le repentir, affranchis de la corruption qui imprègne l’existence de la multitude. Assurément, nous demeurerons sur cette terre du Liban que le Bon Dieu nous a gratifié par sa Clémence. Elle sera le lieu qui nous reliera au sacré, le repère de notre élan vers un futur prestigieux. Nous ne vivrons plus pour attendre la mort, mais mais pour recréer ingénieusement la vie dans toutes ces dimensions et ses profondeurs.
Dans ce sens l’idéal du grand Dostoïevski, -que l’Etat devienne Eglise, à savoir une assemblée d’hommes purs- ne surprend plus. Cela dit, élevons-nous les générations qui viennent à s’unir à Dieu, ou à procéder de lui pour bâtir le monde, dans l’idée de devenir une patrie de Dieu? Le Ciel ne commence-t-il pas ici-bas, de sorte que la différence est abolie, sinon entre les confessions, au moins entre ceux qui aspirent à une âme purifiée et ceux qui penchent vers l’impureté? Alors ce ne sont pas seulement père et mère que nous honorerons, mais aussi tout homme noble et avisé.
Munis de cette conviction que le changement des situations corrompues est à notre portée, rien ne sera plus impossible, car ce sera désormais la portée du bras de Dieu.
Traduit par Monastère de Kaftoun
Texte Original: « أكرم أباك وأمك » – 09.07.2011
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