La Lumière inaccessible / le 28.01.2012
Chaque pensée, chaque désir, et chaque convoitise qui nous animent sont une imprégnation par l’âme de tout ce qui lui est extérieur, pour qu’elle vive, ou une auto-projection au dehors pour qu’elle jouisse. Chaque relation ranime en nous la vie ou cause notre mort. Pénétrés du bien, de la charité, nous existons; envahis par l’ennui ou les péchés, nous sommes anéantis. Soit que l’on se meut vers une existence accrue, soit que l’on procède vers la mort. L’être n’est jamais stagnant. Il y deux alternatives: la quiétude de la vertu -lorsqu’on en veut bien- ou une annihilation progressive où l’on se livre graduellement au néant. Cela dure jusqu’au Jour du Jugement où Dieu décidera si nous sommes condamnables ou s’il faut déclarer un non-lieu, car Dieu ne juge que là où il repère quelque vice. D’où l’effort que déploient les personnes diligentes pour être préalablement affranchies du Tribunal, afin de se métamorphoser devant la face du Seigneur en figures de lumière.
«Dieu est la Lumière des cieux et de la terre». Celui en qui il ne voit pas son semblable, lui paraît ténébreux. Pour qui insiste, au Jour du Jugement, sur cette dissemblance, les ténèbres s’intensifieront, et il ressemblera au néant. Par contre, qui désire la Lumière divine au-dedans de soi deviendra un langage, le langage de Dieu. Alors il est interpellé par les habitants du ciel dans la gloire, à laquelle il participe. Evidemment, la Lumière de Dieu n’est pas créée, comme la lumière matérielle; elle n’appartient pas au commun des choses. Avant même que toute chose fut, elle procédait de lui. Elle provient de lui de façon qu’on ne pourrait concevoir, à savoir, qui reste imperceptible pour la raison humaine, car cette dernière est créée, alors que l’essence divine est incréée. Cependant, on participe aux énergies divines qui en procèdent.
Qu’est-ce donc la vertu, où en est-elle de ce discours théologique? Les vertus ne sont pas des œuvres, mais des qualités d’œuvres, lesquelles, une fois accomplies, s’attribuent à la réalité de la Lumière divine en l’homme. Ce sont donc une radiation de la Lumière divine. Reluisant de cette Lumière, on devient juste par conséquent; on participe ainsi à la justice de Dieu, comme si on se trouvait sur un même palier. Inversement, quand le péché pullule, il a le semblant d’un acte, ou d’un ramassis de vices, alors qu’en réalité, il n’est autre que des ténèbres. De ce fait on chasse Dieu même pour sombrer dans l’obscurité de tout ce qui n’appartient pas à cette Lumière.
Pour en venir au comportement, il faut dire que la relation n’est pas entre chacun et ses actions. Ce n’est que l’apparence. Il s’agit d’une relation personnelle avec Dieu, où l’on devient la demeure permanente du Seigneur, faute de quoi on choirait dans un abysse noir, et on ne verrait plus sa Face. C’est un retour constant vers la Lumière ou vers les ténèbres qui étaient en l’âme au commencement. Revenant sans cesse vers ce commencement, on s’apparente à ce Verbe duquel St Jean dit: «Au commencent était le Verbe». De même que le Verbe exprime Dieu pré-éternellement et parfaitement, les vertus de chacun déclarent le Verbe. Ainsi recevant la Lumière, on n’aura que le Christ à déclarer. Perdant cette
Lumière, on n’aura mot à dire. Pourtant, Dieu sauvegarde son image en l’homme, bien que défigurée, pour lui adresser la parole le jour de son bon plaisir, pour dissiper sa nuit et lui octroyer le don généreux de sa vertu. Réanimé par Dieu, il entonnera alors un chant que le Très-Haut même inspire.
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Etre calme ou pacifique, patient ou doux, humble, chaste, ou obéissant envers ceux qu’on aime, revient à la même chose. Pour être plus clair, mettons les choses ainsi: chacun brille de tel ou tel autre éclat par une différenciation d’apparence, ou encore pour exprimer diverses énergies en l’homme. Mais en réalité, les vertus forment toutes un ensemble compact, et les vices de même. En d’autres termes, lorsqu’on reçoit la grâce divine, celle-ci réunifie la personnalité, reliant les diverses vertus. L’humilité, par exemple, est raffermie par la douceur, la patience par le calme, et les deux par l’esprit pacifique. Ce qui a l’apparence de vertus n’est en réalité autre qu’une présence divine en l’homme. Cela me conduit à affirmer que l’élément de pureté en l’homme est un; celui-ci est capable de rappeler la faveur de Dieu. En effet, on n’est jamais abandonné par le Seigneur, qui ne se dérobe pas devant l’insistance à le fuir, car on est chéri par lui plus qu’on ne chérit ses propres péchés. L’Ami de l’homme, comme on appelle le Seigneur, ne saurait être placé à pied d’égalité face au péché que la miséricorde rend délébile. Cependant, combattre le péché exige un exercice aussi terrible qu’assidu, puisqu’il s’agit de supprimer ce colosse.
Or celui-ci n’est détruit qu’à l’heure du trépas, pourvu que Dieu détecte sa paix en l’homme, aux derniers moments de son existence. On trouve cela dans notre littérature spirituelle. Saint Sisoès étant sur le point de rendre l’âme, les moines dont il était le supérieur l’entourèrent et lui dirent: «Abba Sisoès, offre-nous une parole de vie». Et lui de répondre: «Quelle parole de vie vous offrir, alors que je ne me suis pas encore repenti?!» Ce grand juste craignait ne pas avoir atteint la pleine pureté d’âme, d’être toujours exposé à la condamnation de Dieu.
Cette lutte quotidienne est une véritable agonie pour l’âme, jusqu’à ce que la Lumière y perce, pour inonder le cœur dans un moment de faveur divine. Alors on pourra mourir en paix. Il faudra donc se préparer à ce moment du bon plaisir de Dieu par l’acquisition de vertus constantes, qui irradient l’âme de leur intense lumière. La présence divine s’obtient en la sollicitant, car Dieu ne s’engage jamais à l’octroyer sauf à ceux qui reçoivent sa promesse. Si l’on reçoit cette promesse de Dieu en toute humilité, en toute sincérité, on n’en saura rien qu’au Jour Dernier, lorsque le Christ prononcera cette parole: «Viens, Ô béni par mon Père, prend possession du royaume qui t’a été préparé».
Or le Royaume fut préparé pour chacun avant la fondation du monde. Le croit-on, quand même? A-t-on le sentiment d’être le bien-aimé de Dieu? Certes, on trace son parcours selon la parole de Dieu, convaincu dans la foi que le Christ est venu par condescendance pour chacun. Mais on n’a pas la ferme conviction de l’avoir reçu en soi, car Dieu seul scrute les cœurs en toute équité. Sur ce, celui qui mène le bon combat, fixé sur la croix, à savoir, pleurant ses péchés et implorant pour recevoir la grâce gratuite qui
sauve, vit dans une espérance mêlée de crainte, toutes deux pénétrées d’allégresse. La parole qu’on se voit adresser par Dieu est d’importance; l’accepter est un prodige. Cela s’accomplit en brisant son ego pour aller baiser les pieds du Crucifié, et les sécher de ses larmes. Avant d’entamer ce calvaire, on n’existe qu’en puissance. La véritable existence commence là-bas.
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Abordant les blessures du Christ, on s’en ira prêcher son amour aux frères, dans l’espoir qu’ils se repentent. Si l’on ne leur distribue pas cet amour, on ne pourra le percevoir dans l’âme, ni les frères n’accèderont au salut. S’ils pleurent aussi, ayant ressenti leur chute, on formera avec eux l’Eglise du Seigneur.
Cette Eglise demeurera une poignée modeste, mais le Père y sera glorifié. Les péché repentants ont toujours été ce petit troupeau qui reçoit toutes les bénédictions de Dieu, pourvu qu’ils réalisent qu’il n’ont que le Christ pour lot. Là réside la paix parfaite, dans laquelle on s’abandonne complètement à la volonté du Sauveur, et la foi devient activée par l’espérance. En effet, seule l’espérance projette l’homme vers le moment de sa mort, cette antichambre de la divine miséricorde. Que l’on vive donc pour aller à l’encontre de la mort. Ainsi, on connaîtra sa résurrection dès le présent. Le Seigneur oublie les péchés de celui qui met ces choses en pratique, et se montre tolérant envers les manquements commis dans sa vie, le perfectionnant par son pardon, si bien que tel homme se retrouve dans l’étreinte divine.
Or, la Lumière tant attendue n’est autre que cette étreinte, où l’on baigne, complètement inondé. Ayant gagné la faveur de Dieu, on est attiré contre sa poitrine, pour accéder à l’intellection ultime.
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